Hausse de la TVA : Lobbys qui rient, lobbys qui pleurent

Hausse de la TVA : DÉCRYPTAGE A partir de ce 1er janvier, les Français vont payer plus cher de nombreux biens et services. Mais cette refonte des taux n'est pas tout à fait conforme à ce qui avait été prévu.

La “remise à plat du système fiscal” voulue par Jean-Marc Ayrault n'y aura rien changé. A compter de ce mercredi 1er janvier 2014, la plupart des biens et services sont soumis à des taux de TVA plus élevés. Après avoir abrogé la TVA sociale de , assume maintenant la sienne, pour financer le crédit d'impôt CICE aux entreprises.

Mais le gouvernement insiste sur ses modalités, différentes. La version de droite prévoyait de monter le taux principal de 19,6% à 21,2% et donc de taper un peu sur tout le monde. La version de gauche préfère limiter la hausse du taux normal, à 20%, et relever avant tout le taux intermédiaire, de 7 à 10%, ne pénalisant que quelques secteurs mais plus lourdement.

Pourquoi jouer sur le taux intermédiaire ?

L'avantage: cibler le taux intermédiaire, ne visant que quelques produits et services qui ne font pas partie des dépenses essentielles des ménages (principalement les restaurants et hôtels, les travaux de rénovation dans les logements), c'est rendre ce relèvement de TVA moins injuste. Un argument massue pour les socialistes, qui n'aiment pas beaucoup cet impôt forfaitaire à la connu pour pénaliser comparativement plus les pauvres que les riches. De fait, selon les calculs de l'Institut des politiques publiques (École d'économie de Paris), ce relèvement-là aura même un effet “légèrement redistributif”, impactant plus le pouvoir d'achat des plus aisés que celui des plus modestes.

L'inconvénient: concentrer le feu sur quelques secteurs leur rend forcément la facture très douloureuse… d'autant qu'elle avait déjà été salée par un premier réhaussement de leur taux il y a deux ans, de 5,5 à 7%. Du coup, leurs lobbies -associations, fédérations, syndicats professionnels- se sont déchaînés dans la rue, les médias et en coulisses, dans les étages des ministères et les couloirs de l'Assemblée nationale et du Sénat, jusqu'au sommet de l'État. Leur bataille: échapper à la hausse en réclamant… une baisse, c'est-à-dire de passer au taux réduit de TVA, de 5,5%, a priori réservé aux produits de première nécessité (, eau…).

“A chaque budget, nous subissons la pression des lobbies, mais sur la TVA, le harcèlement a atteint des sommets!” soupire Christian Eckert, particulièrement exposé à son poste stratégique de rapporteur de la commission des finances de l'Assemblée. Tout a été bon pour argumenter, chantage à l'emploi ou plaidoyer d'utilité publique…

Le secteur du bâtiment a bien défendu ses intérêts

Deux grands secteurs sont concernés au premier chef par la montée de la TVA à 10% : la restauration et hôtellerie, et les travaux dans les logements. Pour les hôteliers et restaurateurs, la partie était perdue d'avance : Sarkozy les avait choyés en 2009 en descendant leurs tarifs du taux normal (19,6 %) au taux réduit (5,5 %) ; l'opposition n'avait alors cessé de dénoncer ce choix coûteux, sans que les engagements pris par la profession aient été entièrement tenus. Du coup, le principal syndicat d'hôteliers et de restaurateurs, l'Umih a tempêté pour la forme contre le “matraquage fiscal”, alerté sur le “suicide annoncé, alors qu'il n'y a jamais eu autant de défaillances de nos entreprises”, sur le fond, il s'est résigné. Le pire eut été de revenir au taux normal !

Les artisans du bâtiment ont bien mieux tiré leur épingle du jeu. La Fédération française du bâtiment (FFB) et, surtout, la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb) ont mobilisé leurs troupes pour des manifestations dans tout le pays le 13 septembre contre la “sur-pression fiscale” alors que leur secteur est frappé de plein fouet par la crise, des centaines de plombiers, carreleurs et autres électriciens sont allés occuper le viaduc de Millau.

