Le ton paternaliste et conciliant des dirigeants occidentaux envers les nouvelles autorités de l’Ukraine est aux antipodes des valeurs humanitaires et démocratiques qu’ils exhortent les autres pays du monde à respecter. Une fâcheuse impression de déjà vu gagne immanquablement l’observateur qui se penche sans a priori sur la situation de cet État né dans le sillage de la dissolution de l’Union soviétique, et sur la politique mise en œuvre dans la région par l’Occident. Les déclarations fusent des deux côtés de l’Atlantique pour soutenir le « gouvernement légitime de l’Ukraine » resté sous le contrôle de la clique de nationalistes extrémistes radicaux qui l’a porté au pouvoir et ne représente pourtant qu’une toute petite minorité de la population ukrainienne. À vrai dire, ce qui se passe aujourd’hui en Ukraine n’est guère différent de ce qui s’est passé dans l’Allemagne des années 1930 avec l’ascension du chancelier Hitler au pouvoir. Ce sont les mêmes stratagèmes politiques qui sont utilisés. Ce sont les mêmes contraintes qui sont mises en œuvre. L’étude minutieuse des développements en cours et des manœuvres politiques qui les accompagnent permettra peut-être d’éclairer, du même coup, d’un jour nouveau, ce que nous savons des origines du nazisme dans l’Allemagne du vingtième siècle.
Leur idéologie
Les groupes néonazis ukrainiens ont joué un rôle majeur dans l’organisation du coup d’État perpétré à Kiev en février dernier. Le groupe qui fait parler de lui le plus souvent est celui que dirige Dmitri Yarosh : « le Secteur droit » (Pravy Sector). Yarosh est soutenu par les groupes paramilitaires fascisants qui se sont constitués en « forces d’autodéfense de Maidan » . Ces olibrius ne se privent pas d’exhiber leurs emblèmes néonazis (la croix celtique et une version revisitée de la croix gammée). Ils se posent en continuateurs des formations de la Ligue des nationalistes ukrainiens de Stepan Bandera, de l’Armée des insurgés ukrainiens et la Division galicienne des SS, auxquelles ils vouent outrageusement un culte sacré.
Le parti Svoboda est la vitrine politique du mouvement néonazi ukrainien. Il s’est vu octroyer presque la moitié des portefeuilles qui ont été attribués par le « gouvernement provisoire » à Kiev. Son chef, Oleg Tyahnibok, est l’un des trois piliers de la triade entrée dans l’histoire comme « l’état-major de l’Euromaidan ». Lors de la dernière élection, ce parti a recueilli plus de deux millions et demi de suffrages. Les résultats obtenus dans la partie occidentale de l’Ukraine montrent qu’ils disposent déjà dans cette région d’une assise électorale significative. Si on en croit leur programme, les partisans de Tyahnibok projettent d’ajouter aux passeports ukrainiens une rubrique obligatoire précisant l’appartenance « nationale » de façon à faciliter l’identification des juifs et des moscovites. Ils prévoient également l’extension à tous, à l’exception des malades mentaux, du droit de posséder des armes à feu, et l’ajout à la constitution d’une clause décrétant que le gouvernement en exercice se pose en continuateur de l’État ukrainien créé le 30 juin 1941, dont la proclamation officielle précisait que :
« Le nouveau pouvoir ukrainien travaillera en étroite collaboration avec le Parti national-socialiste des travailleurs allemands, qui s’applique à instaurer un ordre nouveau en Europe, et aide la nation ukrainienne à se débarrasser des moscovites qui occupent le pays. »
Un autre point du programme de Svoboda vaut d’être relevé : sa détermination à redonner à l’Ukraine son statut de puissance nucléaire, et à se doter d’un « arsenal de missiles nucléaires tactiques » .Peut-on imaginer un instant Dmiitri Yarosh dans les fonctions de président d’une nation ukrainienne indépendante, dotée de l’arme nucléaire ? …
