« Crépuscule », de Juan Branco, met l’oligarchie à nu (ou pas)

Un décorticage des mécanismes par lequel le système oligarchique a placé au pouvoir : c'est ce qu'opère le livre de Juan Branco, en flagellant les médias serviles qui servent l'oligarchie. Ils répondent par le silence. Mais le public a adopté un livre utile et qui mérite d'être lu.

Voici un livre qui est en tête des ventes ou à peu près, dès sa sortie il y a deux semaines, et dont pourtant personne – enfin, aucun « grand média » – ne parle. Il y a là un mystère. Ce livre est-il inintéressant ? Non. Manque-t-il d'originalité ? Point. Mal écrit ? La plume n'est pas des plus légères, mais on a lu largement pire. Serait-il abracadabrant, inepte, mensonger, idiot, benêt, déraisonnable, fade ? Que nenni, on vous dit.

Il n'y a qu'une explication au lourd silence des Joffrin, Fressoz, Apathie, Barbier, Jeudy, Calvi, politologues de tout poil et éditorialistes de toute domesticité : le livre les dérange. Il dérange leur monde, leurs liens, leurs asservissements, leurs idées, leur subordination. Car Crépuscule n'y va pas de main morte. Dans l'entreprise, non pas de démolition, mais d'élucidation qu'il mène à propos du système macronien, il décrit avec précision les plus ou moins subtiles façons dont quelques oligarques – au premier rang desquels , co-propriétaire du Monde et de L'Obs, Bernard Arnault, propriétaire d'Aujourd'hui-Le Parisien et des Echos, Patrick Drahi, propriétaire (jusqu'à il y a peu) de Libération, de L'Express et de BFMRMC -, dont quelques oligarques, donc, ont organisé la résistible ascension de leur brillante marionnette, , en usant et abusant de leurs valets médiatiques. Signer une recension de Crépuscule dans un de ces désolants médias serait donc soit s'exposer à une douloureuse censure interne ou à quelque vicieuse réprimande, soit se livrer à des contorsions tartuffiennes dont ce qui reste d'honneur à l'un ou l'une de ces plumitifs leur interdit le ridicule de s'y livrer.

La première raison qui conduit à s'intéresser à ce livre est l'épais mur de silence dont le chœur des valets des puissants l'a accueilli. Mais ce mutisme révèle une vérité intéressante : car il est plaisant que leur silence n'ait aucun effet sur le public, qui a reconnu sans eux un ouvrage qui mérite le détour. Les quelques dizaines de milliers d'exemplaires vendus sont autant de soufflets au visage de l'oligarchie. Ce silence des puissants accrédite donc une thèse de l'auteur, Juan Branco, selon laquelle le système macronien est à son crépuscule.

Mais venons-en au contenu même du livre. Il décrit « un système oligarchique », justement défini comme « un espace public dominé par des individus dont la fortune, immense, dépend directement ou indirectement de l'Etat, et qui investissent une part de leurs deniers pour prendre le contrôle de médias afin de les assécher, en réduire le pouvoir et d'en tirer une influence qui assurera la préservation de leurs intérêts au détriment du bien commun ». La suite n'est pas un essai théorique, mais un décorticage précis et quasiment de l'intérieur du fonctionnement de ce système.

Car Juan Branco est un transfuge. Lui-même issu de la grande bourgeoisie, il a fréquenté dès son plus jeune âge un des ses lieux de reproduction, l'Ecole alsacienne. Il évoque ainsi « le miracle des dispositifs de reproduction : faire croire à chacun, dès le plus jeune âge, qu'il ne se trouve de nulle façon favorisé ou défavorisé, et que tout rapport à l'autre est le fruit de [son] individualité ». C'est dans les écoles de ce type, telles aussi que Franklin – où Brigitte Macron a enseigné, tissant de précieuses relations avec les parents fortunés de ses élèves – , Saint-Louis-de-Gonzague, quelques autres, que les héritiers se transmettent le capital culturel et relationnel qui va leur permettre de se retrouver rapidement dans les positions dominantes.

