La mystique de l’Europe nouvelle Par Valentin Martin et Jacques Maillard

La mystique de l’Europe nouvelle

Après avoir reçu le prix Charlemagne 2018 par la ville d’Aix-la-Chapelle pour « sa vision forte pour une Europe nouvelle », Emmanuel Macron s’est dit très honoré.

On le comprend. Dans la « mystique » qui définit sa politique (1), comme il « ne sépare jamais Dieu du reste », l’Europe nouvelle apparaît comme une sorte de cité céleste augustinienne, un idéal absolu vers lequel tend tout son projet.


La cité céleste européenne

Il s’inscrit ainsi dans la longue liste des illustres européistes qui ont eux aussi partagé la mystique de l’Europe nouvelle, qui transcende les clivages et les âges. On y trouve en effet des chrétiens-démocrates, des socialistes, des papes, des anciens nazis. Ainsi Walter Hallstein, premier président de la Commission européenne, après avoir été juriste du Troisième reich chargé d’élaborer la construction de l’Europe Nouvelle (2) , fut-il l’heureux lauréat du prix Charlemagne en 1961. C’est que le projet pour l’Europe nouvelle est un idéal, une étoile vers lequel convergent les regards des hommes de foi, sans s’attarder sur les vicissitudes de l’époque et les contingences de la cité terrestre. L’Europe Nouvelle de Hitler, poussée par une vraie mystique mais aussi très encadrée par des écrits juridiques et techniques d’universitaires comme ceux de Carl Schmitt, a elle aussi en son temps fasciné nombre d’intellectuels français (3).


La tradition intellectuelle à laquelle appartient Emmanuel Macron, celle des Saint-Simoniens, des jésuites, et de la Revue Esprit, fut particulièrement réceptive à cette mystique. Dès le XIX è s., les Saints-Simoniens qui voulaient instaurer un « nouveau christianisme » cherchèrent à réorganiser la société européenne. Ils rêvaient de voir la France intégrée, aux côtés de l’Allemagne, dans une Europe confédérale. « Macron fréquente très jeune la revue Esprit, il est imprégné de la pensée d’Emmanuel Mounier [fondateur de la publication]… (4) » . De 2009 à 2016, il fut membre du conseil d’administration du think tank En Temps Réel, héritier de la fondation Saint-Simon. Emmanuel Mounier, fondateur de la fondation Saint-Simon, fit lui aussi passer l’Europe nouvelle avant toute autre considération, notamment l’Occupation allemande. « Constatant l’accouchement, écrit-il en 1940, d’ « une Europe autoritaire pour avoir trop longtemps été une Europe libertaire », je ne trouve pas « déraisonnable de prévoir l’impulsion à donner à ce monde convulsionnaire pour quelques siècles en avant(5) ». Quant à Ricoeur, aux côtés de qui Macron « a appris le siècle précédent et appris à penser l’histoire », il fut un des propagandistes les plus actifs aux cercles Pétain.

  France Européenne : les volontaires de la LVF visitent en groupe La Vie nouvelle (juin 1942)

Pour faire accoucher l’histoire de cet idéal, il faut parfois un peu la brusquer. Charlemagne, couronné par le pape, considéré par les historiens comme le fondateur du Premier Reich, c’est-à-dire de l’empire germanique, força ainsi tous les païens de Saxe à se convertir au catholicisme sous peine de mort (6) , afin de réaliser la fraternelle unité religieuse de l’Europe. En 782, il a ordonné au tribunal de sang de Verden la décapitation de quatre mille cinq cents Saxons ayant pratiqué le paganisme après avoir été convertis au christianisme. Hitler, fondateur du le Troisième Reich, admirait d’ailleurs ce père spirituel de l’Europe germanique (7).

Un quatrième Reich ?

Aujourd’hui encore, il faut faire preuve d’une vraie ferveur pour imposer par la force l’Union Européenne, que certains qualifient de « Quatrième Reich » (8), en raison de l’hégémonie économique et politique de l’Allemagne en Europe. Les refus de reconnaître et de tirer les conséquences du référendum français de 2005 et du référendum grec de 2015, sont des exemples de ces fervents actes de foi. La tâche est rude. Heureusement, « il y a un peu de Dieu en Macron… » comme l’assure l’Express (9). Son épouse a demandé à tous les représentants de culte de prier pour son mari lors de l’élection. Baptisé à douze ans, à son initiative, il a été élevé chez les jésuites, donc sûrement initié aux voies impénétrables de la providence.

