Voiture électrique : Salon de l’automobile Auto China à Pékin, 20 avril 2014. Volkswagen lance une campagne de communication sur l’électromobilité en même temps qu’il annonce la commercialisation de ses voitures électriques e-Up et e-Golf.
À cette occasion Martin Winterkorn, le PDG de Volkswagen AG, ne manque pas de vanter les qualités écologiques de ses automobiles : “Tous ces véhicules sont très efficaces et respectueux de l’environnement [eco-friendly]. Et en même temps ils sont sources d’un grand plaisir de conduire. C’est exactement ce que les gens attendent de Volkswagen dans le monde entier, et ici en Chine. Grâce à notre stratégie de fabrication modulaire, qui sera aussi déployée dans nos usines chinoises, nous pouvons électrifier à peu près n’importe quel modèle de notre gamme.[…] nous sommes sur la voie d’un futur sous le signe de la mobilité sans émission.”
Une voiture électrique au charbon
Martin Winterkorn ne peut pas ne pas savoir que l’électricité chinoise est fabriquée très majoritairement avec du charbon, et que déportées dans les cheminées des centrales électriques chinoises, les émissions des voitures électriques n’en seront pas moins très importantes, au moins aussi importantes que celles des voitures à moteur thermique, sans compter les innombrables autres pollutions liées à l’extraction et à la combustion du charbon.
L’orgie automobile chinoise
Insignifiant au début du siècle, le marché chinois de la voiture particulière dépasse celui des Etats-Unis en 2010 avec plus de 11 millions de voitures vendues. Il devrait dépasser 16 millions de voitures en 2015 ; et 22 millions en 2020, soit davantage que l’ensemble du marché nord-américain ou du marché européen.
En même temps la part des citadins chinois passera de 17% en 2011 à 58% en 2020 et ce sont les grosses berlines 4X4 (SUV) qui devraient connaître la plus forte croissance pour atteindre 22% du marché en 2020.
Source McKinsey, “Bigger, better, broader, a perspective on China auto market in 2020”.
Que notre lecteur ne se méprenne pas, cet article ne vise pas à mettre en cause une technologie et encore moins un constructeur particulier, mais à montrer comment notre conscience environnementale peut être leurrée par des raisonnements réducteurs, et comment les constructeurs automobiles ne se privent pas d’en profiter.
Toutefois, s’il est normal qu’un industriel développe des arguments publicitaires et marketing pour vendre ses produits, il est surprenant que, tant du côté de la puissance publique que de la presse, si peu de voix dénoncent un “zéro émission” qui nous apparaît comme une supercherie dans la plupart des pays du monde. L’étude de l’Ademe sur le sujet, publiée en France à la fin 2013 est d’ailleurs passée presque inaperçue (voir plus loin).
Voiture électrique, combien de kWh aux cent km ?
La consommation du modèle e-Up de Volkwagen est de 11,7 kWh aux cent kilomètres. C’est une consommation annoncée et non une consommation contrôlée par un organisme certificateur selon un test standard.
Pour estimer une marge d’erreur, nous laissons le soin à notre lecteur de comparer la consommation réelle de sa voiture avec celle annoncée par son constructeur – pourtant validée par un organisme certificateur, ce qui n’est pas encore le cas de la VW e-Up.
Ajoutons que les consommations des voitures électriques ne tiennent pas compte de l’utilisation du chauffage (fourni gratuitement par une voiture thermique, mais fourni par la batterie dans une voiture électrique), ni de l’usage éventuel de la climatisation ou de l’éclairage (mais c’est la même chose pour une voiture thermique).
Pour nous faire une idée, l’EPA, l’Agence de l’environnement des États-Unis (1), donne une consommation de 18 kWh aux cent km en cycle mixte pour la petite Fiat 500e ; et 20 kWh aux cent pour la Smart Fortwo electric ; et 23,75 kWh au cent (un exploit technique) pour la berline haut de gamme Tesla Model S (capture d’écran ci-dessus, regardez le petit nombre exprimé en kWh par mile et divisez par 1,6).
Dans la vie réelle, la consommation d’une voiture électrique moyenne en usage urbain, est donc très probablement de l’ordre de 25 kWh aux cent kilomètres. Mais gardons le chiffre de 11,7 kWH aux cent kilomètres annoncé par VW pour sa e-Up et calculons les émissions.
En chine la production d’un kWh d’électricité (à 72% au charbon [2]) émet de l’ordre de 770 g de CO2 par kWh (estimation sur la base de 812 g en 2009, dernier chiffre disponible dans la base de données Carma [3]).
Comment calculer les émissions de CO2 de la voiture électrique ?
Comme pour une voiture à moteur thermique, la consommation d’une voiture électrique s’entend depuis le réservoir, donc depuis la batterie. La question est la suivante : combien une centrale électrique chinoise doit-elle produire d’électricité pour stocker 1 kWh dans la batterie d’une voiture ?
Réponse : selon les chiffres de l’Agence internationale de l’énergie pour la Chine [4], les pertes dans le réseau de transport et de distribution de l’électricité, l’autoconsommation des centrales, et l’électricité nécessaire au cycle du combustible s’élèvent à 18 % de la production (à peu près comme en France, [5]). Ajoutez les pertes dues à la conversion du courant alternatif en courant continu dans le chargeur (5%, notre évaluation), et celle de la conversion de l’électricité en énergie chimique dans la batterie (5%, notre évaluation), et c’est plus du quart (26%) de l’électricité produite par la centrale qui n’arrive pas dans la batterie de l’automobiliste électrique. Il faut donc produire 1,35 kWh d’électricité [6] à la centrale pour charger 1 kWh dans la batterie.
