L’UE vient d’approuver le dépôt de la directive Copyright, une nouvelle loi sur les droits d’auteur qui menace de censurer internet. Cette nouvelle législation exige que tous les sites web censurent le contenu qu’un internaute met en ligne, et la mise en place d’un système capable de repérer tout manquement au copyright. Si la directive n’est pas encore prête d’entrer en application, de nombreux opposants se soulèvent déjà contre cette nouvelle loi, accusée « de détruire l’internet que nous connaissons ».
Ce mercredi 20 juin, l’Union Européenne a approuvé un projet de loi intitulé « Directive sur le droit d’auteur ». Cette législation comporte deux articles particulièrement controversés. L’article 11 demande ainsi à ce que chaque plateforme en ligne, comme Facebook, Google, Twitter ou encore Instagram, censure automatiquement chaque image, vidéo, citation ou code partagé par ses membres.
Selon la directive, les plateformes en ligne doivent « prendre des mesures pour assurer le fonctionnement des accords conclus avec les titulaires de droits pour l’utilisation de leurs œuvres ». Pour l’heure, les plateformes se défendent en arguant n’être que de simples intermédiaires et nient « toute responsabilité sur le contenu », souligne Véronique Desbrosses, directrice générale du groupement européen des sociétés d’auteurs et de compositeurs.
Copyright, droits d’auteur : l’UE adopte un projet de loi qui risque de censurer internet
L’article 13 de la directive sur le droit d’auteur va encore plus loin et demande la mise en place d’un filtrage automatique de tous les contenus postés sur internet. Dès que vous posterez une vidéo, une photo ou un GIF sur la toile, ce contenu sera comparé avec une gigantesque base de données d’oeuvres protégées. Si votre partage est en infraction avec la loi sur le copyright, il sera censuré. Ce système rappelle beaucoup le Content ID, le système de contrôle mis en place sur YouTube « pour aider les titulaires de droits d’auteur à identifier et à gérer en toute facilité leur contenu ».
« Si l’article 13 de la directive sur le droit d’auteur devait être adopté, il imposerait une censure généralisée de tout le contenu que vous partagez en ligne » met en garde le site Save your Internet, auteur d’une pétition contre la directive. « Nous ne soutenons pas l’article 13, qui veut obliger les plateformes Internet à intégrer une infrastructure de surveillance automatique et de censure au sein de leurs outils » accuse un groupe d’experts dont la figure de proue n’est autre que Tim Berners-Lee, l’inventeur du net. « C’est un jour triste pour Internet … mais le combat n’est pas encore terminé » relativise Julia Reda, députée européenne.
Avant de devenir une législation officielle, les articles 11 et 13 de la Directive sur le Droit d’auteur doivent d’abord être votés par le Parlement Européen dès le mois de juillet 2018. Si la loi est finalement votée, le Parlement va devoir ensuite demander l’accord du Conseil européen, une institution qui réunit les chefs d’État 28 États membres de l’Union. Avant de devenir une réalité, la directive devra finalement être votée par le Parlement Européen en session plénière. Au final, la procédure devrait se conclure entre décembre 2018 et le début de l’année 2019, explique le site Save your Internet.
Cette nouvelle directive pourrait aussi être évoquée lors des négociations interinstitutionnelles, qui permettent aux Etats membres de l’Union d’accélérer l’adoption d’un texte de loi. Dans ce cas de figure, la directive pourrait entrer en application bien plus vite que prévu. Que pensez-vous de cette nouvelle loi ? Faut-il craindre la directive ? La neutralité du net touche-t-elle finalement à sa fin en Europe ?
Source : PhoneAndroid 20 juin 2018
Directive copyright : le Parlement européen sous la menace des lobbies et des manoeuvres françaises
Paris, le 6 juin 2017 — Alors que toutes les commissions concernées au Parlement européen ont rendu leurs avis sur la proposition de directive sur la réforme du droit d’auteur, la situation est plus que complexe : les rapports constructifs des différentes commissions ont été pilonnés à la fois par la Commission européenne, mécontente de voir ses dispositions dangereuses être contestées, par les ayants droit et les lobbies de l’industrie culturelle qui refusent de céder le moindre point aux utilisateurs, et par certains acteurs parlementaires ou nationaux, au premier rang desquels malheureusement la représentation française, qui continue de défendre les positions les plus réactionnaires sur le droit d’auteur. La Quadrature du Net dénonce le dévoiement du travail parlementaire au profit des lobbies, et appelle le nouveau gouvernement à reprendre le dossier de la réforme du droit d’auteur avec une position ré-équilibrée en faveur des libertés, de la création sous toutes ses formes et des utilisateurs.