Le glaive vengeur de l’Europe Nouvelle doit s’abattre sur ses opposants. Les hérétiques, auteurs de jugements contre la Vérité (les « fake news » aujourd’hui) auront le choix entre la conversion ou la mort sociale. Ainsi parlait Thomas d’Aquin : « l’hérésie est un péché par lequel on mérite d’être exclu du monde par la mort. » « Cet article, je le déclare faux, erroné et hérétique » auront à déclarer les coupables de « fake news », comme le fit par exemple le savant atomiste du Moyen-âge Nicolas d’Autrecourt face au tribunal de la Curie Romaine (10). Aujourd’hui le pape François vient de déclarer « sataniques » les « fake news ».

 Vendredi 6 mai 2016, le Pape François a reçu le prix Charlemagne

Les thèmes de la Nouvelle Europe sont si divins qu’ils transcendent les époques. Comme à l’époque de la Propaganda Abteilung, on trouve « l’Angleterre a-européenne », impie ou plutôt l’Angleterre apostate après le Brexit. Il y a « l’Europe troisième voie », partisane selon Macron du « multilatéralisme » entre la Russie et l’Amérique. Il y a « l’Europe anti-bolchévique », aujourd’hui anti-Poutine. La participation systématique et répétée des forces armées françaises aux exercices et déploiement de l’OTAN aux frontières russes, pourrait rappeler à des esprits malsains l’intégration de la légion Charlemagne à la Waffen SS pour défendre l’Europe (11).

Face à la lumière étoilée de l’Europe nouvelle, se tient la figure démoniaque de la grande pécheresse, la cité terrestre augustinienne, la prostituée de Babylone et méritant toutes les apocalypses : la France. De la destruction de l’ordre des Templiers par Philippe Le Bel, de l’Edit de Nantes de Henri IV, de la nationalisation des biens du clergé en 1789, à la loi de 1905, on ne présente plus tous les péchés de la France. Certains esprits malins pourraient accuser Macron de poursuivre cette tradition anti-française, lorsqu’il déclare par exemple ne pas vouloir défendre la souveraineté française, mais la seule « souveraineté européenne ».

Le démon français

La haine de la France semble une constante des sectateurs de l’Europe Nouvelle. Hitler l’Européen qui considérait que « la Nature ne connaît pas de frontières politiques », estimait que le plus grand ennemi du Troisième Reich était la France (12). Mitterrand avouait avant de mourir que les Etats-Unis menaient une guerre secrète et totale contre la France. Les croisés de la construction européenne, comme Cohn-Bendit, émaillent leurs discours d’anathèmes anti-français. Et le pape ne ménage pas sa colère face à cette nation des Lumières pas assez « ouverte à la transcendance » et qui « considère les religions comme des sous-cultures »(13) . Dans l’Europe à la vertu mariale, la France fait figure de démon. L’agence de renseignement américaine Stratfor, très active dans les interventions salutaires contre les régimes déviants (révolutions colorées) pourtant avare de publications ne résiste à la tentation de publier un article intitulé : « La France ne sera jamais normale »(14) . La raison en est simple : seuls deux pays au monde ont une conception universaliste de leur histoire, la France et les Etats-Unis. Et la France est laïque.


Le très chrétien roi de Carthage Genseric qui avait mis à sac Rome, déclarait que plus une cité est riche plus elle a péché. La France elle aussi est coupable de détenir deux types de richesse : des richesses matérielles, mais surtout des richesses immatérielles.

Le sac de la France

Il y a bien sûr le trésor économique, agricole, industriel et technologique qui attire toutes les convoitises. De la même façon qu’il ne faut pas, selon Macron, « séparer la transcendance de l’immanence », le projet de fraternité européenne n’est pas incompatible avec la satisfaction des appétits les plus terrestres. Ainsi Macron s’applique-t-il à accélérer les privatisations et la vente des richesses du pays, partageant le butin de la cité pécheresse entre les firmes et banques allemandes et américaines (ferroviaire, nucléaire, aéronautique, militaire). Mais Italiens, Chinois, Belges et autres ont aussi droit aux miettes du festin (chantiers navals, aéroports, barrages…). L’abandon des services publics accéléré par l’exonération d’impôts des plus riches, permet aux apôtres les plus désintéressés de l’Europe nouvelle de s’accaparer les secteurs abandonnés par l’Etat. Par exemple, l’Eglise catholique n’a certainement rien contre l’idée d’accueillir dans leurs écoles un nombre grandissant de familles qui « fuient le public ». Aujourd’hui, le privé sous contrat (à 95 % catholique) scolarise de plus en plus d’élèves (17% des élèves), et l’enseignement catholique se développe aussi sur des « marchés » aussi variés que la petite enfance, l’enseignement technique et universitaire (15). Le capital immobilier de la nation, musées, châteaux, édifices publics, mais aussi forêts, rivières, littoral, est bradé aux plus riches en vertu du dogme de la réduction de la dette brute. Quant au « capital humain », la liturgie européenne en glorifie son exploitation maximale.

