Génériques : Des études étaient truquées dénoncent le NHS et la FDA

C’est grâce à ce que nous appelons dorénavant un lanceur d’alerte, ce que les anglo-saxons appellent un whistleblower (littéralement, “ceux qui soufflent dans le sifflet”), que l’affaire du scandale des études truquées des génériques a éclaté. Dinesh Thakur, un ancien cadre supérieur de Ranbaxy, un des leaders mondial du générique, a contacté à plusieurs reprises les fonctionnaires du MHRA (Medicines and Heath Products Regulatory Authority), l’ANSM anglaise, afin de les prévenir de la falsification d’au moins 16 dossiers de médicaments génériques produits en Inde  et importés puis vendus en Angleterre, 16 médicaments parmi les plus vendus et dont les génériques allaient rapporter des centaines de millions de livres sterling chaque année. Il s’agissait d’antibiotiques, de médicaments anti cholestérol, d’antidépresseurs,  de traitements de la schizophrénie ou de l’épilepsie.

M. Thakur a dans une série de mails, informé dès 2004 le MRHA anglais que les données cliniques sur lesquelles se basait la mise sur le marché de ces médicaments génériques en Angleterre n’étaient pas fiables. Ce cadre supérieur d’un des plus important génériqueur Indien au monde écrivait par exemple dans l’un de ses mails : «les patients britanniques mettent leur santé en danger en utilisant des médicaments douteux et non testés».

En Novembre 2005, M. Thakur écrivait encore “La raison pour laquelle je vous écris est de vous alerter que Ranbaxy a fraudé le gouvernement britannique et le public britannique et j’espère que [vous] serez capable de faire quelque chose pour arrêter ce crime.”

Mais tellement désireux de mettre en place ces génériques supposés faire économiser des millions de livres sterling au NHS (National Health System), les autorités anglaises ont laissé leurs concitoyens consommer ces copies de médicaments et n’ont pas donné suite. A cette époque, de nombreuses autorités de santé comme en France l’Afssaps (rebaptisée ANSM), balayait d’un revers de main toute critique et toute interrogation sur la qualité des génériques. En France, les autorités de santé expliquaient qu’un générique était identique à un médicament princeps. Pourtant, ils savaient déjà qu’un haut responsable d’un laboratoire de génériques était prêt à parler. Mr Thakur contactera ensuite la FDA américaine (Food and Drug Administration) qui elle, va l’écouter. L’enquête se conclura en 2012 par une amende record de 500 millions de dollars payée par Ranbaxy.

Les soupçons sur la société Ranbaxy ont commencé en 2004, lorsque l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a découvert que le laboratoire menant les tests d’évaluation clinique des génériques produits par Ranbaxy avaient totalement fabriqué les résultats des tests de médicaments antirétroviraux destinés à traiter les malades du sida et du VIH. A la suite de cette découverte de l’OMS, rapportée à Ranbaxy, M Thakur fut nommé en interne pour mener une enquête. C’est ce qu’il mit en évidence qu’il communiqua alors aux autorités sanitaires Anglaises et Américaines. Car ce laboratoire travaillant pour Ranbaxy et falsifiant des données cliniques afin d’obtenir des autorisations de mise sur le marché sans évaluer réellement les médicaments, avait déjà constitué les dossiers pour la gabapentine un antiépileptique, pour la rispéridone, un antipsychotique et pour le sumatriptan un antimigraineux (le sumatriptan produit par Ranbaxy sera ultérieurement retiré du marché américain).

Thakur tira également la sonnette d’alarme sur la durée d’efficacité insuffisante (shelf life) de 10 médicaments ; en fait les données avaient été falsifiées pour les faire paraître bioéquivalentes aux médicaments princeps ; étaient concernée la metformine, un médicament consommé par la majorité des diabétiques, l’acyclovir, seul médicament anti herpétique efficace, un antidépresseur dominant le marché mondial, le citalopram, des antibiotiques (cefaclor,céphalexinecefradineamoxicilline-acide clavulaniqueclarithromycine), un antifungique (fluconazole), et un bêtabloquant (celiprolol). Ce n’est qu’en juin 2013 que le public Anglais apprendra par voie de presse comment les autorités de santé anglaise l’ont floué en étouffant les informations fournies par Thakur.

Mais depuis la condamnation record de Ranbaxy à 500 millions de dollars d’amende par la justice américaine, les langues se délient, et si les autorités sanitaires ont décidé de revoir tous les dossiers d’enregistrement de Ranbaxy, un deuxième génériqueur, encore indien, Wockhardt, est dorénavant sur la sellette.

