Ce serait tout simplement une première mondiale.
Le Sénat uruguayen est en passe de voter une loi régulant la production et la commercialisation du cannabis, une expérience sans précédent dans le monde orchestrée par le président Jose Mujica, un ancien guérillero au profil atypique.
Après le vote – quasiment acquis – du texte mardi au Sénat, l'État aura la mainmise sur la culture et la vente de ce produit psychotrope à des fins récréatives, poussant encore plus loin les expériences de certains États américains (Colorado, Washington), des Pays-Bas ou de l'Espagne, qui autorisent ou tolèrent la production de cannabis dans un cadre privé.
L'objectif du gouvernement de gauche du président José Mujica, ex-guérillero torturé sous la dictature (1973-1985) connu pour son pragmatisme, est de couper l'herbe sous le pied des narcotrafiquants. Il vise aussi selon lui à limiter les risques liés à la consommation du cannabis et à détourner ses amateurs des dealers et des drogues dures telles que la pâte-base, un dérivé ravageur de la cocaïne jugé responsable d'une recrudescence récente de la criminalité dans ce petit pays du cône sud-américain.
Si le texte est favorablement accueilli parmi les consommateurs, il se heurte au rejet de plus de 60% de la population et de plusieurs organisations, à l'intérieur comme à l'extérieur du pays. Pour rassurer ses détracteurs, M. Mujica a déjà annoncé qu'il était "prêt à faire marche arrière" si la loi ne produit pas les résultats escomptés.
Récemment, l'Organe international de contrôle des stupéfiants (OICS) s'est dit "préoccupé" par les répercussions du projet uruguayen sur la santé publique et les violations potentielles des traités internationaux ratifiés par l'Uruguay.
Une partie des secteurs conservateurs de la société uruguayenne s'inquiète aussi de la possible émergence d'un "tourisme cannabique", dans un pays d'ordinaire plutôt convoité pour ses plages désertes. De son côté, l'ordre des pharmaciens s'est dit opposé à la vente du produit en officine, comme le prévoit le texte.
En termes de santé publique, les médecins uruguayens sont divisés sur l'opportunité de la loi, certains craignant une banalisation de la consommation de drogue, alors que d'autres vantent comme le gouvernement la double opportunité d'un suivi du consommateur et d'une barrière face aux drogues dures.
Le projet de loi a déjà été approuvé le 31 juillet par la majorité du "Frente amplio" ("Front large", coalition de gauche au pouvoir) à la Chambre des députés. Les sénateurs du FA, également majoritaires, devraient voter le texte sans encombre.
Si la promulgation du texte par le président devait survenir rapidement, l'exécutif a indiqué que les décrets d'application de la loi ne seront prêts qu'en avril 2014. C'est seulement alors que pourront débuter la culture et l'enregistrement des usagers et cultivateurs.
Le texte prévoit trois modes d'accès au produit: l'auto-culture, la culture dans des clubs de consommateurs et la vente en pharmacie, sous contrôle public. Toute publicité sera interdite et les cultivateurs ou consommateurs – des résidents obligatoirement majeurs- devront s'inscrire sur un registre national.
Les autorités envisagent d'autoriser la culture de 20 hectares de chanvre indien pour couvrir les besoins de ce pays de 3,2 millions d'habitants. Plusieurs entrepreneurs uruguayens et étrangers se sont déjà portées candidats pour cultiver la plante.
La consommation de cannabis n'est actuellement pas pénalisée en Uruguay, mais les consommateurs se réjouissent déjà de cette loi, censée selon eux améliorer la qualité du produit et faire sauter le tabou du cannabis au sein de la société uruguayenne.
"En plus, cela va être moins cher que ce qui est vendu sur le marché noir", assure à l'AFP Matias Piedra Cueva, musicien et producteur audiovisuel. Le gouvernement envisage un prix de vente avoisinant un dollar (0,75 euro) le gramme.
Lorsqu'elle a été annoncée l'année dernière, l'initiative uruguayenne a relancé un vaste débat sur la légalisation des drogues en Amérique latine, où nombre de gouvernements et experts constatent l'échec des politiques répressives promues par les États-Unis.
Aujourd'hui, les observateurs s'opposent sur la portée de cette "expérience pour le monde" que dit mener le président Mujica.
"Il n'y a pas beaucoup de criminalité autour de ce thème en Uruguay, donc le changement n'est pas profond (…) Ce n'est pas une expérience qui peut être reproduite avec facilité" dans des pays plus grands, avance Steven Dudley, codirecteur du portail Insightcrime, spécialisé sur le trafic de drogue en Amérique latine.
Au Mexique et en Colombie, pays en première ligne des ravages causés par le trafic, les gouvernements ne veulent d'ailleurs pas entendre parler de légalisation.
Felipe Tascon, expert en économie de la drogue de l'Université autonome de Colombie, accorde au contraire à cette initiative "un poids symbolique énorme" et un exemple à suivre pour les pro-légalisation du continent.
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Source(s): AFP / YouTube / DH.be / AFP, le 08.12.2013 / Relayé par Meta TV )