Comment Paris a soupçonné la NSA d’avoir piraté l’Élysée

La création en dix ans, par les États-Unis, d'un système d' électronique sans précédent à travers le monde a généré des tensions avec des pays pourtant considérés comme des alliés historiques comme la France. L'examen, par Le Monde, de documents inédits de l'Agence de sécurité nationale () américaine, chargée de cette guerre de l'ombre dans l'univers du numérique et des communications, atteste des tensions et de la méfiance qui existent entre Paris et Washington.

C'est une note interne de la de quatre pages dévoilée par , l'ex-consultant de cette agence, et frappée du plus haut degré de confidentialité « top secret ». Adressée à la direction de l'agence par le service chargé des relations extérieures, elle fixe les grandes lignes de la visite, le 12 avril, de deux hauts responsables français. L'objet du déplacement : l'attaque informatique qui a visé, en mai 2012, la présidence de la République française. La note mentionne que Bernard Barbier, directeur technique de la DGSE (services secrets extérieurs français) et Patrick Pailloux, directeur de l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'informations (Anssi) viennent demander des comptes à leurs homologues américains qu'ils suspectent d'être derrière ce .

 M. Barbier et M. Patrick Pailloux se rendront au siège de la NSA le 12 avril 2013 pour partager des informations sur les attaques de mai 2012 dont le système informatique de l'Elysée a été victime. »

Ces quatre pages mêlent des considérations d'organisation au résultat d'une enquête sur le bien-fondé des griefs des Français. On y apprend qu'aucun des services capables de conduire ce type d'offensive électronique au sein du renseignement américain (NSA ou ) ou parmi ses proches amis du deuxième cercle (Britanniques ou Canadiens), ne serait responsable de cette opération hostile à l'Élysée. Au terme de son tour d'horizon, où chaque mot est pesé, le rédacteur précise qu'au cours des recherches, la NSA a « volontairement évité de demander au ou à l'ISNU [la direction technique des services israéliens]s'ils étaient impliqués » dans cette opération d' contre la tête du pouvoir français.

Cette affaire remonte à mai 2012, entre les deux tours de l'élection présidentielle. Les équipes de Nicolas Sarkozy sont encore présentes à l'Élysée. Comme le quotidien régional Le télégramme l'a révélé, des systèmes de sécurité vont détecter la présence de bretelles de dérivation permettant de capter les informations de la présidence et des mécanismes de piratages des ordinateurs des principaux collaborateurs du chef de l'État. « L'attaque ne relevait pas de l'acte de sabotage destiné à être rendu public, mais de la volonté de s'installer à demeure sans se faire voir au cœur de la présidence », explique un expert intervenu sur l'incident.

En novembre 2012, L'Express publie un article désignant les Américains comme les commanditaires de l'attaque. La tension monte alors entre les deux capitales. Au mois de janvier, lors d'un passage, à Paris, le général Keith Alexander, le patron de la NSA, doit répondra à la DGSE et à l'Anssi qui s'interroge sur la responsabilité de son agence. La direction des relations extérieures de la NSA précise dans la note préparatoire à la visite du 12 avril qu'à « aucun moment la DGSE ou l'Anssi ne l'avaient informée de leur intention de questionner le général Alexander sur ce sujet ».

"Requête à la NSA/CSS : des données techniques associées à des attaques informatiques contre le réseau du président français. A ce jour, aucune information précise n

Pour tenter ou faire mine de prouver sa bonne foi, la NSA prévoit alors d'envoyer, en mars, en France deux analystes du NTOC (le centre de crise de la NSA) pour aider les Français à identifier l'agresseur. La veille de leur départ, la France annule leur déplacement et durcit le ton en exigeant que MM. Barbier et Pailloux soient reçus à la NSA le 12 avril. Le document interne de la NSA relève qu'à aucun moment les Français n'ont transmis les éléments dont ils pouvaient disposer sur l'éventuelle responsabilité américaine. « Sans doute pour examiner la réaction de la NSA lorsqu'ils soumettront leurs éléments », émet la note comme hypothèse.

C'est au chapitre « pièges potentiels » et « autre information » du document qu'apparaît le détail des recherches de la NSA sur cette affaire. L'auteur de la note livre à ses supérieurs l'état de la connaissance de l'agence pour faire face aux accusations françaises. On peut lire ainsi que le service TAO (Tailored Access Operations), qui gère et conduit les cyber-attaques de la NSA à travers le monde a confirmé qu'il ne s'agissait pas de l'une de ses opérations. Le document précise que « TAO a demandé à la plupart des plus proches partenaires de la NSA au sein du premier et deuxième cercle s'ils étaient impliqués, tous ont démenti leur implication ». Le premier cercle comprend les seize agences de renseignement américain, le deuxième ajoute le Royaume Uni, le , l' et la Nouvelle Zélande et le troisième intègre des pays comme la France ou l'.

 TAO a confirmé que ce n

Pour compléter l'information des chefs de la NSA, la note prend la peine d'ajouter que le et l'ISNU, également en mesure de mener ce type d'attaque, n'ont,« volontairement », pas été questionnés sur cette affaire. Pour justifier cette retenue, le rédacteur avance, de manière laconique, que « la France n'est pas une cible commune à Israël et aux États-Unis ». La NSA ne dit pas que le Mossad a mené l'attaque mais semble, néanmoins, considérer comme nécessaire le besoin de mentionner l'existence d'un doute raisonnable à l'encontre de l'État juif.

La grande proximité entre Washington et sur le terrain du renseignement n'exclut pas une part de méfiance. Dans un document, daté de 2008, publié par le Guardian, un haut responsable de la NSA évoque l'agressivité des services israéliens à l'égard des États-Unis : « D'un côté, les Israéliens sont d'excellents partenaires en termes de partage de renseignements, mais d'un autre côté, ils nous visent pour connaître nos positions sur le Proche-Orient. (……) C'est le troisième service secret le plus agressif au monde contre les États-Unis. » Le document ne précise pas qui sont les deux autres.

 il est possible qu

Quant aux relations entre les services secrets français et israéliens, elles sont étroites et régulières sur le Proche-Orient, notamment sur la  ces derniers temps. Mais la confiance est parfois entamée par une activité assez intense du renseignement israélien sur le sol français. Le monde arabe et africain y transite, et selon un membre de la DCRI, le contre-espionnage français, son service s'est même plaint auprès du Mossad après avoir constaté qu'il avait utilisé un hôtel parisien comme l'une des bases de l'opération ayant conduit à l'assassinat, en janvier 2010, à Dubaï, de l'un des responsables militaires du , le mouvement islamiste palestinien.

Interrogé par Le Monde sur les éléments contenus dans la note de la NSA, le bureau du premier ministre israélien a affirmé qu'« Israël est un pays ami, allié et partenaire de la France et ne gère aucune activité hostile qui pourrait porter atteinte à sa sécurité ». Également contactées, la DGSE et l'Anssi se sont refusées à tout commentaire, sans pour autant démentir le déplacement du 12 avril à la NSA. A l'Élysée, le coordonnateur national au renseignement, Alain Zabulon, n'a pas souhaité répondre à nos questions. Les autorités américaines ont indiqué que les activités de ses services de renseignement étaient « menées conformément à la loi ».

Retrouvez l'ensemble des documents publiés par Le Monde, en collaboration avec le journaliste Glenn Greenwald.

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Source(s): Le Monde / Par Jacques Follorou et Glenn Greenwald, le 25.10.2013

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