Intelligence émotionnelle, intelligence intuitive : la fin de l’hégémonie du QI

Une nouvelle conception de l’intelligence émerge depuis une une vingtaine d’années, dans laquelle les émotions et l’intuition occupent une place à part entière.

intelligence intuitive intuition émotionnelle

L’intelligence ne se borne pas à des capacités logico-déductives et verbales. Elle inclut, entre autres, des capacités intuitives et émotionnelles.

Etre intelligent, c’est être capable de logique, de déduction, d’abstraction. C’est répondre haut la main aux tests de QI, lesquels, inspirés des travaux d’Alfred Binet, au début du XXe, dominent notre manière de concevoir l’intelligence. Oui… Mais. Et si l’intelligence, c’était beaucoup plus que ça ? Et si l’intelligence avait d’autres visages, qui eux, ne se calculent à la hauteur du quotient intellectuel ?

De l’intelligence sociale de Thorndike à aux intelligences multiples de Gardner

Dès les années 20, Edward Lee Thorndike, psychologue américain, s’insurge contre cette vision étriquée de l’intelligence. Il met en avant le caractère multidimensionnel de l’intelligence, et distingue les capacités abstraites des capacités sociales. Novatrice, sa thèse passe pourtant inaperçue. Il faudra attendre les années 80 pour que, de nouveau, un théoricien ose remettre en cause le consensus de « l’intelligence intellectuelle ». C’est Howard Gardner, éminent professeur de psychologie à Harvard qui met le feu aux poudres. Il publie un livre confidentiel, destiné à l’origine à un cercle fermé de spécialistes. Mais, contre toute attente, « Frames of Mind : the Theory of Multiple Intelligence », a du succès auprès du grand public. Gardner y expose sa théorie des intelligences multiples, égratignant au passage la société occidentale et sa démarche de normalisation.

« notre société souffre de trois déformations, ‘l’occidentomanie’, la ‘testomanie’ et ‘l’élitomanie’»,. ‘L’occidentomanie’ consiste à mettre certaines valeurs culturelles occidentales, héritées de Socrate, sur un piédestal. La pensée logique et la rationalité sont certes importantes mais elles ne sont pas les seules. La ‘testomanie’ reflète la tendance à privilégier les compétences ou les manières de faire facilement quantifiables. (…)‘L’élitomanie’ : (…) il est dangereux de croire qu’une approche unique par exemple logico-mathématique, peut fournir toutes les réponses à un problème donné », Howard Gardner.

Les aptitudes liées à la compréhension de la nature humaine permettent d’être heureux

 Le chercheur constate qu’un Q.I. élevé ne garantit en rien le succès, la réussite ou le bonheur. Selon lui, -en dehors des aptitudes habituellement reconnues, à savoir l’intelligence logico-déductive  (aptitudes pour les maths, la déduction) et verbale (maniement du langage)- il existe d’autres intelligences, tout aussi importantes, qui doivent, à leur tour, être valorisées. Aux côtés des  aptitudes spatiales (s’orienter, se représenter en 3 dimensions), musicales (penser en sons, en rythmes) et kinesthésiques ( savoir utiliser son corps), Gardner identifie deux formes d’intelligences « personnelles », directement liées à la compréhension de la nature humaine. Il distingue :

. L’intelligence interpersonnelle : aptitude à discerner l’humeur, le tempérament, la motivation et le désir des personnes, à y répondre correctement et à nouer des relations avec les autres.

. L’intelligence intrapersonnelle : capacité « intrapsychique » à avoir une connaissance de soi, accéder à ses sentiments, émotions, comprendre ses forces et ses faiblesses.

Le chercheur souligne que ces deux dernières aptitudes, peu connues, difficiles à cerner, sont indispensables pour mener son existence à bien, faire les bons choix de partenaire amoureux ou d’orientation professionnelle… bref, être heureux. La théorie de Gardner, qui dérange une partie de la communauté scientifique, va être poussée plus loin et étoffée au cours de la décennie suivante. Elle va donner naissance au courant de « l’intelligence émotionnelle ».

On doit au chercheur de Harvard, Howard Gardner, d'avoir bouleversé dans les années 80 la notion d'intelligence avec sa théorie des Intelligences multiples, et la mise en avant des capacités inter et intrapersonnelles, liées à la compréhension de la nature humaine, les émotions et l'intuition.

