Les urgences du CHU de Clermont-Ferrand au bord de l’asphyxie

Les urgences du CHU de Clermont-Ferrand font de plus en plus souvent face à des situations difficilement soutenables pour le personnel comme pour les patients. Témoignage d’un médecin urgentiste.

Il est rentré « claqué » après 10 heures de service. Excédé. Remué par des conditions de travail qui se détériorent d’année en année. Il a fini par prendre son téléphone.

Pour témoigner : « Désolé de vous déranger mais la nuit a encore été cauchemardesque aux urgences ! Au-delà des dysfonctionnements quotidiens, on va droit dans le mur. Faut le faire savoir, Faire un truc ». Les propos sont d’un jeune médecin urgentiste du CHU de Clermont qui préfère garder l’anonymat.

Le facteur déclenchant de cet appel spontané ? Un afflux de patients sans précédent, des malades obstruant les couloirs des urgences, des lits quasi inexistants dans les services du CHU pour recevoir les patients, mais également et surtout la violence verbale et même physique qui devient de plus en plus présente.

« On fait un métier de Robocop »

« Je ne sais pas combien de temps le système va pouvoir tenir mais il n’est plus viable », s’insurge l’urgentiste. « Ce que je vous dis là, tout le monde le pense. Je ne suis pas le premier à tenter de faire bouger les lignes. Je ne serai probablement pas le dernier. Ceux qui s’y sont risqués avant moi ont le plus souvent fini pas baisser les bras et quitter le navire. Et le phénomène ne touche pas que les urgences. C’est l’arbre qui cache la forêt ». Il y a en effet longtemps que le ras-le-bol et l’épuisement ont gagné tous les services du CHU. « Ras le bol que les décisions soient prises par des administratifs loin de la réalité des soins ». Bref, un système de santé au bout du rouleau dont les urgences ne seraient que le symptôme.

« En trente ans, le passage aux urgences a été multiplié par deux. Les locaux ne sont plus adaptés à l’activité. Faute de box de consultation, ils nous arrivent fréquemment de déshabiller et d’examiner les patients dans les couloirs. C’est délirant et dramatique. Nous avons parfois tellement de monde en attente que nous sommes obligés de faire rentrer les accompagnants pour calmer les patients délaissés dans les couloirs. Un vrai foutoir en période de pic épidémique et des conditions d’accueil et de soins indignes. C’est irréel. Tellement loin de ce que l’on a pu nous apprendre. On fait un métier de Robocop ».

« Les Français doivent comprendre que la santé en France est malade »

Tout aussi dramatique :  Les personnes âgées qui parfois décèdent sur les brancards faute de lit d’hospitalisation. 

Pour ce jeune médecin les urgences sont devenues le réceptacle ou l’amortisseur des dysfonctionnements du système de santé. Trouver des lits, gérer les patients, s’adapter aux imprévus, c’est leur quotidien. Un quotidien que les plus anciens ne supportent plus. « Ils finissent par quitter l’hôpital. Ils partent épuisés par le rythme. Epuisés par des conditions de travail qui ne cessent de se dégrader. Même les services administratifs sont désemparés. Les Français doivent comprendre que la santé en France est malade ».

56.000
C’est le nombre annuel de passages aux urgences de Clermont. Il était de 38.000 en 1999, lors de l’inauguration du nouveau bâtiment. Il était de 28.000 en 1991.

 

Explication avec le chef du pôle des urgences

Chef du pôle Samu-Smur-urgences au CHU, le professeur Jeannot Schmidt tente d’expliquer pourquoi les urgences sont saturées depuis quasiment deux mois.

Les patients emmenés par les sapeurs-pompiers attendaient à la porte des urgences lundi matin. Comment c’est possible ?

La grippe comme chaque année. Mais également les surinfections dues au virus. Nous avons pu gérer la situation en janvier après avoir trouvé une trentaine de lits dans différents services. Mais cette adaptation n’a pu être pérennisée en février et en mars. D’où cet embouteillage. Nous sommes en tant normal à 150 passages/semaine. Depuis quelque temps, nous sommes à 165 passages avec des pics à 190. Mais le problème n’est pas le flux entrant mais sortant. Nous n’avons pas assez de lits d’hospitalisation. Actuellement, malgré les réunions et les efforts de l’ensemble de l’hôpital, l’équation est impossible à résoudre. Nous sommes en processus dégradé. Une situation qui est due aux faiblesses d’adaptation de l’hôpital en matière de lits.

L’épidémie de grippe semble pourtant derrière nous ?

Pas vraiment. D’autant qu’une épidémie c’est comme les inondations. La crue arrive, elle monte. Mais il faut parfois plusieurs semaines pour revenir à un niveau normal.

Des personnes, le plus souvent âgées, meurent dans des couloirs. Vous confirmez ?

Il faut mettre un bémol à cette affirmation. Sachez que toutes les semaines, deux à trois personnes décèdent aux urgences, parce qu’elles sont mourantes à leur arrivée.

Ce qui est indécent, c’est que des personnes meurent sur un brancard dans un couloir. Comme il est tout à fait anormal de prendre en charge un patient dans un couloir. Sans compter que l’on ne travaille pas forcément bien et que la partie confidentielle est quelque peu occultée.

Comment remédier à ses faiblesses sur le long terme ?

Tout le monde fait des efforts. Mais nous sommes toujours dans l’adaptation a minima. Il faudrait une unité de lits supplémentaires, des accès aux résultats biologiques plus rapide, des accès aux avis des spécialistes… Spécialistes qui sont eux aussi débordés.

Mais je ne peux laisser dire que nous n’en faisons pas assez. Tous les jours, nous travaillons à des solutions. Après, il faut également peut-être du courage en se disant on ferme telle unité pour avoir plus de lits de soin. L’autre réalité est que les décisions ne se prennent pas à Clermont, mais au niveau de l’ARS et des ministères

Franck Charvais

 

Source : La Montagne

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