Sans coup férir, ils ont obtenu le coup de pouce quémandé. Le ministre de l', Philippe Martin, a annoncé un abaissement à 5,5% pour les travaux de rénovation thermique des logements… dont le périmètre n'a cessé, au fil des annonces, de s'élargir ! Au départ, il s'agissait des seuls travaux d'isolation thermique, puis de tous les travaux de rénovation thermique, incluant les nouvelles chaudières et autres chauffages, puis le rabais s'est étendu aux travaux dits “induits, comme les destructions de cloisons, l'enlèvement de parquets ou de vieilles fenêtres.

Du coup, la TVA à 5,5% s'applique à plus de 40% du total des travaux de rénovation des logements. De quoi aider à atteindre l'objectif gouvernemental de 500.000 rénovations énergétiques de logements chaque année d'ici 2017. Et ce n'est pas tout. Car le gouvernement a également pour objectif de pousser à la construction de 150000 HLM chaque année. C'est pourquoi la ministre du logement Cécile Duflot n'a pas eu de mal à obtenir le même sésame des 5,5% pour la construction et rénovation de logements sociaux.

Dans les transports, seules les ambulances échappent à la hausse

Rabais au nom de l'écologie ou du social: les reculs de Bercy ne sont pas forcément injustifiés… mais restent à géométrie variable. Ainsi, le ministère des Finances a résisté à la pression des élus locaux, pourtant majoritairement socialistes, sur deux secteurs affectant les finances des collectivités territoriales, où, pourtant, l'argument écologique (et même social) était brandi à bon droit. Il s'agit d'abord de la collecte des déchets ménagers.

L'Association des maires de France (AMF) a eu beau avertir que “la nouvelle hausse, qui aboutit à un quasi-doublement de la charge de TVA en deux ans, se traduira inéluctablement par une augmentation du coût du service pour les habitants” et “considérant qu'il s'agit d'un service essentiel pour la population”, revendiquer l'abaissement à 5,5%, rien n'y a fait.

Surtout, il s'agit des transports collectifs. Pas très “politically correct” d'augmenter les taxes sur ces transports, qui sont utilisés par de nombreux Français (et représente pour eux une dépense obligatoire) et dont les pouvoirs publics sont plutôt censés encourager le développement. Mais les protestations sont restées vaines. Du coup, le syndicat des transports d'Ile de France (Stif) a annoncé qu'il répercuterait strictement la hausse de TVA en relevant ses tarifs des métros, RER, tramways, métros et bus, de 3% au 1er janvier.

Même augmentation pour les billets de train, dénoncée par le président de la SNCF, Guillaume Pepy, qui culpabilise le gouvernement : “dommage que l'impôt pèse sur l'attractivité des transports collectifs!” 

Seule exception: les ambulances. Après quelques opérations escargot gyrophares allumés, les ambulanciers ont gagné. Bercy a fait pression sur la Caisse d'assurance-maladie pour qu'elle revalorise leurs tarifs de sorte à absorber la hausse de TVA. Et tant pis pour le trou de la Sécu.

Le lobby du cinéma a bien défendu sa cause

D'autres secteurs concernés, plus petits mais aux lobbies pas forcément moins puissants, ont aussi su décrocher le jackpot du taux réduit, en s'appuyant toujours sur l'argument du bien public. Ainsi, la Fédération nationale des cinémas français (FNCF) n'a pas eu besoin d'élever la voix : dès mi-septembre, avant toute discussion budgétaire, la ministre de la Culture Aurélie Filippetti annonçait que la TVA sur les billets de cinéma serait ramenée à 5,5%… par la grâce de la fameuse “exception culturelle”, qui l'avait déjà poussée, il y a un an, à rabaisser la TVA sur les livres.

En revanche, le très actif lobby du cinéma n'a pas réussi à arracher le même rabais pour les abonnements de chaînes payantes (qui peuvent difficilement passer pour des produits de première nécessité !), malgré son soutien à , grand argentier des films français. Autre victoire facile de Filippetti : accorder le taux réduit aux importations d'œuvres d'art afin de “préserver l'attractivité de la place française dans un marché de l'art très mondial”.