On doit au chercheur de Harvard, Howard Gardner, d’avoir bouleversé dans les années 80 la notion d’intelligence avec sa théorie des Intelligences multiples, et la mise en avant des capacités inter et intrapersonnelles, liées à la compréhension de la nature humaine.

Les émotions nous aident à faire les bons choix

 C’est le psychologue et journaliste scientifique américain Daniel Goleman qui a popularisé cette notion, avec la parution, en 1995, du best-seller mondial « L’Intelligence Emotionnelle ». Dans cet ouvrage, il passe en revue une série d’études menées dans les domaines des neurosciences et de la psychologie. Les émotions, jusqu’alors perçues comme l’ennemi de la raison, sont réhabilitées. Au contraire, bien utilisées, elles sont leur principal allié. Ainsi, « l’esprit émotionnel », plus rapide que l’esprit rationnel, est capable de déchiffrer les sentiments chez les autres et en nous-mêmes, et possède une vue d’ensemble de la situation. Dans les situations complexes, en cas d’urgence, de danger, les émotions, par leur « caractère hautement adaptatif » seraient les plus efficaces. Elles nous permettraient de faire les bons choix. On observe par exemple que des individus, privés d’émotions accidentellement ou à la suite d’une opération, se trouvent soudainement incapables de prendre la moindre décision, même la plus anodine, leur vie se transformant en enfer (cf L’erreur de Descartes, du neuroscientifique américain Antonio Damasio). En d’autres termes, les émotions nous guident vers la bonne décision plus rapidement que l’esprit rationnel, pour peu qu’on les laisse s’exprimer sans nous envahir. ‘Agir sous le coup de l’émotion’ n’est donc pas nécessairement une mauvaise chose.

 De l’intelligence émotionnelle à l’intelligence intuitive

 Dans la lignée de l’intelligence émotionnelle, la notion d’intelligence intuitive fait timidement mais sûrement son apparition. Thème de recherche privilégié des neurosciences depuis une dizaine d’années, l’intuition est, pour les chercheurs, la marque de l’intelligence de notre inconscient. Capable d’amasser une quantité phénoménale de données, dont la plupart échappent à la vigie de notre conscience, notre cerveau est capable de bien des prouesses. Il peut, à « l’insu de notre plein gré », faire des analogies, des rapprochements, des associations. Il est capable de traiter une grande quantité d’informations en un temps record et procéder à une analyse express de la situation.  Le tout, de manière inconsciente. Longtemps méprisée et déniée au profit de l’intelligence rationnelle, la notion d’intelligence intuitive commence à intéresser les entreprises, en particulier sous son versant management et leadership. Elles voient dans cette nouvelle approche colle avec la nécessité d’être réactif dans un monde ne perpétuel mouvement.

 L’intelligence intuitive recoupe plusieurs aptitudes, dont certaines relèvent aussi du champ de l’intelligence émotionnelle, et des intelligences intra et interpersonnelles de Gardner, liées à la compréhension de la nature humaine, parmi lesquelles :
Des aptitudes liées à la conscience de soi
Capacité d’être en contact et accepter son inconscient, affinités avec le langage symbolique, analogique et métaphorique, bonne connaissance de ses forces et de ses faiblesses, capacité d’être en accord avec soi-même, facilité pour l’introspection, capacité de comprendre, identifier et gérer ses propres émotions, capacité d’être en relation avec le monde sensible.
– Des aptitudes liées à la conscience des autres
Capacité à sentir, capter les autres, leurs émotions, à comprendre les non-dits et les signaux subtils, propension à l’empathie, c’est-à-dire à se mettre en résonance avec l’autre pour comprendre ce qu’il vit et ressent, capacité -conscientisée ou pas- à décrypter le langage corporel, facilité pour l’observation attentive.

Intelligence rationnelle, sociale, émotionnelle, intuitive… En ce début de XXIe siècle, la copie de l’intelligence est en train d’être sérieusement revue et corrigée. Cependant, on est encore loin de l’intégration de cette vision à 180 degrés dans la société et le système éducatif, largement dominés par la référence intellectuelle au QI. En attendant un jour peut-être que l’intuition et les émotions fassent l’objet d’une matière spécifique dans les grandes et les petites écoles, méditons sur cette  phrase du psychologue suisse du développement de l’enfant Jean Piaget (1896-1980) : « L’intelligence, ça n’est pas ce que l’on sait, mais ce que l’on fait quand on ne sait pas ».

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Source(s) : histoiredintuition.com (par Isabelle Fontaine

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