« Emmanuel Macron a été ‘placé' bien plus qu'il n'a été élu »

Juan Branco décrit ainsi l'itinéraire d'un de ses condisciples, Gabriel Attal, nommé à vingt-neuf ans secrétaire d'Etat en charge de la Jeunesse, « alors qu'il n'a jamais connu ni l'université ni l'école publique, auprès d'un ministre de l'Education chargé de les réguler ». Au demeurant, Branco a connu aussi ce type d'accélération, se retrouvant en 2012, à vingt-trois ans, directeur de cabinet d'Aurélie Filippetti lors de la campagne de . Un itinéraire qui lui a permis de connaître de l'intérieur nombre des acteurs du système, comme , qui lui parle en 2014 d'Emmanuel Macron comme du « futur président de la République ».

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Car si Branco décrit les façons dont des Attal, Séjourné, Emelien, jeunes héritiers sans foi ni morale, se constituent en une jeune garde d'Emmanuel Macron, il montre aussi que celui-ci « a été ‘placé' bien plus qu'il n'a été élu ». On connaît certes assez bien le trajet de Macron à l'ombre de ses nombreux, riches et vieux protecteurs (Attali, Jouyet, Hermand), notamment par la biographie que lui a consacré Marc Endeweld (L'ambigu Monsieur Macron, ed. Flammarion, 2016). Mais Branco précise nombre de traits, et notamment le jeu du binôme Xavier Niel et Bernard Arnault, deux des milliardaires les plus riches de France, qui ont acquis un réseau de médias. En orchestration avec les médias détenus par leurs confrères milliardaires Drahi, Bolloré, Bouygues, Lagardère, Dassault, ils ont réussi, grâce au talent servile de leurs subordonnés médiatiques, à transformer l'ambitieux Macron en un président inattendu et mettant l'Etat au service de leur idéologie et de leurs intérêts.

 

Ce qui a joué, ce sont les « liens d'endogamie et de népotisme profond faisant jointure entre ces quelques personnes, qui utilisèrent tous leurs moyens publics ou para-publics pour faire campagne pour M. Macron, en dehors de tous les dispositifs de régulation électorale chargés de s'assurer de l'égalité entre les candidats ». Branco détaille aussi nombre des petites histoires et arrangements par lesquels les médias servent concrètement la soupe, et conclut en ramenant ce paysage médiatique à « un putride espace où la peur et l'incertitude règnent ». On comprend qu'aucun de ces plumitifs n'ait l'envie de chroniquer un livre qui dévoile leurs turpitudes.

Oligarques et journalistes asservis, « ces êtres ne sont pas corrompus. Ils sont la . Les mécanismes de reproduction des élites et de l'entre-soi parisien, l'aristocratisation d'une bourgeoisie sans mérite, ont fondu notre pays jusqu'à en faire un repère à mièvre et arrogants, médiocres et malfaisants ». L'auteur en appelle au final à une « destitution et à un bouleversement institutionnel qui nous permette enfin, par un régime parlementaire approfondi, de rendre au peuple ses propres outils ». Il voit ainsi dans les les « derniers défenseurs d'une République échancrée et d'une démocratie avariée ». C'est bien l'aspiration qui se joue dans le mouvement profond qui s'est ébranlé depuis quatre mois : refaire démocratie. Crépuscule est un outil qui y contribue.

Source : Reporterre

«Crépuscule» de Juan Branco, ce qu'il faut garder et ce qu'il faut jeter

L'auteur livre une cartographie intéressante des réseaux de pouvoir en France, mais semble s'arranger avec la vérité.

Crépuscule, dans sa version publiée par les éditions Au Diable Vauvert, tient à la fois du pamphlet, de l'autobiographie et de l'essai. Avec plus de 70.000 exemplaires vendus, il faut reconnaître qu'il s'agit d'un vrai succès de librairie.

L'analyse des réseaux de pouvoir proposée par Juan Branco est intéressante, mais le livre présente deux limites. Premièrement, il repose sur des postulats contestables: Emmanuel Macron serait un président illégitime (car élu grâce aux grandes fortunes et aux médias), qui représenterait un tournant néolibéral et autoritaire sans précédent. Deuxièmement, un certain nombre de ses affirmations sont invérifiables, voire erronées.

