Le 4 janvier dernier, Mark Zuckerberg annonçait un changement de stratégie de Facebook

Les médias, tous les médias, qu’ils soient mainstream ou alternatifs vont prendre cher, très cher. Faut-il vous rappeler qu’aujourd’hui, l’ensemble des médias, mais plus encore les médias alternatifs, qui ne disposent pas d’un autre moyen de diffusion sont tributaires de Facebook à concurrence de 80 à 95% de leur trafic ? Le calcul est très simple, sur 10 visiteurs, au mieux vous en avez deux qui n’ont pas été redirigés vers votre page via Facebook. Les changements annoncés, s’ils sont appliqués, résulteront en une chute brutale du trafic[1] pouvant aller jusqu’à 70% pour les sites mainstream, voire 95% pour les médias alternatifs. Bonne année !

Les déclarations

Je ne vais pas reprendre mot pour mot les déclarations de Zuck, qui comme un parfait gamin commence par nous expliquer comment qu’il est intelligent, comment qu’il se fixe des défis (lire 25 bouquins en un an…), et comment qu’il parle bien mandarin, vous trouverez l’intervention originale sur sa page Facebook.

Zuck nous explique que « le monde est anxieux et divisé », et que Facebook « a encore beaucoup à faire, que ce soit pour protéger la communauté contre les abus et la haine, la défendre contre les interférences par des États, ou en s’assurant que le temps passé sur Facebook est du temps bien utilisé ».

Arf, c’est donc Facebook qui décide désormais comment bien utiliser notre temps, et propose de nous aider dans cette tâche en ne nous montrant plus les contenus qu’il estime « inutiles » ou « anxiogènes ». Eh oui, pour être réceptif à la publicité, vous ne devez pas être stressé, un peu comme les homards suisses : ces petites bêtes, c’est connu, ont une peur bleue de l’eau (chaude) et préfèrent de loin un bon coup de marteau sur la tronche, après leur avoir fait un massage thaïlandais ou leur avoir raconté une ou deux blagues belges histoire de les détendre.

Donc désormais, ce sera « puppies all over the place ». Des chatons, encore plus de chatons… Rien que des images lénifiantes et des histoires qui finissent bien, qui nous disent comme le monde il est beau, comme le monde il est gentil : place à l’émotion. Mais attention, seulement l’émotion positive, qui libère tant et plus de dopamine dans le chou-fleur qui vous tient lieu d’unité centrale.

A quoi faut-il s’attendre, en pratique ?

Dans un autre post, daté du 12 janvier, Mark Zuckerberg précisait un peu ses intentions :

« Vous verrez moins de contenus publics comme ceux provenant d’entreprises, de marques, ou de médias. » (les pages, ndlr).

Tout en favorisant le contenu publié par vos amis, vos proches, pour susciter « plus d’interactions ». Les contenus sponsorisés, quant à eux, seront toujours bien là. Comme nous le voyons, au delà du discours mettant l’accent sur l’aspect social et la lutte contre les fake news, il ne s’agit ni plus ni moins que de limiter l’audience des médias : désormais, pour pouvoir diffuser à leurs abonnés, ils devront sponsoriser les contenus, passer à la caisse.

Faut-il préciser que pour des médias perpétuellement au bord de la faillite en dépit du fait qu’ils sont largement financés sur fonds publics, ceci n’est pas vraiment une option ? Que pour l’immense majorité des médias alternatifs, ce n’est pas envisageable, eux qui ne vivent que de dons ou des maigres revenus de leurs publications ?

Que peut-on faire ?

Je ne voudrais pas passer pour le méchant de service, mais si vous entretenez encore, ne serait-ce que subrepticement l’illusion que vous pourriez limiter la casse et maintenir votre petit média au niveau où il se trouve à l’heure actuelle, je vous conseille de faire une bonne cure de sommeil, loin de votre smartphone, loin des réseaux sociaux, et d’y repenser sérieusement à votre réveil.

Voilà plus de dix ans que les internautes, désormais transformés en moutons stupides s’imaginent que Facebook est là pour aider à la propagation de l’information, que ce soit pour en consommer ou pour en diffuser. Cruelle désillusion, Facebook n’a pour vocation que de faire toujours plus de pognon, d’être toujours plus rentable pour les investisseurs qui en veulent pour leur argent. Et cela, même Zuck ne peut que s’y plier.

Ne croyez pas, en tant qu’éditeur de média, que vous n’y soyez pour rien : n’avez-vous pas, vous aussi, compté sur Facebook plus que tout autre moyen pour élargir votre audience ? Croyiez-vous naïvement que Facebook n’essaierait pas, le moment venu, d’en tirer profit ?

Les avantages des inconvénients

À quelque chose malheur est bon, nous dit le proverbe. Ainsi, bon gré, mal gré, il y a un certain nombre d’aspects positifs à ce changement de stratégie :

  • Les utilisateurs qui sont sur Facebook pour y chercher de l’information (soit une bonne part de leur public) retourneront sur le web pour y chercher l’information, et déserteront Facebook qui ne sera plus guère qu’un centre de distribution de vidéos de chatons mignons intercalées entre deux publicités.
  • Tous les éditeurs seront impactés de la même façon, y compris les médias mainstream : c’est beau la démocratie, même si c’est pas vraiment fait exprès.
  • Ceux qui iront encore sporadiquement sur FB y verront moins de posts/spam dans le genre « tague un ami qui… » et autres cornichonneries.
  • Facebook lui-même va probablement essuyer le plus beau recul boursier de sa courte histoire, laissant (un peu) la place à d’autres médias sociaux (un peu) moins rapaces.

Ce n’est donc pas « vraiment » une mauvaise nouvelle, mais l’annonce d’un bouleversement dans la manière dont les contenus « gratuits » seront diffusés et consommés, désormais. Il nous appartient de négocier ce virage dans les meilleures conditions pour permettre à la presse alternative de continuer à faire son travail : informer.

Notes

  • [1] En octobre dernier, le réseau social avait commencé à tester, dans six petits pays un fil d’actualité indépendant pour les médias. Résultat: des chutes d’audience, sur Facebook, de 60 à 80% pour les médias. En octobre dernier, le Guardian écrivait: « Si ce test devait être répliqué au niveau mondial, il détruirait de nombreux petits éditeurs, ainsi que des grands qui dépendent beaucoup trop des réseaux sociaux pour avoir des visiteurs. » Source : Le Temps

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