Le régulateur américain, la Federal Communications Commission (FCC), se donne jusqu’au 15 mai pour valider sa nouvelle réglementation qui, si elle est confirmée, remettrait totalement en cause le principe de la neutralité du net au profit des FAI.
La neutralité du net est un principe simple : une égalité de traitement entre tous les flux de données transitant sur internet, sans discrimination, quelle qu’elle soit.
Néanmoins, de l’autre côté de l’Atlantique, les FAI et opérateurs télécoms semblent sur le point de remporter une manche décisive. Entrés dans une guerre ouverte contre ce principe depuis plusieurs années, la guerre semble sur le point d’être remportée.
En effet, dès 2008 la Federal Communications Commission avait entamé des démarches pour sanctionner Comcast coupable d’avoir abaissé les débits concernant les P2P. En 2010, une cour d’appel avait infirmé ce jugement considérant qu’il n’était pas de sa compétence de prendre une telle décision. Peu à peu, au gré des accords entre FAI et géants du web, les compromissions se faisaient jour. Puis, comme nous vous le signalions, en janvier, une cour d’appel américaine (une autre) venait régler son compte à la FCC dans une décision sans précédent en affirmant que la commission n’avait pas l’autorité légale pour réglementer les câblo-opérateurs et leur imposer une telle règle. Elle l’avait ainsi jugée inconstitutionnelle.
Depuis la FCC a donc mis de l’eau dans son vin. Mercredi 23 avril, elle a annoncé qu’elle proposerait un ensemble de règles ce jeudi visant à modifier la réglementation encadrant ce principe : tout FAI se verra accorder le droit d’offrir un traitement préférentiel à certains sites web moyennant compensation. Ainsi, Google, Disney, Youtube ou encore Netflix pourront, contre rémunération à Verizon ou Comcast – FAI – cela s’entend, bénéficier d’une connexion plus rapide pour leurs contenus, comme le précise le New York Times.
Si cela est acté, nous aboutirions donc à un internet à deux vitesses. D’un côté un boulevard offert à qui peut se le payer, de l’autre une départementale obstruée où chacun se débrouille avec ce qu’il a.
Comme le précise Nextinpact – citant le Wall Street Journal -, selon une source anonyme pour la FCC, « les fournisseurs d’accès auraient l’obligation de proposer base minimale de service à leurs clients, ainsi que la possibilité d’entrer dans des négociations individuelles avec les fournisseurs de contenus » et d’expliquer que « dans tous les cas, les fournisseurs d’accès auraient besoin d’agir d’une manière commercialement raisonnable et sujette à acceptation au cas par cas ».
Belle déclaration d’intention, mais assez vaste et floue pour l’interpréter à son bon vouloir. Une « base minimale de service » ou vitesse minimale : qu’elle est t-elle ? Qui fixe les modalités de cette base minimale ? « Possibilité d’entrer dans des négociations individuelles avec les fournisseurs de contenus» : les négociations risquent de tourner court entre un Google qui proposera un chèque à 6 chiffes par exemple et un site lambda avec ses trois sous en poche. Les FAI devront agir d’une manière «commercialement raisonnable » : ce sera à la discrétion de la FCC de définir ce qui l’est ou ne l’est pas.
Néanmoins du côté de la FCC, point de retour en arrière ou quelconque remise en cause de la neutralité du net. Pour son président Thomas Wheeler :
Il existe des rapports selon lesquels la FCC est en train d’enterrer la règle de l’internet ouvert. Ils sont totalement faux. Il n’y a aucun revirement dans notre politique. Les mêmes règles s’appliquent à tous les contenus internet. Comme avec les règles originales […], et en accord avec la décision de la cour, les comportements qui nuisent aux consommateurs ou à la compétition ne seront pas autorisés.
Certes. M. Wheeler se garde pourtant bien de parler d’une quelconque discrimination ou avantage à l’un ou l’autre. Et précise que la FCC préservera la neutralité du net grâce à une certaine transparence des services. Les fournisseurs d’accès doivent rendre compte à leurs clients des mesures mises en place. Les utilisateurs devront donc être tenus au courant de ce qui a été conclu entre les opérateurs concernant la mise en avant de certains sites web plutôt que d’autres. Par ailleurs,la FCC tente de garder la main dans les tractations qui se joueront entre FAI et éditeurs en précisant que c’est elle devra déterminer « au cas par cas » ce qui est acceptable ou non.