Le projet de directive européenne sur le droit d’auteur, présenté en septembre 2016, était assez peu ambitieux et comportait deux mesures dangereuses que nous avons dénoncées depuis lors : la création d’un droit voisin pour les éditeurs de presse (article 11), et une mesure visant à obliger les plateformes de partage à mettre en place des outils de détection automatique de contenus illicites (article 13).
La rapporteure de la commission JURI (affaires juridiques) au sein du Parlement européen, saisie au fond sur la directive, avait cependant rendu au printemps 2017 un rapport et des propositions d’amendements plutôt équilibrés, suivie en cela par les rapporteurs pour avis des commissions CULT (culture), ITRE (industrie) et IMCO (marché intérieur). Ces rapports, de façon différente mais avec une logique semblable, attaquaient ces deux mesures comme attentatoires aux libertés, dangereuses pour l’équilibre de la directive eCommerce de 2000 qui encadre les responsabilités des hébergeurs sur Internet, et ne réglant pas la question du transfert de valeur pourtant présentée comme étant au cœur de la directive.
Immédiatement, la Commission européenne, les lobbies de l’industrie culturelle, les ayants droit et certains parlementaires, notamment français, se sont insurgés face à ces propositions pourtant constructives et éclairées. Les amendements proposés dans les différentes commissions sur les rapports se partagent entre deux grandes positions :
- une position autour notamment de l’eurodéputée Julia Reda, qui souhaite supprimer les articles 11 et 13 ;
- une position autour notamment d’eurodéputés français qui veut encore aggraver les effets de ces deux articles, et introduire de nouvelles mesures encore plus dangereuses :
- un droit inaliénable à la rémunération pour les créateurs, qui priverait ceux-ci, par exemple, de la possibilité d’offrir leur création sans vouloir de rémunération, ou de les placer sous licence libre ;
- généraliser à toute l’Union européenne la taxe Google Images instaurée en France par la loi Création, qui pénalise également les créateurs sous licence libre ;
- conditionner le droit pour une plateforme de se réclamer du régime de la directive eCommerce au fait d’installer des outils de détection de contenus illicites ;
- et encore bien d’autres propositions toutes plus irréalistes et dangereuses pour la création, les utilisateurs, et le partage des contenus.
En se rangeant derrière les exigences les plus excessives des ayants droit, et en tentant de rallier au sein du Parlement européen d’autres parlementaires pour soutenir ces positions, un certain nombre de parlementaires français (Virginie Roziere, Jean-Marie Cavada ou Constance Le Grip pour les plus actifs) empêchent toute évolution positive du droit d’auteur en Europe et brouillent les positions d’un débat qui aurait pu être constructif, s’ils avaient joué le jeu d’une vraie ouverture et non d’un relais systématique des positions des lobbies.
La Commission LIBE (des libertés civiles), dernière à se prononcer, et uniquement sur l’Article 13, a bien senti le danger pour les droits fondamentaux de la détection automatique de contenus illicites, qui entraîne par nature la surveillance des internautes et le non-respect des exceptions légitimes au droit d’auteur. Elle vient de proposer de remplacer cette mesure par des accords de licence entre ayants droit et plateformes, ce qui pourrait être un moindre mal s’il s’agit de partager des revenus publicitaires ou autres mesures indolores pour les utilisateurs, mais qui manque singulièrement de précision sur les fondements de ces accords de licences.
Dans ce maelström de positions et de contre-propositions, il est difficile aujourd’hui de savoir si le Parlement européen réussira à avancer sur la question de la réforme du droit d’auteur, ou si nous allons non seulement ne rien faire progresser, mais même régresser sur certains points. La position des représentants français les plus actifs sur ce dossier, et jusqu’aux dernières élections celle du gouvernement français, a été désastreuse.
La Quadrature du Net demande donc aux parlementaires européens de s’atteler plus sérieusement à trouver un équilibre constructif dans les votes qui auront lieu entre juin et l’automne dans les commissions, à repousser les positions les plus extrémistes portées par les ayants droit et les industriels, et à ne pas perdre de vue que l’équilibre des responsabilités sur Internet est une matière sensible qu’il ne faut changer qu’avec d’infinies précautions, qui ne semblent pas avoir été prises ici.
La Quadrature du Net demande aussi au gouvernement d’Edouard Philippe, et à la ministre de la Culture Françoise Nyssen, de prendre le temps d’écouter et de recevoir les associations et collectifs engagés pour une réforme ambitieuse du droit d’auteur. Après plusieurs années d’enfermement total du ministère de la Culture au profit des ayants droit et des industries, il est temps de reprendre l’ouverture pour porter une vision française du droit d’auteur qui défende la création sous toutes ses formes, l’innovation culturelle et les droits des utilisateurs.
Source : Quadrature du Net 6 juin 2018