À moins de deux mois du sommet du G20 à Brisbane (Australie), qui entend imposer l’échange automatique de données fiscales sur les contribuables du monde entier, la droite et l’extrême droite suisse ont déposé une “initiative” pour garantir dans la Constitution la confidentialité des données financières. Les libéraux radicaux, les démocrates-chrétiens, l’Union démocratique du centre (UDC) et la Lega (l’extrême droite de la Suisse italophone) ont remis jeudi 117 596 signatures à la Chancellerie fédérale.
En Suisse, il suffit de récolter 100 000 signatures pour pouvoir organiser une “votation” (référendum). Celle-ci, intitulée “Oui à la protection de la sphère privée”, cherche surtout à inscrire le fameux secret bancaire dans la Constitution. Les Suisses devraient normalement se prononcer en 2016, alors que le passage à l’échange automatique de renseignements financiers d’un pays à l’autre est programmé par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) pour 2017.
L’embarras des banquiers
L’Union démocratique du centre, le parti le plus à droite de l’échiquier politique suisse, a pratiquement toujours remporté seule ses “initiatives”, comme l’interdiction des minarets, l’expulsion des criminels étrangers et, plus récemment, l’introduction de quotas pour les étrangers. Cette fois, elle reçoit le soutien des deux principaux partis de droite, les libéraux radicaux et les démocrates-chrétiens. Elle peut également compter, un peu étrangement, sur l’Union suisse des arts et métiers et sur l’Association alémanique des propriétaires. En revanche, l’Association suisse des banquiers (ASB), tout en reconnaissant qu’il s’agit là d’une “préoccupation légitime”, trouve que la méthode “n’est pas adéquate”.
En fait, depuis quelques mois, les banquiers suisses ne cessent de répéter que leurs établissements ne comptent plus aucun fraudeur du fisc. En août dernier, la banque privée Mirabaud jurait même que ses filiales de Hong Kong et de Dubai refusaient dorénavant d’accueillir des clients réticents à se régulariser… Dans ces conditions, un soutien trop appuyé à cette votation pour protéger le secret bancaire pourrait laisser penser que les banquiers suisses ne seraient pas tous devenus de farouches adversaires de l’argent gris.
Le nom de Youri Djorkaeff
Zurich, Genève et Lugano gèrent un tiers de la fortune mondiale offshore. De mauvais esprits estiment qu’entre 70 et 80 % de celle-ci n’est pas forcément connue des inspecteurs des impôts. Toutefois, les partis à l’origine de cette “initiative” assurent qu’ils ne veulent protéger le secret bancaire que pour les Suisses. Dans la Confédération, “les informations que recèle un compte en banque relèvent des éléments de la vie privée de son détenteur”, rappelle l’ouvrage Le Secret bancaire (*). Un ancien député genevois est allé jusqu’à considérer que le secret bancaire faisait partie des droits de l’homme.
Cette “initiative” cherche surtout à bloquer Eveline Widmer-Schlumpf, la ministre des Finances, qui s’est mis dans la tête que la Suisse ne devait plus rester un pays à part. Elle a même osé proposer de donner aux administrations fiscales le pouvoir de lever le secret bancaire en cas de soupçon d’évasion fiscale (sans pour autant être suivie par le reste du gouvernement). Tout récemment, la Feuille fédérale (Bundesblatt), la publication officielle, a signalé que l’Administration des contributions avait reçu de la France une demande d'”assistance administrative internationale en matière fiscale” concernant Youri Djorkaeff, le footballeur français vainqueur de la Coupe du monde 1998. La Feuille fédérale ajoute que “la personne concernée n’a pas pu être contactée”. Où va-t-on si le fisc suisse se met à collaborer ?
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Source : Le Point / Par Ian Hamel, le 26.09.2014