Cet article de Newsweek destiné à ridiculiser la France provoque un tollé sur les réseaux sociaux

Des impôts à plus de 70%, un litre de lait vendu 6 euros ou encore des crèches gratuites… Pour les internautes, la correspondante parisienne du magazine américain Newsweek a tout faux.

Le “French bashing” est un marronnier bien connu des journalistes anglo-saxons. En novembre 2012, un dossier spécial de l'hebdomadaire britannique The Economist, qui faisait de la France une bombe à retardement au cœur de l'Europe, avait déclenché une vive polémique. Cette fois-ci, c'est un article intitulé “La chute de la France” et publiévendredi 3 janvier par le magazine américain Newsweek qui suscite un tollé sur les réseaux sociaux. Il faut dire qu'il y a de quoi. Son auteure, Janine di Giovanni, correspondante américaine du journal, installée dans le VIe arrondissement de Paris depuis dix ans, y multiplie les clichés et, plus grave, les contre-vérités. Challenges.fr a passé au crible un certain nombre des affirmations de cette journaliste.

Les prélèvements ont explosé depuis l'arrivée au pouvoir de Hollande : VRAI ET FAUX

La journaliste de Newsweek assure que, depuis l'arrivée au pouvoir de en 2012, l'impôt sur le revenu a explosé, de même que les prélèvements qui financent la Sécurité sociale. En 2011, le taux de prélèvements obligatoires en France était de 43,7% selon l'Insee. Il est passé en 2012 à 45%, en grande partie du fait de mesures décidées sous la présidence de . En 2013, il devrait avoir atteint 46,3% et cette année 46,5%. Un nouveau record historique.

L'augmentation est donc forte mais on ne peut pas parler d'explosion liée à l'arrivée au pouvoir de la majorité socialiste. En fait, ce taux de prélèvements obligatoires augmente régulièrement. Pour rappel en 1980, soit avant l'élection à la présidence de François Mitterrand, il était déjà très élevé (à 40,2%).

Reste que selon une récente étude, 61% des Français ont constaté sur un an une hausse de leur impôt sur le revenu.

De nombreuses personnes paient déjà un impôt qui représente plus de 70% de leurs revenus : FAUX

La tranche marginale d'imposition la plus haute en France est de 45%. L'imposition effective sur le revenu ne dépasse donc pas en théorie ce seuil. En effet, l'impôt fonctionne par tranche : 0% pour les 5.963 premiers euros gagnés (sur une année), puis 5,5% entre 5.694 et 11.896 euros, etc (voir le barème complet ici). Pour s'approcher des 45% d'impôt sur le revenu, il faut donc avoir des revenus très élevés et dépassant largement le seuil de la dernière tranche (qui démarre à 150.000 euros). Rappelons que, selon une enquête de l'Insee, les 1% les plus riches disposent de revenus annuels déclarés par unité de de 84.500 euros. Même si l'on ajoute la CSG et la CRDS qui sont prélevées à la source (8% au maximum des revenus bruts du travail, 15,5% pour les revenus du capital), on ne parvient pas atteindre les 70%.

On est loin de la situation décrite par la journaliste de Newsweek. Mais cette dernière, qui lance cette affirmation sans aucune autre précision, fait peut-être référence à l'ISF, qui dépend lui du patrimoine. Il arrive alors, dans de très rares cas, qu'une personne dispose d'un patrimoine très important par rapport à des revenus relativement faibles. Avec l'ISF, il peut donc être amené à payer un impôt supérieur à 70% de ses revenus. Selon les dernières données disponibles, 291.630 Français payaient l'impôt sur la fortune en 2011. Et, d'après les chiffres transmis par Bercy au député Gilles Carrez, 11.960 foyers fiscaux ont payé en 2012 en impôts plus de 75% de leurs revenus fiscaux. Tout dépend alors de ce que l'on entend par “de nombreuses personnes”.

A moins que la journaliste fasse référence au “superbrut”, c'est-à-dire à ce que vous coûtez réellement à votre employeur, autrement dit cotisations salariales et patronales incluses. Or, ces dernières représentent le plus souvent (en dehors des bas salaires) déjà environ la moitié du superbrut. Plus simplement, votre coût pour l'employeur représente environ deux fois votre salaire net. Si on y ajoute alors les impôts, on peut alors arriver dans certains cas à plus de 70% de prélèvements par rapport au superbrut. Mais encore faut-il ensuite prendre en compte les prestations versées en contrepartie, directement et indirectement, aux personnes concernées.