Sur l'enquête «censurée» par le magazine du Monde

Page 48 de Crépuscule: «J'ai reconnu immédiatement Marie-Pierre Lannelongue, rédactrice en chef du magazine du Monde. […] Quelques mois plus tôt, son magazine censurait une enquête longue d'un an que j'avais produite sur Areva au […], que Le Monde avait initialement acceptée. Elle, qui se trouve là, invitée au cœur de l'argent, a agi sur instruction de sa direction, comme me le confirmera sa consœur Camille Seeuws.»

Page 170: «Aux liens d'amitié qui firent que Daniel Schneidermann censurerait un article révélant comment Le Monde avait censuré mon enquête sur Areva [dans Arrêts sur Images, ndlr]

Cette affirmation faisant référence au scandale UraMin omet plusieurs éléments, rapportés par Daniel Schneidermann dans un billet pour le site Arrêts sur images.

En 2016, au moment où Juan Branco a réalisé cette enquête –qui sera finalement publiée dans Le Monde Diplomatique–, l'affaire était déjà amplement couverte par la presse française, et notamment par Le Monde. Refuser un article supplémentaire sur un dossier déjà bien couvert peut-il vraiment être assimilé à de la censure?

Selon Schneidermann, la journaliste du Monde Raphaëlle Bacqué soupçonnait Juan Branco de n'avoir rencontré que le gardien d'une mine d'uranium désaffectée lors de son en . Elle lui avait demandé des compléments d'information et avait souhaité réduire la taille considérable de son papier (50.000 signes). C'est à ce moment-là que Juan Branco aurait accusé M le magazine du Monde de censure.

Concernant la «censure au carré» d'Arrêts sur images, Daniel Schneidermann écrit: «Branco avait fait en 2016 un forcing auprès de notre équipe pour que nous dénoncions ici le refus, par Le Monde, de publier un article de sa plume, sur l'affaire UraMin. […] Je m'étais estimé incapable de juger si le refus de publication par Le Monde était justifié ou non.»

Selon une source interne au Monde, il a aurait été proposé à Juan Branco de publier son article en version longue sur lemonde.fr, mais le tarif de la pige étant inférieur, il aurait refusé.

Ce n'est pas la première fois que l'auteur brandit des accusations de censure à son encontre [suite à la publication de cet article, Juan Branco nous a fait savoir qu'il maintenait sa version ndlr].

Sur la licence téléphonique de Free

Page 138 de Crépuscule: «Il suffirait à l'État de retirer les licences téléphoniques octroyées à Free, dans le cadre d'une carambole ayant impliqué et , pour que la fortune de Xavier Niel s'effondre immédiatement. Sa dépendance à l'égard du pouvoir politique est telle qu'en son temps, il lui avait fallu le Premier ministre et le secrétaire général adjoint de l'Élysée de l'époque, François Pérol, pour renverser une première décision négative de l'Arcep et obtenir une licence téléphonique […] à prix cassé […], au détriment de l'intérêt général –faisant exploser la capitalisation boursière de Free, dont M. Niel est encore propriétaire à plus de 50%–, contre l'avis du président de l'époque.»

La «carambole politique» a effectivement été rapportée par le Canard Enchaîné. Mais concernant les licences téléphoniques, la thèse de Branco est discutable.

Avant l'obtention de la licence 3G de Free Mobile en 2009, Xavier Niel avait déjà amassé une considérable fortune. En 2008, lui et sa famille étaient riches de 2,3 milliards d'euros. En 2018, leur fortune s'élevait à 6,8 milliards d'euros.

Free Mobile, «moteur de la croissance et de la rentabilité» pour Free, selon BFMTV, a effectivement aidé Xavier Niel à multiplier par trois son capital. Sans l'obtention de la licence 3G, on peut supposer que sa fortune serait plus proche de son niveau de 2007-2009, soit autour de 2,5 milliards d'euros. Il serait néanmoins toujours milliardaire.

