Plus de Sécu, pas assez l’insuline… J’avais un fils. Pour lui, la carte était vitale

Mathias est décédé en février à l'âge de 27 ans. Diabétique insulinodépendant, il n'a pas pu bénéficier d'un suivi nécessaire suite à de nombreux dysfonctionnements administratifs. C'est ce que dénonce sa mère, Véronique Picard, qui a lancé un appel à témoignages pour les étudiants en fin de droits de sécurité sociale. Témoignage.
 

Mon fils Mathias a intégré la fac sur le tard, il avait un don pour l'écriture mais il se cherchait encore. C'est après un long séjour au Danemark pour perfectionner son anglais qu'à son retour, il s'est inscrit à l'université de Rennes. Il ne voulait pas entendre parler de Paris où j'habite, préférant vivre dans une ville à taille plus humaine.

Il avait gardé du Danemark le souvenir d'un pays où tout coule de source, où les démarches administratives sont simplifiées, bref où les gens ne cherchent pas midi à quatorze heures et cela lui convenait, il privilégiait les relations humaines fiables et sincères, sa parole donnée faisait office de signature et sa confiance accordée était indéfectible. Il me disait souvent qu'éventuellement, il ne lui déplairait pas de retourner au Danemark pour y vivre.

À l'été 2012, il a choisi d'arrêter ses études, Mathias avait l'âme d'un autodidacte et il voulait devenir journaliste. Il s'est alors installé en Normandie où réside notre famille. Mais avant de trouver un emploi dans la presse, il voulait travailler, financièrement il en avait besoin… Il s'est donc inscrit à Pôle Emploi.

N'étant plus à la fac, sa Sécurité sociale étudiante s'est arrêtée en janvier 2013. Et c'est là que tout a basculé…

Mon fils était complètement sorti du système

Depuis l'âge de 4 ans et demi, Mathias était diabétique insulinodépendant. En France, quand on a une maladie dont la vie dépend, on est pris en charge à 100%. C'était le cas pour lui depuis toujours, nous n'avions jamais eu à nous soucier de quoi que ce soit pour ses soins quotidiens et pour le suivi de sa maladie qui n'est pas handicapante quand elle est traitée et bien surveillée.

Mathias a donc immédiatement déposé un dossier à la Sécurité sociale, il a attendu deux mois, pas de réponse. Je les ai moi-même appelés, la situation devenant inquiétante pour son suivi médical. Après quoi, mon fils a demandé à voir un conseiller qui lui a dit qu'il était sorti de leur fichier et donc qu'il n'était plus considéré comme diabétique !

Un nouveau formulaire à remplir lui a été remis. Il était complètement sorti du système… Pas de couverture sociale, donc pas de possibilité de trouver un travail. 

Pour compliquer encore plus la situation, pendant ses études il avait fait des petits jobs ponctuels pour la mairie de Paris et ça les embrouillait encore plus… La mairie de Paris a un statut à part qui ne dépend pas de la CPAM. Même les petites indemnités chômage auxquelles il avait droit pour ce job d'étudiant, Pôle Emploi ne pouvait pas les prendre en charge, c'était à la mairie de Paris de le faire. Il les a obtenues, mais après quoi, il n'a pas pu récupérer le RSA, solution qui aurait pu être provisoire puisqu'il souhaitait avant tout travailler.

Mais tout fait boule de neige quand vous êtes pris dans les méandres de l'administration qui vous adresse des fins de non-recevoir : vous ne rentrez pas dans les cases, c'est pas moi c'est l'autre… Cependant nous restions confiants, on est en France et il demandait juste la carte verte, celle que l'on dit vitale…!

Et pour un diabétique elle l'est vraiment, sa vie en dépendait…

Il ne pouvait pas bénéficier du suivi nécessaire

Les mois passaient, il re-déposait des dossiers à la CPAM, mais toujours pas de réponse. Mon fils était complètement sorti des circuits. Il s'occupait en écrivant durant des journées entières ou en aidant mes parents dans l'entretien de leur jardin mais il tournait en rond, se sentait usé, le stress le gagnait chaque jour, et le stress ce n'est pas bon du tout pour le diabète.

Pendant ce temps, nous payions nous-même le médecin et l'insuline. Mais faute de Sécu, il n'avait plus le suivi nécessaire que tout diabétique doit avoir au moins une fois par an en hospitalisation de jour durant une semaine pour surveiller ses yeux, ses artères, son cœur… tout ce que le diabète peut abîmer.

Sa dernière hospitalisation datait de février 2012 au CHU de Rennes et nous étions déjà en août 2013.

Nous étions ensemble lorsque les JT ont parlé d'un homme qui s'était immolé devant sa CAF faute d'obtention du RSA pour des raisons administratives. Nous nous sommes regardés, c'est à ce moment-là que nous avons perdu confiance face au broyeur des dysfonctionnements de l'administration, avec l'impression d'essayer d'obtenir le laissez-passer A-38 dans la maison qui rend fou des "12 travaux d'Astérix"…

Plus de Sécu étudiante, pas de carte vitale…

Mon fils s'est donc rendu dans un centre d'action sociale, pour faire avancer ses démarches, mais là encore, son "cas" était trop complexe, plus de Sécu étudiante, pas de carte vitale, le statut de la mairie de Paris… Il leur demandait la lune !

