La capture de ce cadre présumé d’al-Qaida sur le sol libyen, par les forces américaines, ce week-end, soulève de nombreuses questions…
Un ressortissant étranger enlevé dans son pays puis interrogé sur un navire américain. Non, il ne s’agit pas de l’Amérique de George W. Bush en 2002 mais bien de celle de Barack Obama en 2013. Alors que la légalité de l’opération américaine éclair en Libye, ce week-end, pour capturer Anas al-Libi, fait débat, Barack Obama s’est justifié, mardi.
Qui est Anas al-Libi ?
Il s’agit du nom de guerre d’Abdoul-Hamed al-Ruqai. Ce Libyen de 49 ans se trouve sur la liste des terroristes les plus recherchés par le FBI depuis 2001 pour son rôle présumé dans les attentats de 1998 contre les ambassades américaines en Tanzanie et au Kenya, qui avaient fait plus de 200 morts. Une récompense de 5 millions de dollars était promise pour toute information conduisant à sa capture.
Comment s’est déroulé le raid ?
La version officielle américaine, c’est qu’al-Libi a été capturé samedi lors d’une opération éclair menée par des membres de la Delta Force, l’une des unités d’élite de l’armée US. Mais sa femme livre un récit différent à CNN. Elle affirme que plusieurs membres du commando «parlaient arabe avec un accent libyen», ce qui semble suggérer, si les faits sont avérés, une collaboration entre Washington et Tripoli. Al-Libi a ensuite été emmené sur un navire de l’US Navy en Méditerranée pour y être interrogé.
Qui l’a interrogé ?
Selon le New York Times, il a été interrogé par un groupe spécialisé composé de membres de plusieurs agences américaines, dont le FBI, la CIA et le département de la Défense. Mais depuis 2009, ils «doivent respecter l’article 3 de la Convention de Genève, qui interdit la torture», précise à 20 Minutes John Bellinger, ex-conseiller juridique au département d’État et chroniqueur sur Opinio Juris. Ils s’appuient sur des techniques classiques (gagner la confiance, provoquer, «good cop, bad cop», etc.). Un détenu doit dormir au moins quatre heures consécutives quotidiennement.
L’opération était-elle légale ?
C’est une zone grise des conventions internationales. Selon Robert Turner, professeur à l’Université de droit de Virginie, les États-Unis ont pu recevoir une approbation tacite du pouvoir libyen, malgré ses dénégations publiques. «Si c’est le cas, c’est une base légale parfaite bien que controversée, si la personne arrêtée est toujours impliquée dans une organisation terroriste», estime l’expert. Toutefois, souligne-t-il, il est indispensable que les États-Unis présentent une base juridique pour appuyer leur action: «Si on commence à dire que ces obligations légales ne comptent pas parce que nous sommes le plus gros gorille du zoo, alors nous n’aurons plus beaucoup de légitimité pour dire aux Iraniens ou aux Nord-Coréens, ou à quiconque, qu’ils doivent observer leurs obligations légales de non prolifération par exemple.»
Détenir al-Libi sur un navire de guerre est-il autorisé ?
Plusieurs groupes de défense des droits de l’homme estiment qu’al-Libi a été privé «arbitrairement» de sa liberté. Mais parce qu’il avait été inculpé à New Yorkaprès les attentats de 1998, l’administration Obama peut se justifier légalement, estime John Bellinger. Le droit international interdit, certes, la détention de prisonnier de guerre sur un navire… Encore faut-il que le suspect puisse revendiquer ce statut. A priori, les États-Unis le considèrent comme un ennemi-combattant. Et comme membre-présumé d’Al-Qaïda, son régime de détention ne serait pas couvert par la Convention de Genève, l’organisation terroriste n’ayant pas ratifié le texte.
Que dit Obama ?
Mardi, le président américain a botté en touche sur la question de la légalité. Obama a précisé que le suspect était responsable de «la mort de centaines de personnes, dont beaucoup d’Américains». «Nous avons des preuves sérieuses de cela et il sera traduit en justice», a-t-il poursuivi. Washington a-t-il reçu l’aide de Tripoli? Réponse d’Obama: «Nous préférons agir en partenariat lorsque c’est possible, mais nous n’allons pas sous-traiter notre défense.»
Et maintenant ?
Al-Libi devrait être transporté sur le territoire américain pour comparaître devant la justice. Des républicains poussent pour une procédure express devant un tribunal militaire. Mais John Bellinger s’attend à voir l’administration Obama pousser pour un procès devant une cour fédérale, face à un jury populaire.
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Source(s): 20minutes le 09.10.2013