Quant au cours de l'action Iliad (maison-mère de Free), il est passé d'environ 65 euros début 2009 à plus de 236 euros mi-2014, mais est aujourd'hui redescendu autour de 93 euros. Celle-ci a-t-elle été accordée à prix cassé? Free a payé 240 millions pour la licence 3G, contre 619 millions d'euros chacun pour Orange, SFR et Bouygues Télécom. Le bloc de fréquences attribué à Free (5 MHz) était néanmoins trois fois moins important que celui de ses concurrents (15 MHz). Le recours de ces derniers devant le Conseil d'État pour contester les conditions d'attribution n'a d'ailleurs pas abouti.

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Sur la cartographie des réseaux de pouvoir

La cartographie des réseaux de pouvoir et le récit de l'ascension de Macron effectués par Juan Branco –qui s'appuie notamment sur le travail d'autres journalistes– sont néanmoins instructifs.

Il rappelle notamment que Xavier Niel est marié à Delphine Arnault, vice-présidente de LVMH (et fille de Bernard Arnault), dont Brigitte Macron est proche. Il souligne le rôle de Michèle Marchand (en s'appuyant sur le livre Mimi), venue de la presse people, qui a été présentée à Brigitte et Emmanuel Macron par Xavier Niel et a veillé sur l'image publique du couple, et ceux de Jean-Pierre Jouyet, d'Henry Hermand, de Gabriel Attal –que Branco a côtoyé au lycée mais auquel il n'était toutefois pas nécessaire de consacrer cinquante pages– de Bernard Mourad ou de Laurent Bigorne.

Il n'est pas inintéressant non plus de dessiner les contours de la «bande de copains qui a porté Macron à l'Élysée» (Stanislas Guerini, Cédric O, Benjamin Griveaux, Emmanuel Miquel et ) ou de relever l'influence d'Emmanuel Macron, alors secrétaire général adjoint de l'Élysée, dans l'opération qui a permis à Arnaud Lagardère de sortir du capital d'EADS dans des conditions très avantageuses.

Le fait que l'épouse d' a été embauchée par Sciences Po après que l'actuel Premier ministre a soutenu l'implantation d'un campus de l'école dans sa ville du Havre mérite également d'être évoqué.

Mais à cette analyse, proche de celle effectuée par le journaliste Marc Endeweld dans son livre Le grand manipulateur, l'auteur mêle d'autres affirmations invérifiables ou erronées, non sourcées, dont nous n'avons pas retrouvé de traces dans les médias.

Juan Branco semble vouloir tout expliquer à l'aune des réseaux d'influence, au détriment d'une analyse plus systémique.

Page 169 de Crépuscule: «Nous pensons aux listes de journalistes que Bruno Roger-Petit se targuait de faire transmettre au président Macron pour qu'il validât la future direction de la rédaction de L'Obs.»

Page 248: «Bernard Mourad a, sur ordre de M. Drahi, “suggéré” des unes au sujet de M. Macron, lors des comités de rédaction de ces médias [Libération et L'Express, ndlr]

Page 254: «Virginie Malingre, envoyée à l'Élysée, après avoir été nommée sur suggestion de Dreyfus à la direction du service économie [du Monde] pour le neutraliser» –une affirmation catégoriquement rejetée par notre source du Monde.

Tout en ayant bien cartographié les réseaux d'influence et leurs acteurs, Juan Branco semble vouloir tout expliquer à leur aune, au détriment d'une analyse plus systémique, sans toujours apporter les preuves des accusations qu'il porte.

Sur l'élection «volée» par les riches et «leurs» médias

Page 32 de Crépuscule: «Emmanuel Macron a été “placé” bien plus qu'il n'a été élu. Et la presse a agi en ce domaine avec complicité.»

On peut difficilement nier l'existence d'une «bulle médiatique» autour d'Emmanuel Macron, ainsi que ses liens personnels avec de grandes fortunes qui ont soutenu sa campagne.

Selon Daniel Schneidermann, la bulle est imputable à deux facteurs: la présence de dirigeants macron-compatibles à la tête des médias et l'attrait de ces derniers pour la nouveauté. Il ne faut pas négliger non plus que Macron «boostait les ventes» –même si les relations du candidat avec les journalistes politiques, notamment ceux du Monde, étaient exécrables.