Les Français n'ont pas de mot pour “entrepreneur” : FAUX

L'accusation est savoureuse puisque le mot anglais a été emprunté justement… au français. Ensuite, Newsweek se demande “Où est le Richard Branson de France? Où est le Bill Gates ?”. L'hebdomadaire semble oublier quelques belles réussites françaises. En 2013, , le patron et fondateur de Free, a fait son entrée dans le top 10 du classement des grandes fortunes françaises établi par Challenges. Avec un patrimoine professionnel estimé à 5,9 milliards d'euros. C'est donc plus que la fortune de Richard Branson (4,6 milliards de dollars selon Forbes, soit 3,38 milliards d'euros).

On pourrait également citer d'autres success stories hexagonales récentes comme celle de Marc Simoncini (fondateur de Meetic), Jacques-Antoine Granjon (fondateur de Vente-privee.com) ou encore Pierre Kosciusko-Morizet (fondateur de PriceMinister).

C'est de plus en plus compliqué de licencier : FAUX

n'a pas remis en cause la rupture conventionnelle des CDI, instituée sous . Une pratique qui a pris progressivement de l'ampleur (320.000 ruptures en 2012) et qui permet une conciliation entre le salarié et l'employeur, plutôt que de passer par un licenciement qui peut être contesté.

En outre, l'accord pour l'emploi signé entre les partenaires sociaux et transposé dans la loi en 2013 prévoit désormais deux possibilités pour le patronat en cas de licenciements collectifs: soit obtenir un accord avec les syndicats, soit obtenir l'homologation de l'administration. Enfin, un salarié peut maintenant mettre fin à un litige aux prud'hommes, selon un barème d'indemnités dépendant de son ancienneté dans l'entreprise.

Les jeunes diplômés ne voient pas d'avenir et se préparent à quitter le pays : PLUTOT VRAI

S'il serait excessif d'affirmer que tous les jeunes veulent quitter le navire France, certains diplômés ont clairement le mal du pays. Ils sont de plus en plus nombreux à s'expatrier une fois leur diplôme en poche. Selon une enquête menée par Le Nouvel Observateur et RTL, 40.000 diplômés des écoles d'ingénieur et de commerce devaient être amenés à partir en 2013. Un chiffre en hausse de 14% en 5 ans.

Le nombre de chômeurs “non officiel ” est de 5 millions : VRAI ET FAUX

En novembre dernier, la France comptait 3,29 millions de chômeurs sans aucune activité. Si on prend en compte les chômeurs en activité réduite, on arrive bien à environ 5 millions de personnes (4,87 millions pour les catégories A, B et C). Mais ces chiffres n'ont rien de “non officiels”. Et celui de la catégorie A est celui qui se rapproche le plus des critères statistiques définissant le chômage au sens du Bureau international du Travail (BIT), qui permet d'établir des comparaisons entre pays. Et qui est donc mis en avant partout dans le monde…

Le litre de lait coûte près de 6 euros à Paris : FAUX

Il s'agit sans doute de l'affirmation qui a été la plus raillée par les internautes. La correspondante de Newsweek assure ainsi sans broncher que le demi-litre de lait coûte près de 4 dollars, soit 2,94 euros. A moins d'aller faire ses courses dans les épiceries de luxe de la capitale, il est impossible de trouver de tels tarifs affichés. Même le litre de lait frais et entier Monoprix Gourmet ne dépasse pas 1,33 euro.

Cette fausse information est censée démontrer que le coût de la vie est devenu plus élevé à Paris qu'à Londres. Ce qui est, en revanche, plutôt vrai. Selon le comparatif établi pour 2013 par Numbeo, qui repose sur les informations recueillies par les internautes, vivre à Paris revient désormais plus cher que vivre dans la capitale britannique. Une autre étude d'ECA, sur le coût de la vie pour les expatriés cette fois-ci, semble confirmer cette tendance. Paris se classait en 2013 comme la 39ème ville la plus chère du monde, Londres comme la 87ème. Mais là encore, difficile d'imputer quoi que ce soit à la menée par François Hollande, qui n'est aux manettes que depuis 2012.

Janine di Giovanni explique aussi que depuis son installation à Paris, les prix de l'immobilier parisien ont explosé. Ce qui est aussi vrai. En Île-de-France, les prix ont bondi de plus de 90% depuis début 2003.

Mais on s'étonne que cette journaliste ne se contente de voir la France que par le prisme de la capitale où résident moins de 5% des Français.

Des crèches et des couches gratuites : FAUX

On voit mal où cette journaliste a trouvé des crèches où même les couches sont offertes gratuitement aux parents. Elle semble confondre ces établissements dépendant en partie des financements municipaux avec la maternelle, qui est gratuite mais ne concerne que les enfants de plus de 3 ans (voir éventuellement 2 ans, dans certains cas).

Pour des ménages qui gagnent une fois et demie le salaire moyen, le coût de la garde des enfants de moins de 3 ans, après versements des aides, représente d'ailleurs près de 9% du revenu net (contre 14% en moyenne dans les pays de l'OCDE).

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Source(s): Challenges / Par Jean-Louis Dell'Oro, le 06.01.2014

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