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Alain Duhamel et «la vengeance de la France d’en bas»

Il y a pire encore que les 25% de suffrages obtenus par Marine Le Pen aux élections européennes, c'est ce que le scrutin dit, mesure et confirme de l'état actuel de la société française. Au-delà du spectaculaire succès de l'extrême droite, on constate, en effet, une sorte de sécession et morale de la France d'en bas. Les chiffres sont accablants, les ressorts sont plus qu'inquiétants. 43% des ouvriers qui ont voté l'ont fait en faveur d'un nationalisme xénophobe et démagogique. 38% des employés, 37% des chômeurs ayant rempli leur devoir électoral les imitent. Chez les jeunes de moins de 25 ans se rendant aux urnes, près de la moitié vote en faveur du . Ce n'est pas une découverte, mais c'est une accentuation, une accélération, une cristallisation. L'électorat traditionnel de la gauche a viré très à droite, plus à droite que jamais à travers toute l'histoire électorale.

Dans les années 60, la classe ouvrière, la fraction des employés qui lui étaient la plus proche et les jeunes constituaient les gros bataillons d'un Parti communiste qui rassemblait encore quelque 22% des votes. Aujourd'hui, leurs petits-enfants votent . Quant au pauvre Parti socialiste, il n'a plus la moindre assise populaire. Les lambeaux de sa grande armée électorale forment le carré parmi les classes moyennes. Le 25 mai, la France modeste s'est abstenue ou a tourné le dos à la gauche. La France d'en bas s'est vengée.

Bien sûr, rien ne prouve que ce qui vient d'arriver se produira de nouveau aux élections présidentielle et législatives dont l'enjeu semble beaucoup plus proche et beaucoup plus précis. Les élections au Parlement de Strasbourg ont toujours amplifié les mouvements et incité aux votes protestataires. Charles Pasqua, Philippe de Villiers, en ont bénéficié. Ceux qui veulent se rassurer à tout prix peuvent faire valoir que la désaffection prodigieuse, sans précédent dont pâtit François Hollande, les turpitudes de l' révélées à la veille du scrutin, le zèle inouï avec lequel les médias audiovisuels n'ont cessé de placer la seule Marine Le Pen au centre du débat ont pesé. La conjoncture a bien aidé la solide manœuvrière qu'est .

Au-delà, beaucoup plus profondément, on sait bien que les classes populaires sont les principales victimes de la crise. Le chômage frappe d'abord la France d'en bas, la précarité menace avant tout la France d'en bas, le déclassement obsède d'abord la France d'en bas. L'anxiété, la souffrance, le ressentiment, la colère sont les auxiliaires de l'extrême droite. Ce que mesurent les enquêtes d'opinion, c'est la coupure verticale de la France en deux. Les classes populaires rejettent foncièrement la société qui leur est offerte. Elles détestent la mondialisation, elles n'aiment pas l', elles abhorrent l'économie de marché, elles rejettent les métamorphoses des mœurs. Elles ont le sentiment que le ciel ne cesse de leur tomber sur la tête, que la société du XXIe siècle n'est pas faite pour elles. Comme toujours quand dominent la peur, la rancœur et la fureur, il y a aussi recherche de boucs émissaires que Marine Le Pen leur montre vigoureusement du doigt : les immigrés et les élites, couple improbable et cependant rituel.

La crise d'identité qui submerge la France populaire se tourne, en effet, contre les nouveaux arrivants et contre les mieux arrivés, c'est classique. En période de tensions, d'épreuves et d'anxiété, les plus modestes se persuadent que la dernière vague d'immigrés se produit à leur détriment. Déshérités contre déshérités, victimes contre victimes, ce qui a toujours existé se trouve aujourd'hui instrumentalisé par l'extrême droite et hystérisé par les médias audiovisuels. Les enquêtes le confirment : pour la France d'en bas, crises d'identité, immigration, islamisme et insécurité convergent. Quant aux élites, c'est une spécialité française depuis plus de deux siècles, elles ne cessent d'être à chaque crise, à chaque épreuve, à chaque changement de régime, dénoncées pour leur , leur immoralité, leur égoïsme, leur suffisance, leur incapacité. La riche héritière ayant fait de solides études, Marine Le Pen, ne cesse d'ailleurs de s'en prendre aux privilégiés dont elle est et au symbole du pouvoir et de la réussite qu'elle aspire à devenir. Succès garanti. La des élites et l'impuissance du sont les trophées de l'extrême droite avec la dénonciation de l'immigré. Elles imprègnent les classes populaires. La question est maintenant de savoir si en trois ans il est possible de réduire cette fracture sociale, ce découplage sociétal.


Européennes : "La vengeance de la France d'en bas" par rtl-fr

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Source : Libération / Par Alain DUHAMEL, le 04.06.2014

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