Par Jonathan Cook (revue de presse : Chronique de Palestine – 1/4/19)*
Lorsque le président Donald Trump a transféré l’ambassade américaine à Jérusalem occupée l’année dernière, sabotant par là tout espoir d’établir un État palestinien viable, il a violé les règles internationales.
La semaine dernière, il a piétiné ce qui en restait. Il l’a fait, bien sûr, via Twitter.
Se référant au vaste territoire syrien dont Israël s’est emparé en 1967, Trump a écrit : « Au bout de 52 ans, il est temps pour les États-Unis de reconnaître pleinement la souveraineté d’Israël sur le plateau du Golan, qui revêt une importance stratégique et sécuritaire cruciale pour l’État d’Israël et la stabilité de la région ».
Israël a expulsé 130 000 Syriens du plateau du Golan en 1967, en profitant de la guerre des Six Jours, puis a annexé le territoire, 14 ans plus tard, en violation du droit international. Seule une petite population de Druzes syriens a survécu à cette opération de nettoyage ethnique.
Comme dans les territoires palestiniens occupés, Israël a ensuite installé illégalement des colons et des entreprises juives sur le Golan.
Jusqu’à présent, aucun pays n’avait accepté d’entériner l’appropriation israélienne barbare du Golan. En 1981, les États membres de l’ONU, y compris les États-Unis, avaient déclaré « nulles et non avenues » les tentatives israéliennes pour faire modifier le statut du Golan.
Mais ces derniers mois, le premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a intensifié ses efforts pour faire voler en éclat ce consensus et gagner à sa cause la superpuissance de la planète.
Il a entamé son lobbying quand Bachar Al Assad – aidé par la Russie – a commencé à regagner le terrain perdu pendant les huit ans de guerre.
Beaucoup d’autres acteurs ont pris part à cette guerre. Israël a utilisé le Golan comme base pour lancer des opérations clandestines de soutien aux opposants d’Assad dans le sud de la Syrie, dont les combattants de l’État islamique. A l’opposé, l’Iran et la milice libanaise Hezbollah sont venus aider le dirigeant syrien à limiter la marge de manœuvre d’Israël.
La présence de l’Iran en Syrie a servi d’argument à Netanyahu pour exiger officiellement que le Golan, qui constituait, selon lui, une zone tampon indispensable pour empêcher l’Iran d’ « utiliser la Syrie comme un tremplin pour détruire Israël », devienne définitivement israélien.
Avant cela, lorsque Assad perdait du terrain au profit de ses ennemis, le dirigeant israélien utilisait un argument différent. Il disait que la Syrie était en train de s’effondrer et que son président ne serait jamais en mesure de réclamer le Golan.
La rhétorique actuelle de Netanyahu n’est pas plus convaincante que la précédente. La Russie et les Nations-Unies ont presque fini de recréer une zone démilitarisée du côté syrien de la ligne de séparation des forces. Cela garantirait que l’Iran ne puisse pas se déployer à proximité du plateau du Golan.
Netanyahu doit rencontrer Trump à Washington lundi, et à ce moment-là le tweet du président deviendra un décret exécutif.
Le timing est important. Il s’agit d’une autre tentative grossière de la part de Trump de s’immiscer dans les élections israéliennes qui doivent avoir lieu le 9 avril. Cela donnera à Netanyahu un bon coup de main dans sa lutte contre les accusations de corruption, dont il est l’objet, et la réelle menace que constitue le parti rival, bleu et blanc, dirigé par d’anciens généraux de l’armée.
Netanyahu pouvait à peine contenir sa joie, quand il a appelé Trump pour lui dire : « Ce que vous faîtes est historique ! »
Mais cela n’a rien d’une foucade. Israël et Washington préparaient ce forfait depuis un certain temps.
En Israël, l’appropriation du Golan bénéficie du soutien de tous les partis.
Michael Oren, ancien ambassadeur d’Israël aux États-Unis et confident de Netanyahu, a officiellement lancé l’année dernière un plan pour quadrupler la population des colons du Golan et la porter à 100 000 personnes en une décennie.
