Paris (AFP) – Avec le lait et les légumes, les œufs sont les aliments bio les plus vendus. Face au succès, les éleveurs de poules doivent faire appel à des importations de grains dont la certification et l’origine sont parfois difficiles à tracer.
Selon l’Institut Technique de l’Aviculture (ITAVI), les œufs bio ont connu un taux de croissance annuel de 16% en moyenne sur 5 ans – même si les œufs issus d’élevage en cages concernent encore 70% des poules pondeuses.
Effet d’aubaine, la plupart des grands élevages industriels s’y sont mis; mais comment parviennent-ils à nourrir toutes ces poules qui, malgré des étiquettes champêtres, sont loin de picorer en plein champ? En 2012, la barre des 20.000 hectares de céréales certifiées bio a été franchie (et même 25.000 en comptant les hectares en conversion), mais les céréaliers bio ne produisent pas que pour les volailles.
Le premier à poser la question est l’agronome et industriel Pierre Weill qui, dans son livre « Mangez, on s’occupe du reste » (Plon), juxtapose la consommation d’œufs et les surfaces dédiées: « Une poule mange des grains, mais on n’en produit pas assez pour nourrir tous ces appétits » explique-t-il à l’AFP. Il faut donc faire appel aux importations, du maïs d’Ukraine ou de Roumanie, des tourteaux de soja d’Argentine – généralement OGM. Le système, selon lui, pousse au crime, même sans volonté de tricher.
Fondateur de l’entreprise Valorex, spécialiste de la nutrition animale, il raconte avoir importé un chargement de graines de lin bio d’Italie. « On est passé par un courtier suisse sérieux et elles sont arrivées certifiées… Et puis récemment j’ai reçu un courrier du ministère italien de l’agriculture annonçant, navré, qu’après enquête il s’agissait en fait de lin de Moldavie, pas bio du tout ».
« Ces fraudes de grande ampleur sont structurelles: ce n’est pas une exception, c’est la règle. Sans elles, pas moyen d’approvisionner les rayons Bio des supermarchés. Tous les opérateurs y sont soumis » estime-t-il. « En bio, les poules sont élevées dans des bâtiments et nourries aux grains » reprend-il. Même si la taille maximale est limitée à 3.000 poules par bâtiment et à trois bâtiments par exploitation, avec accès obligatoire au plein air.
Théoriquement, rappelle Elisabeth Mercier, directrice de l’Agence Bio chargée de la promotion de l’agriculture biologique, « au moins 95% de l’alimentation des poules pondeuses doivent être biologiques ». A titre temporaire, l’offre n’étant pas suffisamment développée dans l’Union Européenne, un apport de matières riches en protéines, limité à 5% du total, a été autorisé (garanti sans OGM). Mais « qu’il s’agisse de productions nationales ou d’importations, la traçabilité doit être assurée », et « les informations sur l’origine, la nature et les quantités de matières premières pour alimenter les animaux » doivent être précisées, assure-t-elle.
Selon l’Agence bio, les œufs sont avec le beurre et le lait les produits bio les plus achetés en grande surface (52% en 2013) et à 99% « Made in France ». Or « 80% de la production ce sont des gros industriels, rappelle Christian Marinov, directeur de la Confédération française de l’Aviculture. « L’éthique est-elle la même qu’avec les petits producteurs? » s’interroge-t-il, en mentionnant de vifs débats au sein de l’interprofession, entre « les anciens, qui vendent sur les marchés, et les nouveaux bio ».
Pour lui, les seconds ont surtout rejoint le créneau du bio qui leur permet, grâce à un marketing bien compris, de vendre plus cher – pas loin du double comparé aux œufs de batterie. Et les contrôles des élevages bio sont « plutôt moins nombreux que ceux en Label rouge ou Garanti en plein air », jure-t-il.
C’est justement pour en finir avec ces petits arrangements que le commissaire européen à l’Agriculture, Dacian Ciolos, a réclamé une révision du règlement bio au sein de l’UE, avec la volonté d’aller vers davantage de rigueur et moins de dérogations. La discussion commence à peine et suscite déjà des controverses.
« Le Bio local qui maintient un lien au sol est inattaquable mais sa mondialisation est difficile », juge Pierre Weill qui plaide pour « le développement des mesures d’analyse rapide qui révèlent l’origine des aliments et leur mode de production. Et pas un tampon accolé au fond de la Moldavie ou du Kazakhstan ».
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Source(s) : Goodplanet.Info / AFP, le 10.04.2014