L’information a été officiellement communiquée par Gerald Heddell, Directeur des inspections au MRHA lors d’une interview récente au journal Times of India, alors qu’il participait à l’inspection d’usines produisant des médicaments génériques en Inde. Heddell confirma qu’il y avait des problèmes avec 90 médicaments génériques produits par Wockard et que déjà 60 avaient déjà été retirés du marché. Parlant de ces société de générique, Heddell ajoutait : “Le problème majeur, le problème qui nous préoccupe réellement le plus est de savoir dans quelle mesure nous pouvons faire confiance aux données qu’ils nous fournissent ? Il existe de nombreux problèmes de non respect des bonnes pratiques de fabrication, mais la chose qui nous préoccupe le plus,  c’est que pouvons-nous croire des information données par cette société ?”.

Car depuis la condamnation de Ranbaxy par la justice américaine et donc la mise à jour officielle des pratiques de certains génériqueurs Indiens, il est effectivement plus que jamais permis de douter des génériques. Ranbaxy a d’ailleurs reconnu ces falsifications en ayant aux États-Unis plaidé coupable de sept chefs d’accusation, dont la vente de médicaments non conformes à la loi et la délivrance aux autorités de santé de renseignements falsifiés, entre 2004 et 2007. Des errements qui leur coûte aujourd’hui 500 millions de dollars en amendes civiles et pénales.

L’attaque frontale de la société de générique Wockhardt par les autorités anglaise du MRHA, relayée par la presse n’est pas anodine. Elle vise à prévenir la remise en cause globale du système des génériques en portant les accusations sur quelques-uns tout en s’exonérant des responsabilités auxquelles elles ont volontairement refusé de faire face il y a dix ans. Car la vérité se fait jour chaque jour un peu plus. Après le scandale Ranbaxy, fin novembre 2013, les autorités américaines bloquaient toutes les importations de génériques produits par le génériqueur indien Wockhard dans leur usine de Chikalthana (État de Maharashtra-Inde), une usine participant à hauteur de 25% au chiffre d’affaire de cette société. En mai 2013 déjà, les génériques provenant d’au autre lieu de production, en l’occurrence l’usine Wockhardt d’Auangabad, étaient interdit d’importation aux États-Unis.

En France, tout va bien ! Ranbaxy y commercialise des génériques depuis 2004. Actuellement, selon le site internet français de Ranbaxy, 80 molécules sont commercialisées dont l’oméprazole (Mopral), amoxicilline/acide clavulanique (Augmentin), simvastatine (Zocor), Kétoprofène (biprofenid), Xolaamflécaïnide (Flécaïne), metformine (Glucophage), paroxétine (Deroxat), gabapantine (Neurontin), ou encore l’amoxicilline Clamoxyl). Nombre de ces molécules figuraient parmi celles dont les dossiers avaient été dénoncés par le lanceur d’alerte Dinesh Thakur.

Toutefois la France n’a jamais émis la moindre complainte envers ce génériqueur. Est-il imaginable que les dossiers falsifiés aux États-Unis ne l’ai pas été en France, que les bonnes pratiques de production non respectées pour les productions exportées aux États-Unis l’aient été pour celles exportées en France ? Est-il possible que Ranbaxy ait fait réaliser des études conformes pour la France mais ait préféré des études falsifiées pour les États-Unis ? Ou est-il envisageable que la France ait préféré ne rien faire pour que le public et les malades n’aient pas de soupçons vis-à-vis des génériques déjà difficilement acceptés dans notre pays ? Est-il possible que les médicaments sortant des usines Ranbaxy et Wockhardt dont les importations sont interdites aux États-Unis, continuent d’être distribués dans les pays dont les autorités de santé préfèrent se voiler la face ?

Concernant la société de générique Wockhardt, sous le feu des critiques de la FDA et du NHS, elle possède un siège social en France : son site intérêt est très minimaliste informant que “WOCKHARDT est un groupe indien spécialisé dans la fabrication et la commercialisation des médicaments génériques et des bio-similaires. Il est présent en Asie, Afrique, Amérique du Nord, Europe et notamment en France depuis 2007 par l’acquisition du groupe NEGMA et de l’ensemble de ses filiales ».


 

Sources

British regulator warns Indian drug companies after data scandal
Dean Nelson, New Delhi
The Telegraph 30 Dec 2013

Britain ignored warnings of Indian whistleblower at heart of drugs scandal
Dean Nelson, New Delhi, Raf Sanchez in Washington, Richard Gray and Alex Spillius
The Telegraph 13 Jun 2013

US bans drug imports from Wockhardt factory
Avantika Chilkoti in Mumbai and Amy Kazmin in New Delhi
Pharmaceutical, November 27, 2013 10:54 am

U.S. Bans Import of Generic Drugs From Indian Plant
Katie Thomas
New York Times, 16 septembre 2013

Generic Drug Maker Pleads Guilty in Federal Case
Katie Thomas
New York Times, 13 mai 2013

Maker of Generic Lipitor Halts Production
Katie Thomas
New York Times, 29 novembre 2012

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Source(s): CBS Evening News / CBS This Morning /Bloomberg TV India / ​YouTube / ​Docbuzz, le 05.01.2014 / Relayé par Meta TV )

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