Mais peut-on résumer la victoire de Macron à ces facteurs? Il ne faudrait pas oublier que le candidat a bénéficié d'un «alignement des planètes» particulièrement favorable.

Lorsque a renoncé à se représenter, le Parti socialiste, éreinté par cinq ans de pouvoir, a choisi au terme d'une primaire un candidat, Benoît Hamon, dont la campagne a été laborieuse.

Cette situation aurait normalement dû ouvrir un boulevard aux Républicains. Mais lui aussi soutenu par une partie de l'establishment– a été sévèrement plombé par les révélations sur l'emploi fictif de son épouse Penelope.

Après le ralliement de François Bayrou, Emmanuel Macron a pu récupérer une partie de l'électorat du centre, des Républicains, du PS, et celui de gauche souhaitant voter utile pour éviter un deuxième tour Fillon-Le Pen.

La communication orchestrée par le candidat Macron, soutenu par un certain nombre de grandes fortunes et appuyé par de nombreux médias, a clairement joué un rôle important dans sa victoire, mais on ne peut occulter le contexte très particulier de l'élection de 2017.

Page 147: «Xavier Niel est intervenu au cœur de notre espace démocratique pour faire connaître et favoriser l'élection de son protégé.»

Page 187: «Malgré l'accumulation de faits et de compromissions que Mediapart a brillamment permis de révéler, le quotidien ne s'était à aucun moment élevé contre lui comme il l'avait jusqu'alors fait contre bien d'autres politiciens.»

On peine ici à comprendre ce que Juan Branco reproche au site fondé par Edwy Plenel, dans lequel Xavier Niel détient une participation minoritaire. Comme il le dit lui même, Mediapart a publié jusqu'au premier tour moult enquêtes et analyses critiques concernant Emmanuel Macron et son entourage.

En revanche, lors de l'entre-deux-tours, Mediapart a effectivement appelé à voter Macron afin de faire barrage à l'extrême droite –un choix qu'à titre personnel, nous pourrions difficilement leur reprocher.

Page 143: «Aurait-on voté de la même manière si on avait su que le jeune candidat […] était en réalité dès le début de son parcours politique appuyé et soutenu par l'un des hommes les plus riches et les plus influents de France? […] Et pourtant, l'on [les médias, ndlr] s'est tu. Personne n'a moufté.»

Page 173: «Criant à leur indépendance, niant tous les mécanismes de contrôle et d'écrasement déployés, [les journalistes] croient défendre leur dignité, là où ils se rendent complices.»

Si la détention de la majorité des médias français aux mains d'une dizaine de milliardaires est un problème sérieux, si la bulle médiatique autour de Macron a bien existé, le réquisitoire semble outrancier.

Le fait que Xavier Niel ait présenté «Mimi» aux Macron est-il vraiment si central? Les médias étaient-ils vraiment au courant?

Pour Juan Branco, les propriétaires de l'édition et des médias ont procédé à un verrouillage presque total. L'auteur semble nier toute possibilité d'indépendance des rédactions, ou alors uniquement à la marge.

Il reproche aux médias de n'avoir pas parlé des réseaux de Macron et de ses liens avec Xavier Niel avant l'élection, mais plusieurs papiers sur ses soutiens fortunés (dont le patron de Free) ont été publiés entre 2016 et mai 2017.

Le fait que Xavier Niel ait présenté «Mimi» aux Macron, effectivement peu couvert par les médias –le savaient-ils seulement?–, est-il vraiment si central? N'est-ce pas Le Monde, propriété de Xavier Niel, qui a révélé (notamment grâce aux images de Taha Bouhafs) la très embarrassante affaire Benalla-Macron? Juan Branco évacue rapidement cette information, y voyant un «luxe» pour la journaliste Ariane Chemin.

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Sur le tournant néolibéral et autoritaire

Pages 189-190 de Crépuscule: «À l'instant où l'on découvre que les premiers bénéficiaires de politiques fiscales faisant s'évaporer chaque année des milliards […] des caisses de l'État sont des intimes de M. Macron, et que l'on découvre que cette information était connue par les journalistes, rien n'intervient.»