Leurs méthodes de combat et leur tactique
Comme les nazis le firent en Allemagne dans les années 1920 et 1930, les néonazis ukrainiens se sont emparés du pouvoir au lendemain d’émeutes accompagnées d’assassinats. Les insurgés ont dénoncé la riposte pourtant bien timorée des autorités comme « une abolition de la liberté et une entreprise terroriste perpétrées par la juiverie communiste ». Les tentatives de résistance au coup d’État, dans la société civile, ont été qualifiées d’ « intrigues ourdies par les agents de Moscou ». Les maîtres de chœur de la propagande putschiste, mettant à profit la « liberté d’expression » dont ils jouissaient, ont tenté d’apitoyer le monde entier avec leurs jérémiades sur « l’écrasement des manifestations pacifiques ». Et quand ces cris d’orfraie ont cessé d’avoir les effets escomptés, de « mystérieux tireurs embusqués » se sont mis à massacrer la population des faubourgs de Kiev. C’est exactement de cette façon qu’Adolf Hitler et ses comparses sont arrivés au pouvoir en Allemagne. Ceux qui hier brandissaient leurs armes en prenant d’assaut les bâtiments de l’administration, qui tabassaient les opposants politiques, qui torturaient en public les agents officiels des forces de l’ordre de l’État et les journalistes, sont aujourd’hui portés aux nues et traités en héros. La junte de Kiev et les spadassins à sa solde tentent de réprimer par la force la résistance populaire qui s’organise dans le Sud-Est du pays, comme ils ont tenté de le faire à Donnetzk, à l’Est, le 13 mars dernier.
Les cortèges imposants des fascistes ukrainiens défilant avec leurs torches sortent tout droit du bréviaire nazi, avec leurs slogans repris en rengaines comme « l’Ukraine avant tout, par dessus tout au monde », « Gloire à la nation, Mort à ses ennemis », etc… Le drapeau noir et rouge de Stepan Bandera qui a été hissé à Kiev en face du parlement (Rada), est une allusion non dissimulée au drapeau rouge et noir de l’Allemagne nazie.
L’exaltation mystificatrice de la « révolution nationale » est martelée dans les esprits des citoyens ukrainiens subjugués par les événements survenus sur la place de l’Indépendance à Kiev, et restés soumis, en état de sidération, tels des zombies. Cette bouffonnerie a atteint les sommets aux premières heures du 22 février 2014 avec le déclenchement du coup d’État avant même que n’ait séché l’encre des signatures de l’accord de sortie de crise accepté la veille par les dirigeants de l’opposition. Cet accord qui bénéficiait de la garantie de l’Union européenne, et qu’avaient contresigné les ministres des Affaires étrangères de l’Allemagne, de la France et de la Pologne, était en réalité un coup ambitieux à double détente, une mesure dilatoire avant le déclenchement du coup d’État.
Leur mythologie
Le culte des « cent glorieux » de la place de l’Indépendance est la copie conforme du culte du Parti des Martyrs » de l’Allemagne nazie, à ceci près que ni même Adolf Hitler, ni ses comparses du putsch raté du 9 novembre 1923 n’avaient eu l’idée de louer les services de tireurs embusqués pour massacrer leurs propres partisans. Dans l’ombre des bannières qui proclament : « Ne trahissez pas les Cent Glorieux ! », un régime de fanatiques nationalistes est en train d’instaurer le contrôle absolu des moyens d’information, d’organiser la répression des opposants politiques, et de déclencher une psychose nationaliste à travers tout le pays. Les propagandistes néonazis proclament que toute remise en cause des méthodes totalitaires utilisées pour combattre les opposants sera considérée comme une trahison du « Parti des Martyrs ».