Pour toute solution, ils lui ont remis un pass santé pour qu'il soit reçu gratuitement à l'hôpital. Nous pensions qu'il avait enfin une garantie de secours en attendant mieux, mais il n'a pas été reçu par un diabétologue, juste un médecin qui lui a prescrit de l'insuline, le minimum… Et toujours pas d'hospitalisation de jour.

En janvier 2014, ce médecin s'est enfin décidé à lui donner un rendez-vous pour le 26 février avec un diabétologue du CHU. Entre temps, début décembre, nous avions fait le point ensemble sur cette année terrible. Je lui ai proposé de garder son studio en Normandie pour son indépendance le week-end et de revenir sur Paris durant la semaine, où je lui avais trouvé des pistes de travail.

Mais avant de me rejoindre, Mathias voulais régler cette histoire de Sécu, il ne voulait pas rater un job faute d'une réouverture de ses droits à la santé…

Heureusement, pour une fois, il est tombé sur quelqu'un qui a tout compris : l'assistante sociale du CHU. Elle a réussi à débloquer l'imbroglio administratif de son dossier et à lui avoir un rendez-vous avec un responsable de la Sécurité sociale.

Mon fils s'y est rendu le vendredi 14 février, tous ses droits allaient être rouverts après plus d'un an de galère, il fallait juste attendre trois semaines pour que la carte soit validée, la vie s'ouvrait à nouveau devant lui et il avait immédiatement pris un rendez-vous en diabétologie dans un hôpital parisien pour le mois de mars. 

"Pour avoir enfin une bonne reprise en main !", m'a t-il dit tout heureux.

Ce même jour, il s'est rendu au CHU via le pass santé pour que le médecin lui fournisse son insuline, mais celui-ci était en vacances… Aucune autre solution ne lui a été proposée avant une semaine.

L'absence d'examens a fait insidieusement son œuvre

En contrôlant son et en faisant de l'exercice pour économiser l'insuline qui lui restait, il a pensé qu'il pouvait tenir le week-end et se rendre aux urgences si jamais ça n'allait pas.

Le dimanche 16 en fin d'après-midi, il était en pleine forme, il était chez mes parents comme chaque dimanche et s'apprêtait à rentrer chez lui avec un steak salade pour tout repas, il plaisantait au téléphone, me rassurant en me disant qu'il irait aux urgences au cas où, et que mes parents lui avaient donné de l'argent si besoin. Je ne me suis pas inquiétée, mon fils avait toujours su gérer son diabète et c'était un jeune adulte responsable.

Une fois seul chez lui, il a vomi, c'était la semaine des gastros, il a annulé une soirée prévue avec son cousin, s'est allongé le temps que ça passe et s'est endormi. Mais ce n'était pas une gastro, le temps écoulé depuis les derniers examens approfondis effectués à l'hôpital de Rennes en 2012 avait fait insidieusement leur œuvre, sans que rien ne le laisse présager…

Ses papiers de Sécurité sociale sont arrivés… trop tard

J'avais un fils, il s'appelait Mathias.

Le 28 mars 2014, il aurait eu 28 ans, il avait la tête sur les épaules, des rêves plein la tête et la vie devant lui. Il était un garçon merveilleux, c'était quelqu'un de bien. Mais il ne s'est pas réveillé ce soir-là, il est mort faute d'avoir eu assez d'insuline sur le long terme, faute d'avoir eu un suivi approprié à son diabète depuis plus d'un an… faute de carte vitale, vitale…

Tous ses papiers de Sécurité sociale sont arrivés deux semaines plus tard…

En mars, j'ai saisi le pôle santé du Défenseur des droits afin qu'ils enquêtent et que je connaisse la vérité, cette enquête devrait aboutir fin juillet. Nous avons aussi décidé de créer un blog dédié à Mathias pour raconter le parcours du combattant qu'il a mené afin de récupérer ses droits fondamentaux à la santé.

Nous sommes aujourd'hui dans la douleur et je suis inconsolable. Nous souhaitons monter un dossier pour pointer les dysfonctionnements administratifs récurrents car nous nous sommes aperçus, avec les témoignages spontanés reçus après son décès, que les difficultés à obtenir la réouverture des droits à la Sécurité sociale après un changement de statut étaient fréquentes (étudiants, indépendants, etc…).

Pour mon fils et moi il est trop tard, mais vos témoignages peuvent nous aider à faire bouger les choses dans le bon sens puisque ce dossier sera remis au Défenseur des droits. Ce combat que nous menons est bien entendu aussi destiné à faire vivre la mémoire de Mathias dans l'esprit de tous.

Si vous aussi, ou vos enfants n'ont pas récupéré immédiatement leur carte vitale après leur statut d'étudiant, ou après tout autre changement de statut, merci de m'en faire part soit directement sur notre blog soit à l'adresse mail : pourmathias.appelatemoinvital@outlook.fr. Tous les témoignages sont publiés anonymement.

Afin de respecter notre douleur, nous demandons qu'aucune récupération ne soit faite autour de ce drame.

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Source : Le Nouvel Observateur / Par Véronique Picard Mère de Mathias, le 05.07.2014

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