Pour eux, la pilule est dure à avaler. À quatre jours d’une manifestation nationale contre la prolongation de l’état d’urgence, la nomination de Jean-Jacques Urvoas au ministère de la Justice, après la démission de Christiane Taubira, mercredi 27 janvier, a piqué au vif les défenseurs des libertés publiques et numériques. Quelques minutes après l’annonce, une vague de réactions alarmées s’est répandue sur le réseau social Twitter, esquissant un portrait peu flatteur du député socialiste, présenté comme le maître d’oeuvre de la dérive sécuritaire du gouvernement.
Jean-Jacques Urvoas à la Chancellerie, c’est l’architecte du “Big Brother français”, la loi Renseignement dont il était le rapporteur, qui prend les rênes du très sensible projet de loi Taubira, qui doit inscrire dans le droit commun des mesures d’exception réservées à l’état d’urgence. “Savoir qu’il va être piloté et défendu par Jean-Jacques Urvoas n’est pas de nature à nous rassurer”, dit à RTL.fr Adrienne Charmet-Alix, responsable de l’organisation La Quadrature du Net, qui affirme avoir reçu une dizaine de messages de condoléances (twitter.com/AdrienneCharmet/status/692262290230476800) en dix minutes ce matin.
“Un fidèle soldat du ministère de l’Intérieur”
Spécialiste et passionné des questions de sécurité, ce proche de Manuel Valls lorgnait plutôt vers le ministère de l’Intérieur. En avril 2014, il n’avait pas caché sa déception de ne pas avoir été appelé à la place de Bernard Cazeneuve. Dans un ouvrage daté de 2011, il préconisait la fusion des ministères de la Justice et de l’Intérieur au sein d’un “grand ministère de la Règle et du Droit” afin de “provoquer un choc salutaire”. Pour les militants des libertés numériques, sa nomination vient confirmer le virage sécuritaire de l’exécutif.
“Jean-Jacques Urvoas est un fin juriste, très habile politiquement, tout le monde le reconnaît. Mais à moins que la vocation lui vienne avec la fonction, il y a peu de chance de voir s’inverser cette tendance lourde au dessaisissement de la justice, du juge judiciaire, au profit du juge administratif et de la police. On craint qu’il ne fasse rien contre ça, bien au contraire, s’inquiète Adrienne Charmet-Alix. Depuis deux ans, on a une succession de lois sur les questions de sécurité, de renseignement et de police et Urvoas a toujours été un fidèle soldat du ministère de l’Intérieur à l’Assemblée nationale, défendant bec et ongles ses positions. Ce n’est pas rassurant pour l’équilibre des pouvoir”.
Les opposants à la loi Renseignement ? “Des exégètes amateurs”
Adversaire de la loi Lopssi 2 pendant la présidence Sarkozy lorsqu’il était sur les bancs de l’opposition, Jean-Jacques Urvoas s’est mué ces dernières années en “bras parlementaire armé” des dernières réformes sécuritaires du gouvernement, écrit le site spécialisé Numerama. Élu président de la Commission des lois de l’Assemblée nationale en 2012, il a ardemment soutenu la loi antiterroriste de 2014, qui a institué le blocage de sites internet sans l’aval d’un juge, la loi de programmation militaire de 2014, qui a étendu les pouvoirs de surveillance, avant d’être le rapporteur de la loi Renseignement, promulguée à la fin du mois de juillet 2015.
Aux yeux de ses opposants, il est celui qui a légalisé la mise en place d’une surveillance électronique de masse, notamment à travers l’utilisation de valises espionnes pour intercepter les échanges téléphoniques, ces mêmes Imsi-catchers qui pourraient bientôt être utilisés dans des enquêtes de délinquance, si l’avant-projet de loi Taubira est adopté en l’état. Au plus fort des débats autour de la loi Renseignement, il avait qualifié d’“exégètes amateurs” les défenseurs des droits et libertés publiques qui pointaient les dangers du texte.
Le loup dans la bergerie ?
“Préposé aux missions périlleuses”, comme le formule Libération, Jean-Jacques Urvoas a été récemment rapporteur de la loi sur l’état d’urgence de novembre 2015. Il a également pris la tête du dispositif de contrôle de l’état d’urgence, “pour évaluer la pertinence des moyens mobilisés (…) et signaler le cas échéant tout risque d’abus”, expliquait-il début décembre. “Avec sa commission de contrôle, il a paralysé toute critique parlementaire de l’état d’urgence en faisant croire qu’il contrôlait alors qu’il est main dans la main avec le ministère de l’Intérieur“, lui oppose Adrienne Charmet-Alix.
“Le loup est désormais dans la bergerie”, regrette Numerama, pour qui l’arrivée d’Urvoas à la Chancellerie “scelle la mise sous tutelle de la place Vendôme au profit de la place Beauvau”. “C’est quelqu’un qui est clairement du côté de la police et des services de renseignement. Ça ne lui pose pas de problème que la justice ne soit pas consultée”, abonde Adrienne Charmet-Alix, qui ne regrettera cependant pas Christiane Taubira outre-mesure, “vu ce qu’elle n’a pas fait depuis deux ans, notamment sur la question du terrorisme et du renseignement où elle a été complètement effacée devant l’Intérieur et Manuel Valls sur le dessaisissement des juges judiciaires face à la police, aux services de renseignement et la justice administrative”.
Source : RTL 27 janvier 2016