En limitant l’accès aux données des plus jeunes, le réseau social se protège vis-à-vis de la justice américaine. Et du coup aura les mains libres pour mieux exploiter les données des adultes.
Entre Facebook et les mineurs, c’est une histoire d’amour contrariée. Parmi les utilisateurs du premier réseau social mondial, les plus jeunes se montrent les plus assidus. Et les plus vulnérables. Du coup, Facebook vient de décider de modifier les paramètres de ses comptes pour les moins de 18 ans…
Concrètement, les messages publiés sur Facebook par des mineurs ne seront désormais visibles que par leurs seuls “amis” et moins facilement par leurs “amis d’amis” indique un communiqué. “Les jeunes de 13-17 ans qui ouvrent un compte Facebook se verront désormais proposer un paramétrage limité à une audience amis par défaut. Il s’agit donc d’une audience plus restrictive puisque auparavant le partage par défaut était proposé aux amis d’amis”.
De la poudre aux yeux
Cette déclaration relève pourtant de la poudre aux yeux. En effet, selon une étude de l’institut Pew aux États-Unis, si les adolescents partagent de plus en plus d’informations personnelles sur les réseaux sociaux (91% ont déjà publié une photo d’eux-mêmes) ils sont aussi de plus en plus nombreux (60%) à paramétrer leur profil en mode privé ce qui limite l’accès à leurs données.
Facebook cherche à se donner une bonne image de marque en se montrant apparemment soucieux de protéger la jeunesse. Mais en juin dernier, il a reconnu qu’il développait des outils pour ouvrir son réseau social aux moins de 13 ans. Théoriquement, en effet, les enfants de moins de 13 ans n’ont pas le droit de s’inscrire.
Rien n’oblige à dire la vérité sur la date de naissance
Dans les faits, pourtant, de nombreux enfants le font. Il suffit de “se tromper” sur sa date de naissance pour pouvoir ouvrir un compte. Et les très jeunes le font parfois avec l’accord de leurs parents. Selon une étude assez ancienne (2011) de Taylor Nelson Sofres (TNS), environ 7,5 millions d’enfants de moins de 13 ans auraient un compte Facebook aux États-Unis et 5 millions d’entre eux seraient sans surveillance parentale.
La limite de 13 ans est dictée par la loi américaine qui interdit de collecter des informations personnelles sur des enfants de moins de 13 ans sans le consentement parental. En France, la loi est plus restrictive et n’autorise la collecte d’information sur les mineurs qu’à deux conditions: “recueillir le consentement préalable des parents à qui on doit donner les moyens de s’opposer à la collecte” et “fournir une information claire aux mineurs”.
Pour ceux qui achètent de la pub, c’est pain béni
Plus spécifiquement, le recueil auprès de mineurs de données sensibles (origines raciales, opinions politiques, religieuses, philosophiques, syndicales, mœurs, orientation sexuelle) est interdit. Sauf que les progrès de l’analytique (les logiciels qui analysent les données) sont tels qu’il est possible de déduire ces informations à partir des profils Facebook avec une très faible marge d’erreur.
Pour les publicitaires et leurs clients, Facebook, c’est tout simplement du pain béni. Ils peuvent cibler leur message, traquer le jeune, le senior ou la ménagère de moins de 50 ans, découper la population en segment pour l’inonder de publicités ciblés. Sans surprise, l’analytique s’est imposé comme un outil indispensable à chaque campagne de pub.
Bien sûr, Facebook précise dans ses règles de publicité que le contenu d’un texte publicitaire ne doit pas “impliquer … en les ciblant, les caractéristiques personnelles d’un utilisateur”. Mais les règles du réseau social peuvent s’interpréter de bien des façons. “Les publicités doivent toujours appliquer un ciblage approprié et ne jamais utiliser de critères de ciblage pour inciter des utilisateurs.” explique ainsi le réseau social aux annonceurs.
Facebook va pouvoir capitaliser sur le profil des adultes
En limitant, par défaut, l’accès aux données des plus jeunes, Facebook cherche à se protéger vis-à-vis des lois américaines. Mais ce faisant, le réseau social a les mains libres pour exploiter les données des adultes sans risquer de tomber sous le coup de la loi. Il considère déjà qu’il est détenteur des droits des photos publiées sur le site et souhaite mettre dans les conditions générales une clause par laquelle l’utilisateur donne sa permission pour l’utilisation de son nom et de la photo de son profil à des fins commerciales.
Concrètement, il suffirait de “liker” une marque pour autoriser Facebook à vendre le profil à la marque en question. Plusieurs organisations de défense des libertés sur internet se sont inquiétées de cette dérive.