Juan Branco étrille la politique économique d'Emmanuel Macron, qui bénéficierait aux personnes les plus fortunées, dont certaines sont proches du président. Mais elle se situe dans une continuité des politiques menées en France depuis une trentaine d'années: baisse de la pour les entreprises et les plus riches, flexibilisation du marché du travail, «rationalisation» des services publics et privatisations –même si un certain nombre d'avancées sociales ont été réalisées en parallèle sous des gouvernements de gauche: RMI, 35 heures, CMU et AME, emplois aidés, etc.

déployait une politique économique similaire et entretenait la même proximité avec de grandes fortunes –Martin Bouygues ou Vincent Bolloré, pour ne citer qu'eux. François Hollande, de son côté, est proche du milliardaire François Pinault (qui a voté pour lui) et a mis en œuvre le CICE et la loi travail –ce que Branco rappelle lui-même.

Page 312: «Comment ne pas y voir la seule alternative à un pouvoir toujours plus autoritaire ne présentant pour seule autre option que sa reprise par un parti de “l'ordre”, le Rassemblement national, qui a déjà donné aux élites les gages qu'elles attendaient?»

L'auteur voit aussi un tournant autoritaire chez Emmanuel Macron. L'affaire Benalla a révélé de graves dysfonctionnements dans l'exercice du pouvoir, le président s'étant entouré de conseillers très problématiques agissant au mépris des lois.

La gestion de cette affaire par l'Élysée pose elle aussi question puisque, comme l'a révélé Le Monde, un autre conseiller d'Emmanuel Macron, , a diffusé un montage trompeur d'images de vidéosurveillance, censé dédouaner Alexandre Benalla de ses agissements lors du 1er mai 2018, via des comptes anonymes sur .

Au moins depuis 2002, les libertés publiques sont hélas rognées au nom de la sécurité.

Par ailleurs, difficile de nier les atteintes aux libertés commises par le gouvernement, avec la loi antiterroriste, qui fait entrer une partie des dispositions de l'état d'urgence dans le droit commun, une stratégie de maintien de l'ordre ayant entraîné un grand nombre de violences policières contre les manifestant·es «», la loi «anti-casseurs», une loi «anti fake-news» qui a fait l'unanimité contre elle, sans oublier les atteintes à la liberté de la presse.

Toutefois, ces mesures ayant été plutôt soutenues par Les Républicains (la loi «anti-casseurs» étant même issue des député·es LR), on peut supposer que François Fillon aurait suivi une pente similaire.

Une fois de plus, ces mesures s'inscrivent dans une continuité. Au moins depuis 2002, et encore plus depuis les attentats terroristes de 2015, les libertés publiques sont hélas rognées au nom de la sécurité. On pense notamment à la loi Loppsi 2 de 2011, à la loi renseignement de 2015 et à l'état d'urgence qui, proclamé au lendemain des attentats du 13-Novembre, sera maintenu pendant deux ans.

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Les limites d'une démonstration

Pour Juan Branco, Emmanuel Macron serait un président illégitime: son élection aurait été orchestrée par les grandes fortunes avec la complicité des médias. Or si la bulle médiatique et l'appui des plus riches sont avérés, il doit aussi sa victoire à la configuration très particulière de l'élection présidentielle de 2017, et à l'efficacité de sa campagne –qui a certes bénéficié de soutiens de poids.

Macron représenterait également un tournant néolibéral et autoritaire sans précédent, et aurait détruit les maigres contre-pouvoirs en mettant fin à l'alternance droite-gauche. Tout en reconnaissant sa pratique solitaire du pouvoir et en constatant que la politique d'Emmanuel Macron renforce globalement les inégalités (malgré quelques mesures sociales) et restreint les libertés publiques, il faut admettre qu'elle s'inscrit dans la continuité des politiques de ces vingt dernières années –comme le rappelle Juan Branco lui-même en évoquant les manifestations contre la loi travail.

Seulement, l'intégration de ces nuances affaiblirait l'appel à destituer Emmanuel Macron qui conclut Crépuscule.

Page 311: «Comment ne pas appeler à une destitution et un bouleversement institutionnel qui nous permette enfin, par un régime parlementaire approfondi, de rendre au peuple ses propres outils?»

Source : Slate

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