“Aux États-Unis, la crise des opioïdes se poursuit. Les antidouleurs y sont responsables d’un nombre toujours plus important de morts par overdose.”
Williamson est une petite ville américaine de Virginie-Occidentale de 2900 habitants. Sa particularité : l’industrie pharmaceutique y a vendu 20,8 millions de pilules antidouleur, dont 10 millions de pilules d’oxycodone et autant d’hydrocodone, en l’espace de dix ans, comme l’expliquait CBC début février.
Le cas de la ville est actuellement examiné par la commission des affaires énergétiques et commerciales de la Chambre des représentants des États-Unis. L’institution demande notamment des explications aux grossistes qui ont continué au fil des ans d’accepter des commandes toujours plus importantes en provenance des deux seules pharmacies de Williamson. Le tout sans jamais avoir pensé à alerter les autorités — alors qu’ils savent pertinemment que la sur-prescription de ces opiacés peut engendrer très rapidement une dépendance pouvant conduire à des overdoses mortelles.
Exemple extrême, Williamson n’est malheureusement pas un cas isolé dans un pays où la consommation de ces produits stupéfiants a littéralement explosé. Selon les statistiques officielles des Centres américains de contrôle et de prévention des maladies (CDC), les overdoses liées à la surconsommation d’opioïdes ont causé la mort de 64 000 personnes en 2016 — 22% de plus qu’en 2015 et sept fois plus qu’en 2013 —, dont 21 000 seraient directement à mettre en lien avec la consommation d’antidouleurs. Sur ces 21 000 morts, 880 ont eu lieu en Virginie occidentale — un nombre surprenant pour ce petit État de tout juste 1 854 304 habitants.
Toujours selon les CDC, 129 jeunes adultes âgées entre 25 et 34 ans sur 100 000 ont trouvé la mort en 2016 aux États-Unis. Ce taux de mortalité extrêmement inquiétant n’avait plus été égalé dans le pays depuis l’épidémie de VIH-sida en 1995. Les taux de mortalité des 15-24 et des 35-44 ans sont également en augmentation. Les CDC estiment que près de 2,4 millions d’Américains auraient développé une dépendance aux antidouleurs. Ils causeraient la mort de 90 d’entre eux chaque jour. C’est plus que l’ensemble des morts par arme à feu et dans des accidents de voiture cumulés.
Sous le feu des critiques, plusieurs firmes pharmaceutiques essayent maintenant de montrer qu’elles ont pris conscience du problème. C’est par exemple le cas de Purdue, le fabricant de l’OxyContin, l’une des formes d’oxycodone les plus populaires dans le pays, qui a annoncé samedi dernier qu’il allait cesser de faire la promotion de ce puissant opioïde auprès des médecins.
Pour rappel, en mars de l’année dernière, Donald Trump ordonnait la mise sur pied d’une commission nationale dans le cadre de la lutte contre la consommation d’opioïdes aux États-Unis. Fin octobre, le président décrétait la crise des opiacés urgence de santé publique. En novembre dernier, cette commission publiait un rapport, globalement bien accueilli par les experts du domaine, retraçant les origines de cette crise, dressant un bilan de l’état de la lutte contre l’addiction aux drogues aux États-Unis et formulant 56 recommandations.
Problème : le rapport ne chiffre pas la somme nécessaire pour pouvoir appliquer ces mesures, alors qu’il apparaît évident que les 57 000 dollars auxquels donne accès la proclamation d’« urgence de santé nationale » seront très loin de s’avérer suffisants. Pour cause, selon Andrew Kolodny, directeur exécutif de l’ONG Médecins pour une prescription responsables d’opioïdes, interrogé par Time Magazine, rebâtir le système américain pour régler le problème coûterait au bas mot 6 milliards de dollars. Reste à maintenant à voir si ces fonds seront débloqués.
Source : 8e Étage