Tom Wheeler, président de la FCC – Daniel Rosenbaum pour The New York Times
Cependant cela n’a pas suffi pour calmer les associations américaines qui ne décolèrent pas. Pour Craig Aaron de Free Press (cité par nextinpact): « cette proposition, la FCC aide et encourage les plus gros FAI dans leurs efforts pour détruire l’Internet ouvert ».
Chez l’ACLU (American Civil Liberties Union) : « Si la FCC adopte ce revers dans sa politique sur la neutralité du net, des barrières s’élèveront contre l’innovation, l’échange des idées sur internet sera réduit et les consommateurs en paieront finalement le prix ».
En effet les start-up pourraient vite se retrouver étouffées par ces nouveaux frais. Pour Marvin Ammori de New America Fondation (think thank) : « Le risque, c’est de limiter l’innovation en accordant un avantage compétitif aux acteurs déjà en place. Imaginez si MySpace avait pu payer pour limiter le développement de Facebook« .
Par ailleurs, ce ne sont pas les multinationales du web qui sont en premières lignes dans cette bataille, mais bien les FAI qui souhaitent faire payer leur « traitement préférentiel » afin d’entretenir leur réseau. C’est bien la qualification de « services publics réglementés » des FAI qui est mis sur la table. Pour eux, ils n’ont aucune vocation à remplir ce rôle et donc se considèrent dans leur droit de proposer un tel traitement différencié.
Bien qu’ils soient avantagés par les moyens dont ils disposent, les géants du web n’auront finalement pas grand choix si les FAI obtiennent gain de cause. S’ils refusent de passer à la caisse, leurs concurrents se feront un plaisir de prendre le créneau rendu disponible. Comme le souligne Silicon Valley, le patron de Netflix a déjà annoncé qu’il ne pourrait pas faire autrement que de payer. Si ses abonnés paient un service, la moindre des choses est qu’ils se retrouvent avec un service de qualité, accessible et rapide.
Le risque est d’aboutir à une situation de quasi monopole des FAI. Aux États-Unis le choix est très restreint quant au choix d’un opérateur, les sites n’auront donc d’autres alternatives que de payer.
Cependant, la crainte principale est dirigée vers l’internaute. C’est lui qui en bout de course pourrait payer le prix (fort ?) de cette cavalcade au haut débit. Quid des abonnements différenciés ? De la qualité de service si on choisit de conserver son internet de base.
photo du blog Silicon Valley
Pour l’instant rien n’est joué et donc, rien n’est perdu, ces propositions devant être votées pour validation par les membres de la Commission lors d’une réunion le 15 mai. Cinq membres la composent dont le président. Outre ce dernier, celle-ci est composée de deux républicains et deux démocrates. Siliconvalley n’hésite pas à rappeler qu’avant d’être président de la FCC, Thomas Wheeler était lobbyiste pour les FAI…
Il semblerait qu’on se dirige donc vers une scission entre États-Unis et Europe sur le sujet. Dans sa première interview, Axelle Lemaire, nouvelle Secrétaire d’État au Numérique précisait sa politique en la matière et par la même la position de la France :
« Je suis favorable à une neutralité qui est clairement affirmée et dont le principe s’applique aux réseaux comme aux grandes plateformes de services. »
Le Parlement européen a par ailleurs consacré le principe de la neutralité du Net dans ses textes au début du mois d’avril.
À n’en pas douter, ce revirement américain (ou cette continuité) sera longuement discuté jusqu’à la décision finale du 15 mai. Notamment au NetMundial qui se déroule actuellement au Brésil où il est question de gouvernance mais également de neutralité du web. Dans son discours d’ouverture la présidente du Brésil, Dilma Rousseff, n’avait pas hésité à proclamer qu’il fallait «désaméricaniser internet ».
En co-organisant le forum mondial, les États-Unis souhaitaient donner des gages d’ouverture après avoir annoncé vouloir abandonner l’Icann à l’horizon 2015 et constaté que les révélations de Snowden sur la NSA avait passablement émoussé ses relations avec le Brésil et d’autres pays ciblés .
Que penser alors de cette remise en cause de la neutralité du net alors même que le forum NetMundial, mené par le Brésil, se donne pour objectif de faire voter à tous les participants (venus de plus de 80 pays) une déclaration finale affirmant son attachement aux principes tels que la liberté d’expression, d’association, la protection de la vie privée… et la neutralité du net ?
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Source(s) : 01netTV (La Chaîne Techno) / YouTube / Le Journal du Geek / Par Elodie, le 24.04.2014