Montée des Eurosceptiques en Allemagne : Quelles conséquences pour l’Europe ?

Eurosceptiques : Après le succès du parti anti-euro outre-Rhin, Angela Merkel va-t-elle infléchir sa politique ? Et dans quel sens ?

La poussée des Eurosceptiques allemands n’est pas qu’un problème allemand. C’est aussi un problème européen qui dépend de la réaction d’Angela Merkel.

Pression sur Angela Merkel

La chancelière est désormais confrontée à une difficulté de taille dans la définition de sa politique européenne. Elle sait que, désormais, toute initiative « fédérale » (qui supposerait une mise en commun des moyens des États membres de la zone euro) deviendra la cible d’Alternative für Deutschland (AfD), le parti eurosceptique et menacera de faire grimper encore ce parti. Le danger est d’autant plus notable pour la chancelière que le succès d’AfD alimente une forme de « fronde » chez certains députés conservateurs de la CDU et de la CSU. L’aile droite des partis d’Angela Merkel commence à en effet à réclamer que l’on n’ignore plus AfD comme un partenaire potentiel de coalition. Ces élus risquent de réclamer, pour complaire à AfD, une politique plus sévère vis-à-vis des « mauvais élèves » de la zone euro.

Le problème de la coalition

La montée d’AfD signifie que la CDU-CSU ne pourra plus, lors du prochain scrutin fédéral, obtenir la majorité absolue des sièges qu’elle a frôlée en 2013. En refusant de s’allier avec AfD, la chancelière oblige donc son camp à s’allier ad aeternam avec les Verts ou la SPD. Donc avec la gauche. Comment Angela Merkel peut-elle alors réagir et comment pourra-t-elle orienter sa politique européenne ?

Un assouplissement de la position allemande ?

Toutes les options sont, en théorie, possibles. Puisque la CDU et la SPD sont condamnées à vivre ensemble, Angela Merkel pourrait infléchir franchement sa politique dans un sens plus fédéraliste, en théorie souhaité par les Sociaux-démocrates. Berlin pourrait alors accepter une évolution vers des Eurobonds, mettre en place un plan de relance en accord avec les partenaires européens de l’Allemagne, demander plus de souplesse sur les déficits. Bref, relâcher l’étau. Mais une telle évolution est peu probable. Ce serait renier le cœur de la doctrine européenne de la CDU. La SPD elle-même ne demande que mollement une telle évolution, car, dans l’opinion allemande, un tel programme serait très mal reçu. Ce serait, pour Angela Merkel, le meilleur moyen de rompre avec son aile droite, de provoquer une rupture au sein de son propre camp et de provoquer une fuite des électeurs conservateurs vers AfD.

Un durcissement ?

Deuxième option : le durcissement. Angela Merkel pourrait vouloir aller sur le terrain d’AfD à la fois pour éviter une fuite de l’aile droite, mais aussi pour ramener vers la CDU les déçus du libéralisme. Le gouvernement allemand pourrait alors réclamer non seulement le respect absolu des traités, mais leur durcissement. L’Allemagne pourrait exiger des sanctions contre ceux qui ne respectent pas les règles et refuserait toute idée de relance, même européenne, au nom de « l’aléa moral. » Cette option est certes possible, elle permettrait d ‘aller chasser sur les terres eurosceptiques, tandis que la SPD, qui n’a jamais vraiment fait de l’Europe un cheval de bataille, ne ferait certainement pas de cette question une raison de rompre la coalition. Mais il y aurait beaucoup de risques. D’abord, la perte pour la CDU de son profil « centriste » qui lui permet de capter une partie de l’ancien électorat SPD. Il y aurait ensuite le risque de créer des tensions ouvertes avec la France et l’Italie. Enfin, comme l’a menacé Mario Draghi, pour compenser cette politique, la BCE serait tentée de lancer un assouplissement quantitatif sur les dettes souveraines. Autrement dit une mutualisation de fait de la dette européenne. Angela Merkel serait alors acculée, soit à la rupture avec la BCE et l’euro, soit à celle avec sa logique de durcissement. Les conséquences pourraient être très négatives.

Le maintien du statu quo

Troisième option : le statu quo. L’Allemagne continuerait alors sa stratégie qui, depuis un mois, consiste à manier la carotte et le bâton. On refuse toute stratégie de relance nationale et on s’en remet au plan Juncker qui doit faire avec les instruments existants. On réclame des réformes tout en acceptant les délais pour la consolidation budgétaire. Bref, on essaie de contenter tout le monde. Cette option est la plus probable dans la mesure où la montée actuelle des Eurosceptiques ne vient pas encore menacer le cœur de l’électorat CDU/CSU qui, dans les sondages, se maintient aux alentours de 40 %. Pas de raison de paniquer, donc, pour les conservateurs allemands. Mais cette option est aussi celui de l’immobilisme.

Une bonne nouvelle ?

En maintenant les cadres récessifs en place au niveau européen (pacte budgétaire, semestre européen…), cette stratégie continue de plomber les économies de la zone euro sans que ni les plans de relance, ni la politique de la BCE ne puissent agir réellement. C’est une politique qui rend pratiquement impossible, sauf au prix de sacrifices immenses, la convergence des économies européennes puisqu’elle se contente de demander une « dévaluation interne » du taux de change réels des « mauvais élèves », donc une baisse de leur coût du travail, de façon unilatérale, sans « réévaluation interne » rapide de l’Allemagne puisque Berlin ne veut pas perdre en compétitivité coût. Autrement dit, c’est la flèche de Zénon : à chaque « effort », l’effort à faire reste quasiment le même.

Cette politique n’est plus seulement nocive sur le plan économique, elle le devient sur le plan politique. AfD en Allemagne et le FN en France sont les deux faces très différentes (ils ne sont à peu près d’accord sur rien sauf sur la fin de l’euro) d’une même médaille : celui des effets de la politique imposée à l’Europe depuis 2010 par Angela Merkel. C’est cette politique qui a réussi ce coup de force de donner à de nombreux Allemands l’impression qu’ils payaient pour l’indolence des Européens du sud, tandis que ces derniers avaient l’impression de payer pour, précisément, ne pas déplaire aux contribuables allemands. Pour paraphraser Chateaubriand, on pourrait la résumer ainsi : « bon à personne, fardeau à tous. » La montée des contestations à cette politique pourrait donc n’avoir comme conséquence que son maintien. Un symbole de l’impasse dans lequel se trouve aujourd’hui l’Europe.

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Source : La Tribune / Par Romaric Godin, le 15.09.2014

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