Et si on raisonne en quantité d’énergie générée à la centrale par la combustion du charbon (ou la fission de l’uranium) c’est 4 kWh de dépense énergétique qui sont nécessaires pour “mettre” un 1kWh d’électricité dans la batterie, mais c’est une autre histoire. Revenons à nos moutons.
Sur la base du chiffre fourni par Volkwagen, en Chine la production de CO2 au km est de : (11,7 x 1,35 x 770) / 100 = 121 g au km soit sensiblement la même chose qu’une voiture moyenne à moteur thermique. En se basant sur les chiffres de consommation de L’EPA, les émissions d’une Smart Fortwo en Chine, seraient de l’ordre de 206 g de CO2, soit deux fois plus que les émissions des meilleures voitures diesel. Notez que notre réflexion ne tient compte ici que du CO2 et pas des quantités gigantesques d’autres polluants générés par les centrales à charbon.
Analyse de cycle de vie
Une vraie comparaison de la voiture électrique et de la voiture thermique supposerait toutefois une analyse du cycle de vie. C’est ce qu’a réalisé l’Ademe [7], montrant l’avantage de la voiture électrique par rapport à une voiture diesel dans la France nucléaire, mais pas en Allemagne dont 40% de l’électricité est encore produite par du charbon. Ceci étant le résultat de l’étude dépend beaucoup du chiffre des émissions de CO2 du kWh nucléaire, chiffre qui varie d’un facteur 1 à 10 selon les camps (l’Ademe prend 110 g). Reste qu’en 2035, de toute façon, 40% de l’électricité du monde viendra encore du charbon (selon l’Agence internationale de l’énergie).
Notez enfin, mais c’est assez difficile à comprendre, que tant qu’il reste une proportion notable de centrales électriques au charbon dans un territoire donné, il est préférable, au plan des émissions de CO2, de ne pas rouler à l’électricité (voir notre article Voiture électrique combien de CO2 ? ).
En Chine, la consommation de charbon pour produire de l’électricité ne cessera d’augmenter en valeur absolue jusqu’en 2030 même si sa part relative baissera à 58 % [ibid, 1]
Électrique ou pas, la voiture urbaine est une aberration écologique
L’exemple chinois nous montre que les constructeurs sont prêts à s’asseoir sur toute velléité de bonne conscience environnementale dès lors qu’il s’agit de faire des affaires. Avec eux les lobbies du pétrole, du charbon, des travaux publics, et plus spécifiquement pour la voiture électrique, les promoteurs du nucléaire.
Curieusement, à notre connaissance, aucune étude sérieuse ne montre le coût réel de l’automobile au km parcouru en zone urbaine (coût de la voiture, du carburant, de l’entretien, de l’infrastructure et de l’administration routière) ; encore moins le coût social et environnemental (temps perdu dans les encombrements, impact sur la santé, sur la consommation de terres agricoles…) ; et jamais la vitesse réelle d’une voiture dans les grandes agglomérations n’a fait l’objet d’une étude globale prenant l’ensemble du temps consacré à la voiture.
Car rappelons que la vitesse c’est le nombre de kilomètres parcourus divisé par le temps passé. Reste que le temps passé, n’est pas seulement celui passé dans sa voiture, mais également celui passé à travailler pour acheter la voiture, payer le carburant, l’assurance, l’entretien, les impôts nécessaires à la construction et à l’administration du réseau routier.
Il est fort probable que la vitesse réelle en zone urbaine, calculée sur ces bases, soit à peine supérieure à celle d’un homme à pied et que, collectivement parlant, l’automobile sous sa forme actuelle, électrique ou pas, soit une catastrophe. On pourra se référer à une étude du Commissariat à la prospective pour qui “le mode d’usage actuel de l’automobile est incompatible avec les exigences énergétiques et environnementales“ .
En Chine, la publicité montre la voiture comme un outil de liberté, de puissance, de plaisir (sur de belles routes de montagnes par exemple), et la promeut comme un signe d’émancipation sociale sans lequel il serait impossible de séduire une femme. Si ça vous rappelle nos trente glorieuses, lisez l’excellent ouvrage d’un collectif de chercheurs et d’historiens français “Une autre histoire des Trente Glorieuses : Modernisation, contestations et pollutions dans la France d’après-guerre”, ouvrage qui dénonce le mythe d’une vie meilleure pour le plus grand nombre mesurée en quantité de biens d’équipements (9).
Notes
1) www.fueleconomy.gov
2) Source Bloomberg New Energy Finance
3) Carma, Carbon Monitoring for action
4) IEA, Statistics, China (People’s Republic of), Electricity and Heat, 2011.
5) Voir à ce sujet l’excellent article de Bernard Laponche, physicien nucléaire, expert en politiques de l’énergie
6) 1 / 0,74
7) Ademe, Analyse du cycle de vie comparative véhicule électrique – véhicule thermique – Nov. 2013
8) L’étude montre que la consommation d’énergie primaire du véhicule électrique est inférieure à celle d’un véhicule thermique essence sur l’ensemble de son cycle de vie et légèrement supérieure à celles d’un véhicule thermique diesel. Les résultats sont équivalents en France et en Allemagne. Le véhicule électrique français a un impact potentiel de changement climatique inférieur au véhicule thermique à partir de 80 000 km. Il est équivalent en Allemagne jusqu’à 200 000 km (limite supérieure de l’étude).
9) Une autre histoire des trente glorieuses. Céline Pessis, Sezin Topçu, Christophe Bonneuil. Éditions La Découverte.
En ouverture, photo de la centrale chinoise au charbon de Linfen. Photo CC, Bert van Dijk
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Source(s) : dd Magazine / Par YVES HEUILLARD, le 23.04.2014