Le Département d’État américain y a apposé son sceau de manière claire le mois dernier en incluant pour la première fois le plateau du Golan dans la section « Israël » de son rapport annuel sur les droits humains.
Ce mois-ci, la sénatrice républicaine Lindsey Graham a fait une visite remarquée sur le Golan à bord d’un hélicoptère militaire israélien, aux côtés de Netanyahu et David Friedman, l’ambassadeur de Trump en Israël. Graham a annoncé que lui-même et son collègue sénateur Ted Cruz feraient pression sur le président américain pour qu’il modifie le statut du territoire.
Trump, quant à lui, n’a pas caché son mépris du droit international. Ce mois-ci, ses représentants ont interdit l’entrée aux États-Unis au personnel de la Cour pénale internationale, basée à La Haye, qui enquête sur les crimes de guerre américains en Afghanistan.
La CPI s’est attiré l’inimitié à la fois de Washington et d’Israël du fait de ses efforts antérieurs, pourtant très modestes, pour leur faire rendre des comptes.
En dehors des gesticulations de Netanyahu sur la soi-disant menace iranienne, Israël a des raisons plus concrètes de s’accrocher au Golan.
Le territoire est riche en eau et sa possession donne à Israël le contrôle total du lac de Galilée, un grand lac d’eau douce d’une importance cruciale dans une région confrontée à des pénuries d’eau toujours plus importantes.
Les 1 200 kilomètres carrés de terres volées sont exploités au maximum, depuis les vignobles et les vergers de pommiers jusqu’à une industrie touristique qui, en hiver, s’étend aux pentes enneigées du mont Hermon.
Comme le note Who Profits, une organisation israélienne de défense des droits de l’homme, dans un rapport publié ce mois-ci, des entreprises israéliennes et américaines y installent également des parcs éoliens pour vendre de l’électricité.
Et Israël coopère discrètement avec le géant américain de l’énergie Genie pour explorer des réserves de pétrole potentiellement importantes sous le Golan. Le conseiller et gendre de Trump, Jared Kushner, a fait des investissements familiaux dans Genie. Mais l’extraction du pétrole sera difficile, à moins qu’Israël ne puisse prouver de manière claire sa souveraineté sur le territoire.
Pendant des décennies, les États-Unis ont essayé de forcer Israël à s’engager dans des pourparlers de paix, officiels ou secrets, avec la Syrie. Il y a tout juste trois ans, Barack Obama a soutenu le Conseil de sécurité de l’ONU qui avait reproché à Netanyahou d’avoir dit qu’Israël ne céderait jamais le Golan.
Aujourd’hui, Trump donne le feu vert à Israël pour qu’il le garde définitivement.
Mais, quoi que Trump dise, sa décision n’apportera pas la sécurité à Israël, ni la stabilité régionale. En fait, elle invalidera plutôt l’ « accord du siècle » de Trump – un plan de paix régional visant à mettre fin au conflit israélo-palestinien qui, selon la rumeur, pourrait être dévoilé peu après les élections israéliennes.
En fin de compte, la reconnaissance américaine sera une aubaine pour la droite israélienne, qui réclame à grands cris l’annexion de vastes zones de la Cisjordanie et, elle enfoncera le dernier clou dans le cercueil de la solution à deux États.
En effet la droite israélienne a maintenant un argument imparable : « Puisque Trump accepte que nous annexions illégalement le Golan, rien ne nous empêche d’annexer la Cisjordanie ! »
Jonathan Cook a obtenu le Prix Spécial de journalisme Martha Gellhorn. Il est le seul correspondant étranger en poste permanent en Israël (Nazareth depuis 2001). Ses derniers livres sont : « Israel and the Clash of Civilisations : Iraq, Iran and the to Remake the Middle East » (Pluto Press) et « Disappearing Palestine : Israel’s Experiments in Human Despair » (Zed Books). Consultez son site personnel.
24 mars 2019 – Jonathan-Cook.net – Traduction: Chronique de Palestine – Dominique Muselet
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