  George Soros a une grande influence sur les organes de l’UE à Bruxelles où il encourage et favorise l’immigration de masse.

Mais si la France pèche, c’est surtout à cause de sa richesse immatérielle, celle de son histoire, de sa philosophie, de sa littérature, et de sa culture. L’histoire de la France est traversée par des forces qui viennent de l’Antiquité gréco-romaine qui ont toujours survécu malgré tous les projets d’extermination, et qui portent les idéaux de liberté, de raison et de laïcité (16). Que le peuple vive heureux dans un Etat séparé des religions – la croyance étant une affaire privée – , là est le péché capital de la France. La Renaissance, les Lumières et la Révolution ont fini par déchaîner contre la France toutes les forces les plus réactionnaires des « Anti-lumières »(17) . En Autriche, sous l’ère nazie, les auteurs français comme Montaigne, Descartes, Voltaire étaient enfermés sous clé dans les bibliothèques des villages(18) . Marx a fui l’idéologie allemande et la Prusse pour se réfugier à Paris « capitale du monde moderne » (19). L’esprit critique, l’humour, la libre-pensée ont fait école. Comme l’écrit Michelet à propos de Frédéric II de Bavière : « Français signifiait pour lui libre-penseur ». Le modèle de la république laïque, ce « sécularisme », est inadmissible pour l’oeil inquisiteur de Stratfor. Rationnel, il a non seulement réussi à se consolider en France, mais a aussi servi de modèle aux républiques de tous les continents, aujourd’hui souvent d’ailleurs victimes de coups d’état.

Carte datant de 1945, réalisée par la Waffen SS qui œuvrait en vue d’une Europe des ethnies, préfigurant l’Europe fédérale des Länder, aujourd’hui en construction, sous hégémonie germano-américaine…

Pour terrasser ce démon, les clercs de l’Europe nouvelle ont et continuent à faire appel aux expédients les plus ingénieux : immigration de masse, désindustrialisation pour ôter toute possibilité d’indépendance, institutions supra-nationales qui bâillonnent le peuple, communautarismes favorisant la mise à sac du pays. Dans ce jeu, les salafistes sont utilisés comme béliers. Ils jouent le rôle que les barbares, « fléaux de Dieu » appartenant à la secte chrétienne des Ariens, ont joué dans le sac de Rome. Macron n’a-t-il d’ailleurs pas fait preuve de mansuétude à leur égard lorsqu’il déclara que la société française portait une part de responsabilité dans les attentats du 13 novembre ? Saint Augustin et son ami Orose déclaraient aussi que si Rome avait été mise à sac en 410 par les barbares, menés par le chrétien Alaric, c’est parce qu’elle avait péché .(20)

Le vœu le plus cher des mystiques de l’Europe nouvelle est de faire basculer le pays dans un nouveau moyen-âge. Mais peut-être le peuple français, fidèle à son histoire, saura-t-il se lever et les renvoyer à leur juste place : aux égouts de l’histoire.

Valentin Martin et Jacques Maillard
Bureau national du Comité Valmy
Source : Comité Valmy 5 février 2018

Notes

(1) http://www.lemonde.fr/politique/article/2017/09/23/macron-un-president-tres-spirituel_5190170_823448.html#vCJUCYFw02TX3WDS.99

(2) Voir http://www.comite-valmy.org/spip.php ?article8641

(3) L’Europe Nouvelle de Hitler, une illusion des intellectuels de la France de Vichy, Bernard Bruneteau, éd. Du Rocher, 2003

(4) L’express, 24 janvier 2018,

(5) cité par l’historien Bernard Bruneteau dans son ouvrage L’Europe Nouvelle de Hitler.

