INTERVIEW – Elise Viviand, assistante sociale depuis dix ans, raconte son quotidien dans «Serial Social» (Ed. Les Liens qui Libèrent), pointant des «moyens inexistants», des «politiques délirantes», les «lourdeurs et les aberrations administratives» auxquelles elle est confrontée…
Comment définiriez-vous votre métier ?
Dans l’imaginaire collectif, l’assistante sociale est une voleuse d’enfants, ou quelqu’un qui n’arrive pas à les protéger. Elle aurait aussi le pouvoir de trouver un logement. Habituellement, le travail social est évoqué sur ces dysfonctionnements, notamment à propos de la protection de l’enfance, mais sans aborder l’essentiel du travail dans toute sa complexité, et les rouages administratifs.
Or, les services sociaux ne sont qu’un maillon dans l’ensemble du dispositif. On a un pouvoir restreint. C’est un métier humain avant tout, on est dans la rencontre avec des personnes et on fait avec ce qu’on est nous-mêmes. Mais notre individualité est soumise à la réalité sociale et administrative existant dans le pays.
A quels obstacles êtes-vous le plus souvent confrontée ?
Lorsque les administrations modifient leurs exigences: nouveaux papiers à fournir, nouvelles normes à respecter, nouveaux décrets… ça ralentit énormément la machine, rajoute de la paperasse et aboutit parfois à des aberrations, par exemple lorsque la sécurité sociale demande des preuves de ressources à des personnes qui ne peuvent pas en avoir parce qu’elles n’ont pas le droit de travailler en France.
L’autre obstacle important ce sont les délais de traitement, très longs.
Vous évoquez la «poudrière» que constitue la conjonction de la «diminution de moyens, l’augmentation des besoins et la crise identitaire»…
Le contexte est très tendu en France. De plus en plus de gens sont en situation de souffrance et de précarité et ont besoin d’aide sociale. Or cette augmentation des besoins s’accompagne d’une réduction des moyens. La dimension humaine de notre métier est mise à mal. On a de plus en plus de gens mais de moins en moins de temps.
A cela s’ajoute la défiance croissante envers les usagers, stigmatisés et perçus comme des «assistés». Les populations en difficulté sont vues comme celles qui vont peut-être prendre de l’argent à leur voisin. Ça alimente la défiance et le repli sur soi.
A ce sujet, vous dites que l’assistante sociale est parfois perçue comme n’aidant que les étrangers, alimentant un discours xénophobe…
Quand on parle d’étrangers, de quoi parle-t-on? Tout le monde est mis dans le même sac: Roms, personnes en situation irrégulière, personnes issues de l’immigration qui se sont intégrées et participent à la vie publique et les finances… Ce mélange des genres alimente des fausses représentations.
Vous racontez aussi avoir été désabusée face à l’impuissance des services sociaux dans certaines situations…
Quand votre sensibilité et votre conception de ce qui est juste entrent en collision avec ce qui est réellement possible, ça fait mal parce qu’on a l’impression de participer à quelque chose de contraire à son éthique. On n’est pas là pour distribuer du rêve, mais parfois les contraintes et les délais étaient tels que j’avais l’impression de prolonger encore la souffrance des gens.
Pourquoi continuez-vous malgré tout ?
On continue parce que tout n’est pas noir. On s’attache aux gens. On apprend à gérer la frustration des usagers et la nôtre. Et on se raccroche à des petits moments de victoire, lorsqu’au bout de deux ou cinq ans de travail, on obtient quelque chose, avec l’impression d’avoir conquis le saint-graal. Parce que si on regarde dans l’ensemble, il y a de quoi désespérer.
Mais mon livre est d’abord une démarche personnelle. Je ne prétends pas parler de l’ensemble de la profession ni affirmer des vérités absolues. Certains seront d’accord, d’autres non.
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Source(s) : 20minutes / Par Faustine Vincent, le 04.04.2014