Les galeristes, antiquaires et maisons d'enchères, qui ont jusqu'ici gagné tous leurs combats fiscaux, peuvent encore une fois s'en réjouir. Dans l'inventaire à la Prévert des discounts de dernière minute, on trouve aussi les engrais naturels pour l' biologique. Et les préservatifs… mais les fabricants et associations anti-sida regrettent que le ministère de la n'ait pas pensé à inclure dans le rabais les lubrifiants (qui vont souvent de pair), taxés, eux, à 20% !

Des reculades coûteuses pour l'État

Au bilan, le résultat de toutes ces reculades de Bercy vont priver le Trésor public de 1,5 milliard d'euros… qui ne seront que seulement partiellement compensés par les 750 millions que rapportent le renoncement du gouvernement à baisser, comme initialement promis, le taux réduit sur les produits de première nécessité, de 5,5 à 5%!

Reste un cas particulier, explosif tant ce lobby est redoutable en France : la filière cheval. Là, c'est la Commission européenne qui exige de faire grimper la TVA de 7 à 20%. Selon , le taux réduit de TVA est réservé à la vente de chevaux destinés à l' ou à la production agricole et ne peut donc s'appliquer aux chevaux de course ou utilisés pour les loisirs. La France bataille depuis 2002 avec la Commission pour garder la filière à l'abri mais, en mars 2012, la Cour de européenne a confirmé que la situation française n'était pas conforme à la directive TVA.

Certaines activités, comme la course et l'élevage, sont déjà passées au taux plein début 2013. Les centres équestres, jusque-là sous régime dérogatoire, devront obtempérer au 1er janvier. Une mobilisation sans précédent s'est levée pour “que la France ne cède pas au diktat de ”, dixit la Fédération française d'équitation (FFE), la troisième fédération sportive derrière le football et le tennis. La FFE, comme la Fédération nationale du cheval (FNC), la Fédération nationale des éleveurs professionnels d'équidés, le Groupement hippique national (GHN), l'association des sociétés de courses France galop, mais aussi, plus largement, la Coordination rurale, la Confédération paysanne et la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), ont tous été sur le pont.

De l'importance de faire du lobbying à Bruxelles

Des milliers de cavaliers juchés sur des chevaux et poneys ont défilé en novembre à Rouen, Dijon, Toulouse, Montpellier, Nantes, Bordeaux, Orléans, Paris… Plus d'une centaine de parlementaires, sous l'égide de Chantal Jouanno (UDI), ont écrit à Jean-Marc Ayrault pour “protéger le sport hippique et l'activité économique de ce secteur alors que, avec ce changement de taux, plus de 6000 emplois sont en péril, soit le plus grand plan social de France.” 

Dernièrement, le porte-parole du collectif “Équitation en péril” est allé remettre en calèche, une de 50.000 signataires à l'Élysée: “nous nous battons pour l'équitation sociale, la ruralité, pour la survie des centres équestres qui sont les derniers lieux de vie dans les campagnes”! Pour se sortir du pétrin, le gouvernement n'a pas hésité à se poser en victime des règles venues d'en haut.

Les ministres du Budget, de l' et des Sports ont reçu des représentants de la filière. Dans la foulée, le gouvernement leur a accordé la création d'un “fonds cheval” de 20 millions d'euros, piloté par la profession, destiné à amortir le choc. Et les trois ministres font des pieds et des mains à Bruxelles (avec peu de chances) pour obtenir de maintenir le taux intermédiaire sur certaines activités en jouant sur les subtilités juridiques d'une article de la réglementation européenne accordant un taux réduit pour l'accès aux installations sportives.

Au-delà, le ministre du Budget, , a convié les porte-paroles de la filière à rencontrer les services de la Commission et, à plus long terme, affirme vouloir “se battre bec et ongles” dans le cadre de la renégociation à venir de la directive TVA. Certes, les professionnels et amoureux du cheval n'ont pas obtenu gain de cause mais ce n'est pas faute de lobbying… de la part du gouvernement français à Bruxelles !

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Source(s): Challenges / Par Gaëlle Macke, le 01.01.2014 / Relayé par

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