Le rêve d’édifier un État permettant d’unifier la nation allemande a toujours été la clé de voûte de la mythologie nazie. Pour le nouveau régime ukrainien, l’éradication de l’usage de la langue russe, dans tous les aspects de la vie courante, est une priorité impérieuse. Le désir infamant d’intégrer le pays dans l’Union européenne est érigé en devoir sacré par la mythologie du nouveau régime, comme si l’Europe était la planche de salut providentielle permettant d’échapper aux « hordes asiatiques barbares » de Moscou. Ironie cruelle, le mot « Maidan » est un mot d’origine asiatique, vestige de l’influence des hordes tartares et mongoles sur la culture russe-mineure.
L’instrumentalisation de la religion
Les thèses nationalistes extrémistes des homélies du « Patriarcat de Kiev » et de l’Église schismatique grecque-catholique uniate ont fourni aux militants de l’Euromaidan, et aux insurgés qui ont pris le pouvoir à Kiev, le socle de leur catéchisme. Or, l’Église Uniate a un lourd passé de collaboration avec les ligues nazies de Stepan Bandera. Les fonctions idéologiques et religieuses assignées au « Patriarcat de Kiev » par le nouveau régime sont en tous points similaires à celles attribuées jadis à l’Église évangélique allemande de Ludwig Müller par le troisième Reich. À l’instar des nazis qui se sont attelés, en leur temps, à la création d’une Église luthérienne nationale unifiée pour l’empire allemand, les nazis ukrainiens d’aujourd’hui défendent un programme où figure en bonne place la nécessité d’établir une Église nationale ukrainienne unifiée, distincte.
Les lois qu’ils proclament
Le premier haut-fait symbolique du nouveau régime ukrainien a été l’abolition de la loi sur les langues régionales, qui garantissait au plan local une relative protection des droits élémentaires des Ukrainiens de souche russe et des russophones, qui constituent la majorité du pays. Toutefois, celui qui se fait appeler « le président de l’Ukraine », Oleksandr Turchynov, a été vigoureusement encouragé à ne pas signer ce décret. Il a paru opportun, pour le régime, de suspendre pour un temps sa guerre linguistique contre les russophones. C’est désormais le néonazi russophobe Volodymyr Yavorivsky qui préside la commission chargée d’élaborer la nouvelle loi sur les langues de l’Ukraine, avec l’aide de la démente Irina Farion, la nouvelle titulaire du ministère de l’Éducation, qui menaçait encore tout récemment de déporter à l’Est les enfants qui persistent à vouloir conserver leur prénom russe. Selon l’un des membres de la commission, les auteurs de la nouvelle « loi » ambitionnaient de créer une « police linguistique » nationale. À cause des récriminations européennes, il a été décidé d’effacer provisoirement du texte de loi toute référence à la langue russe. (Le russe est la langue parlée la plus utilisée en Ukraine.)
Les premiers ballons d’essai de la clique au pouvoir à Kiev incluent également la coupure des chaînes de télévision russes opérant en Ukraine, et une politique de laisser-faire valant caution, à l’égard de la vague de destruction des monuments que les fascistes ukrainiens considèrent comme de fâcheux rappels des destins inséparables, à bien des égards, de l’Ukraine et de la Russie. Le parti Svoboda, qui est très largement représenté dans le « gouvernement provisoire », a déjà mis en avant la nécessité d’interdire l’utilisation de la langue russe sur la place publique. Il se propose de faire de la dérussification, qu’il place sur le même plan que la lutte pour l’éradication des activités criminelles, l’un des objectifs prioritaires de la nation. On a là un aperçu des premières expérimentations des équipages sur lesquels comptent les insurgés pour mettre au banc d’essai leur version revisitée des sinistres lois de Nuremberg.