(6) Edit des capitulaires saxons

(7) « Hitler considérait Charlemagne comme l’un des plus grands hommes de l’histoire d’Allemagne, car il voyait d’abord en lui l’unificateur des Allemands et le créateur de l’Empire ; il l’approuvait d’avoir, en vue de ce « but national suprême », aussi bien introduit la religion chrétienne dans les pays germaniques que d’avoir agi avec une rigueur impitoyable contre tous ceux qui ne voulaient pas coopérer à l’unification sous l’égide du christianisme. C’était pour cela qu’il ne tolérait pas que l’on pût critiquer les massacres du grand empereur Charles… » (Dr Otto Dietrich, Hitler démasqué)

(8) « Des gens ont commencé à parler de Quatrième Reich, en référence au Troisième Reich d’ Adolf Hitler. Cela peut sembler absurde du fait que l’Allemagne d’aujourd’hui est une démocratie accomplie sans la moindre trace de national-socialisme… Mais une réflexion plus profonde sur le mot « Reich », ou empire, n’est peut-être pas inappropriée. Le terme fait référence à une domination, avec un pouvoir central exerçant un contrôle sur différents peuples. Selon cette définition, serait-il inexact de parler d’un Reich allemand dans le domaine économique ? » Der Spiegel, http://www.spiegel.de/international/germany/german-power-in-the-age-of-the-euro-crisis-a-1024714.html

(9) L’express, 24 janvier 2018, p.7

(10) Nicolas d’Autrécourt, Correspondance, Articles condamnés, Jules Vrin, 2001, Paris.
(11) Voir notamment http://www.opex360.com/2018/01/12/otan-groupement-tactique-francais-lynx-a-ete-redeploye-lituanie/

(12) « Il faut qu’on se rende enfin clairement compte de ce fait : l’ennemi mortel, l’ennemi impitoyable du peuple Allemand est et reste la France. » (Mein Kampf)

(13) https://www.ladepeche.fr/article/2017/09/02/2637910-verbatim-laicite-mariage-gay-les-mots-tres-durs-du-pape.html

(14) https://worldview.stratfor.com/article/france-being-normal-not-option « Il y a seulement une seule nation qui puisse rivaliser avec la France dans sa perception de l’histoire, capable de neutraliser sa croyance en une mission permanente au nom de l’humanité : les Etats-Unis d’Amérique. D’où la rivalité assymétrique entre Paris et Washington. »

(15) http://www.lemonde.fr/education/article/2017/01/06/education-les-reformes-de-la-gauche-ont-elles-fait-le-jeu-du-prive_5058462_1473685.html#ef2x3AzTAQHmvB6V.99

(16) « L’idéal politique de l’Eglise est le même que celui de l’Islam : la théocratie, un Etat où toutes les institutions sont régies par la Loi divine, tirée elle-même de l’exégèse d’un livre sacré. La forte constitution de l’empire romain et les traditions qu’il a léguées aux nations issues de son démembrement ont empêché que cet idéal fût atteint. » Bouche-Leclerc, L’intolérance religieuse et la politique, Flammarion, 1911, Paris, p.346.

(17) Selon le chef de file de ce courant, Herder, « Les Barbares représentent par rapport à la décadence romaine, le même retour à la saine vitalité que le Sturm and drang prétend représenter par rapport aux Lumières françaises. » Z. Sternhell, Les anti-Lumières, du XVIIIè s. à la guerre froide, Fayard, 2006, p.326.

(18) « Les Voltaire, les Montaigne, les Descartes devaient être bouclés une fois pour toutes dans ces armoires…Les miens n’ont jamais pardonné à mon oncle Georg d’avoir ouvert ce récipient, d’avoir brusquement laissé sortir le poison de l’esprit… Qu’on put soudain respirer à Wolfsegg non seulement la stupidité catholique, mais aussi la liberté de l’esprit, ils ne l’ont pas pardonné à mon oncle Georg, que Descartes et Voltaire fussent aussi dans l’air à Wolfsegg, pas seulement le catholicisme et le national-socialisme. » Thomas Bernhard, Extinction, Gallimard, Paris, 1986, p. 98

(19) « Paris, cette vieille et grande école de la philosophie, absit omen ! Et cette nouvelle capitale du monde nouveau. Je serai à Paris à la fin du mois, parce que l’air d’ici rend nos esprits serfs et qu’en Allemagne je ne vois absolument pas de champ pour une activité libre. » (Marx, Pléiade, tome « philosophie », p.342) ; « Le monde philistin le plus parfait, notre Allemagne, devait naturellement rester loin derrière la Révolution française, qui a rétabli l’homme ». (idem, 337)

(20) Orose VII, 37 : « L’ingrate Rome sait maintenant que la miséricorde détournée du jugement de Dieu avait pour but non de pardonner, mais de punir l’audace de l’idolatrie. » cité par André Piganiol, Le sac de Rome, Albin Michel.

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