Deux poids, deux mesures : À la tête du combat politico-médiatique contre “l’extrémiste” Dieudonné, Manuel Valls s’apprête à rencontrer -loin des caméras- Avigdor Lieberman, ministre israélien des Affaires étrangères et dirigeant d’un parti d’extrême droite.
Faisons un pari: David Pujadas et ses confrères de la presse écrite et audiovisuelle ne demanderont pas au ministre, comme à l’accoutumée, des éclaircissements sur ce sujet. L’objet de l’omerta ? Une rencontre -en catimini- entre Manuel Valls et Avigdor Lieberman doit se tenir dans les 48 heures. Ce mercredi 12 février, le ministre israélien des Affaires étrangères est arrivé à Paris pour une série d’entretiens évoqués, dans les grandes lignes, sur le site de son ministère. Selon le communiqué officiel, son homologue Laurent Fabius, des députés et des sénateurs, des dirigeants de la communauté juive et les représentants d’organisations anonymes “travaillant à renforcer les liens entre Israël et la France” seront les interlocuteurs d’Avigdor Lieberman. But essentiel du voyage: discuter des points de convergence et de désaccord au sujet de l’Iran et des sanctions internationales, partiellement levées par la France et les États-Unis.
Surprise, surprise. Parmi les personnalités rencontrées en figure une qui n’est pas censée, a priori, être présente durant la visite officielle d’un ministre des Affaires étrangères: Manuel Valls.
Ce dernier n’est pas exactement l’homologue de Lieberman. Par ailleurs, le ministre israélien des Affaires étrangères n’a pas de fonction relative à la communauté juive internationale, ce qui aurait pu justifier sa rencontre avec Manuel Valls, en charge de l’Intérieur mais aussi de la gestion des cultes.
Autre mystère: l’agenda du ministère de l’Intérieur ne fait aucune mention de cette rencontre. Et pour cause: la semaine du 10 au 16 février est curieusement absente du calendrier. À l’inverse, l’agenda de Laurent Fabius n’omet pas de signaler, comme il se doit, sa rencontre avec son homologue israélien, prévue vendredi à 11h, juste après le Conseil des ministres.
Mais, d’ailleurs: qui est Avigdor Lieberman ?
En novembre dernier, suite à son acquittement par un tribunal de Jérusalem (l’homme était inculpé pour fraude et abus de confiance), Le Monde le qualifiait -avec une infinie délicatesse- de“personnage controversé”.
Certes: ses prises de position peuvent prêter à la polémique. En 2009, Arte lui consacra ainsi un bref reportage à travers l’exposition du racisme décomplexé de ses militants.
Vidéo : L’Extrême-Droite en Israël avec Lieberman : Mort aux Arabes !
L’historien israélien Shlomo Sand</a avait déjà insisté -en 2009, lors d’un entretien avecL’Express– sur le radicalisme « identitaire» de Lieberman, ajoutant qu’il était « pire que Le Pen ».
Vidéo : Israël- – Lieberman est pire que Le Pen
En novembre 2012, cet ultra-nationaliste, originaire de Moldavie et bientôt placé à la tête de la commission parlementaire des affaires étrangères et de la défense, était invité par un prestigieux think-tank américain, The Brookings Institution, afin d’exposer sa vision singulière de la politique internationale. A titre d’illustration -parmi tant d’autres exemples disponibles- de son idéologie, on peut ainsi l’entendre exprimer -à la 26ème minute de la vidéo suivante- son regret au sujet de Moïse, qui aurait dû mener son peuple « au Bénélux » plutôt qu’au Moyen-Orient car les pays voisins seraient plus aimables que ceux entourant Israël.
Vidéo : Une conversation avec le ministre des affaires étrangères israélien Avigdor Lieberman
En décembre 2013, de nouveau invité par le même think-tank, Lieberman réfuta « complètement », à la 55ème minute de la vidéo ci-dessous, le mot « occupation » employé par une auditrice du public. Selon l’homme redevenu ministre un mois plus tôt, il ne peut pas y avoir « occupation » des territoires palestiniens car, entre autres explications, il n’y avait pas d’État palestinien avant 1948.
Vidéo : Forum 2013 de Saban : Une conversation avec le ministre des affaires étrangères israélien Avigdor Lieberman
En ce mois de février, l’ultra-radical Lieberman serait en train, selon des observateurs de la vie politique israélienne, de tenter de modérer l’image de son parti (candidly-speaking-foreign-minister-lieberman-cannot-act-as-a-maverick-in-the-government-338327), classé à l’extrême droite, afin de gagner en crédibilité pour briguer, à l’avenir, le poste de Premier ministre.
Ce qui ne l’empêche pas de continuer à rassurer son électorat le plus extrémiste: à l’instar de son collègue Uzi Landau, l’homme continue ainsi de prôner “des transferts de populations et de territoires, et notamment que certaines zones peuplées par des Arabes israéliens fassent partie d’un futur État palestinien”. En clair, il s’agirait de remettre des villes arabes israéliennes à l’Autorité palestinienne en échange de la souveraineté sur des colonies juives en Cisjordanie. Une proposition à laquelle s’est déjà opposée le président Shimon Peres : “Israël ne peut pas retirer leur citoyenneté à ses ressortissants simplement parce qu’ils sont Arabes.”
Pour comprendre l’impact d’une telle proposition au sein de la population ciblée, un reportage récemment diffusé par une chaîne israélienne donne un éclairage intéressant quant à la perception de la société civile arabe.
Vidéo : Lieberman, le ministre à faire des étrangers
Qu’en est-il de Manuel Valls ? Sa rencontre secrète avec Lieberman ressemble à une séance de rattrapage. En novembre, le ministre de l’Intérieur avait annulé une visite dans l’État hébreu en raison des révoltes sociales en Bretagne. L’homme devait initialement venir renforcer la coopération policière (et notamment l’échange d’informations dans le domaine sensible et opaque du renseignement) entre Paris et Tel Aviv.
Lieberman n’est pas chargé des questions policières mais s’il devait continuer son ascension dans la vie politique israélienne, il deviendrait, de facto, un personnage incontournable, notamment pour le ministre français qui s’était déclaré, en novembre 2012, « absolument engagé pour Israël ». Dans l’affaire Dieudonné, Valls a fait preuve d’un activisme singulier et influencé par ses propres relais amicaux au sein du Crif. Aujourd’hui, sa volonté de nouer des liens avec un extrémiste israélien notoire confirme, si besoin était, son “humanisme républicain” à géométrie variable: s’indigner de Dieudonné pour se lier d’amitié avec Lieberman ne manque pas de piquant.
Espérons, dès lors, que la rencontre secrète entre les deux hommes se tiendra ce vendredi 14 février, au jour propice de la Saint-Valentin: cela ne serait que justice pour l’élu d’une République laïque et souveraine qui osa pourtant se déclarer, « par {sa} femme, lié, de manière éternelle, à la communauté juive et à Israël ».
« Quand même ».
Hicham HAMZA
Addendum 13/01/14: l’agence Sipa Media confirme aujourd’hui la rencontre Valls-Lieberman.
L’information, annoncée mardi 11 février par le ministère israélien des Affaires étrangères et reprise le lendemain par Panamza, n’avait été rapportée jusqu’alors que par la presse israélienne, américaine et libanaise.
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Source(s) : Panamza, le 13.02.2014