Leur exercice du pouvoir
Encore sous la menace des armes des « forces d’autodéfense du Maidan », le Conseil suprême de l’Ukraine (Rada : organe législatif monocaméral), dont le fonctionnement actuel viole les dispositions constitutionnelles, vient d’adopter une résolution portant création d’une « Garde nationale » forte de 60 000 combattants. Ces forces d’intervention auront pour mission de protéger « l’ordre public » (à l’image de l’Ordre nouveau établi autrefois par les Allemands dans les territoires occupés) et de mettre fin aux « désordres » contrevenant aux dispositions de l’État d’urgence. Elles prêteront leur concours à la défense des frontières (avec la Russie, évidemment) et participeront aux opérations militaires en cas de guerre. Les « groupes d’autodéfense de Maidan » et de Pravy Sector (le Secteur droit) en seront le fer de lance.
Tout comme les sections d’assaut allemandes, ces bataillons, originaires pour la plupart de Lvov (la partie occidentale du pays) seront, à l’image des Waffen SS, à la fois des unités combattantes et des forces de répression. En leur temps, les nazis s’étaient rapidement débarrassés des généraux de la Wehrmacht qui avaient osé s’opposer à la création et à l’armement d’une « armée du parti ». Usant du même stratagème, le « Premier ministre » en exercice, Arseny Yatsenyuk, n’a pas hésité à limoger trois ministres délégués à la Défense qui avaient osé s’opposer à son plan effarant d’armer les militants de Pravy Sector.
En Ukraine, le ministère des Affaires intérieures, l’Office ukrainien de la Sécurité, et les services du procureur seront bientôt rangés au rayon des souvenirs. Une seule mission, simple, basique, leur a été assignée : l’identification des sceptiques et des opposants à seule fin de les punir. Dans tout le pays, les citoyens vigilants sont incités à utiliser les lignes rouges anonymes mises à leur disposition à grands renforts de publicité, pour « balancer » tout individu suspecté de velléités séparatistes. Les téléphones sont sur écoute. Les courriers électroniques sont espionnés. Les manœuvres d’intimidation et les menaces de poursuites judiciaires ou de convocation dans les bureaux des services de sécurité sont de notoriété publique. Des agents sous couverture prennent ouvertement des clichés de tout individu aperçu à proximité d’un rassemblement anti-fasciste. Une commission d’ajustement des services de l’État a été mise en place pour organiser l’éviction des « éléments non fiables ». La promulgation d’une amnistie générale absolvant les « héros de Maidan » de tous les crimes et délits pour lesquels ils étaient poursuivis, —y compris les assassinats— a servi de prélude à l’ouverture d’une cascade de mises en examen d’une toute autre nature : des inculpations ont ainsi été prononcées à l’encontre de prévenus soupçonnés d’être des séparatistes, des fédéralistes, ou encore d’avoir participé à la « prise » des bâtiments administratifs dans le Sud-Est du pays, etc… On assiste à la mise en place fulgurante d’un système de surveillance et de répression généralisé, échappant à tout contrôle. Ce système , qui s’applique à renforcer tous les services de répression de l’État, n’est pas autre chose que la version ukrainienne contemporaine de la Gestapo allemande d’autrefois.
La répression des opposants au régime néonazi de Kiev prend de telles proportions que le pays pourrait bientôt connaître lui aussi sa nuit de cristal, à l’image de celle orchestrée en novembre 1938, à travers toute l’Allemagne, par les bataillons de choc nazis.
La Russie peut-elle rester impassible devant l’imminence de ce danger ? Ceux qui ont été convoqués, interrogés, et envoyés à la torture dans les geôles des services de sécurité ukrainiens se comptent déjà par dizaines. Dans quelque temps, ils seront des centaines, puis des milliers…
Pour autant, les complices des néonazis de Kiev qui siègent à Washington et à Bruxelles, ne témoignent pas le moindre signe de regret après l’échec du plan qu’ils ont ourdi pour obliger la Russie à abandonner l’Ukraine. lls croient tenir en laisse la bête néonazie qu’ils ont bercée, choyée et engraissée.
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Source(s) : RÉSEAU VOLTAIRE / Oriental Review / Traduction : Gérard Jeannesson, le 28.03.2014