Le gouvernement, qui emprisonne déjà les blogueurs contestataires, veut maintenant interdire d’«échanger sur l’actualité» sur les réseaux sociaux.
Dans le régime communiste du Vietnam, on peut parler de tout sur le web. Du menu du mariage de sa cousine ou de la coupe de cheveux de la starlette qui monte. Sauf d’actu. Le gouvernement a dégainé en ce début de semaine un décret, dont l’entrée en vigueur est prévue pour septembre, qui interdit l’échange en ligne «des informations d’actualité» et stipule que Facebook et Twitter ne pourront être utilisés que «pour fournir et échanger des informations personnelles». Pour le moins radical, surtout dans un pays de 31 millions d’internautes (un gros tiers de la population) où les réseaux sociaux servent, entre autres, à contourner la censure de la presse d’Etat.
Aucun article d’information générale ne pourra être retweeté ou posté sur Facebook, y compris ceux de la presse officielle. Le texte interdit également aux fournisseurs de services Internet de «fournir des informations contre le Vietnam, portant atteinte à la sécurité nationale, à l’ordre social et à l’unité nationale». Le «décret 72» ne dit évidemment pas où finit l’information «personnelle» ni comment les autorités comptent s’y prendre pour appliquer ces nouvelles règles et sanctionner les contrevenants.
Les Etats-Unis, qui ont reçu le président vietnamien Truong Tan Sang le 25 juillet à la Maison blanche, se sont dits ce mardi «profondément préoccupés» dans un communiqué de leur ambassade à Hanoi. «Les libertés fondamentales s’appliquent en ligne autant que hors ligne.»
Le décret fait naturellement bondir les ONG de défense des droits de l’homme, qui dénoncent depuis longtemps la répression de la cyberdissidence au Vietnam. Le Comité Vietnam pour la défense des droits de l’homme et la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH) avaient consacré un rapport mi-février à cette cyberrépression proche de celle du voisin chinois.
«Ce nouveau décret, qui est assez unique dans le monde, est aussi insensé qu’extrêmement dangereux», commente Benjamin Ismaïl, responsable du bureau Asie-Pacifique de Reporters sans frontières (RSF). «Sa mise en application nécessiterait une surveillance généralisée et permanente de toute la Toile par une armée de cyberpoliciers, avec sans doute le concours des fournisseurs d’accès. Difficile de savoir quelle est la part de bluff, de pure dissuasion. Si l’on en juge par les premières réactions, la blogosphère vietnamienne prend cette annonce très au sérieux.» Sans atteindre la puissance et la sophistication de sa cousine chinoise, la cyberpolice vietnamienne censure avec célérité. «Il est fréquent que des blogueurs perdent subitement l’accès à leur plate-forme, soient victimes de virus informatiques à répétition, ou qu’on leur ressorte des passages entiers de leurs échanges par mail quand ils sont arrêtés», rapporte Benjamin Ismaïl. Parmi les sujets les plus sensibles : la corruption, l’environnement (en particulier l’exploitation des gisements de bauxite) et le contentieux avec la Chine sur les eaux territoriales.
Le décret, pour RSF, aura surtout pour effet de renforcer l’arsenal législatif à la disposition du gouvernement. «Ils n’auront plus besoin d’invoquer les articles du code pénal sanctionnant une “tentative de renversement du gouvernement” ou la “propagande contre l’Etat” pour inculper les acteurs indépendants de l’information. Ils n’auront même plus à fouiller le contenu des échanges, le simple fait d’échanger suffira à être réduit au silence.»
Trente-cinq blogueurs et citoyens actifs en ligne sont emprisonnés au Vietnam selon RSF, qui a lancé en juillet une pétition. L’un des plus célèbres, Nguyen Van Hai, alias «Dieu Cay» – la plupart des blogueurs vietnamiens écrivent sous pseudo – a levé le 27 juillet la grève de la faim qu’il menait depuis vingt-cinq jours pour protester contre le traitement des prisonniers politiques. Ce blogueur a été condamné en appel l’an dernier à douze ans de prison pour propagande contre l’Etat, un chef d’accusation régulièrement utilisé contre les dissidents dans un pays qui interdit tout débat politique. Avec deux autres blogueurs également expédiés en prison, il était accusé d’avoir publié des articles politiques sur le site interdit «Club des Journalistes Libres» dénonçant la corruption, l’injustice et la politique étrangère de Hanoï.
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Source(s) : Libération
Image : http://www.journaldugeek.com/files/2010/01/censure-internet-controle-parental_large.jpg