Un mécanisme immunitaire inconnu chez les mammifères découvert chez la souris

Deux études publiées cette semaine dans la revue Science suggèrent l'existence chez les mammifères d'un mécanisme immunitaire dont la présence n'était jusqu'ici avérée que pour les plantes, les champignons et les invertébrés. Des travaux qui suscitent toutefois le scepticisme de plusieurs biologistes.
 

En menant des travaux sur des souris, deux équipes de biologistes viennent de découvrir l'existence d'un mécanisme immunitaire qui n'avait jusqu'ici jamais été observé chez les mammifères. Appelé « Interférence ARN », ce mécanisme immunitaire est présent chez les plantes, les champignons et les invertébrés.

Or, un tel résultat constitue une véritable surprise. En effet, les biologistes pensaient que ce mécanisme immunitaire avait disparu au cours de l'évolution des mammifères, pour être remplacé par le recours aux interférons, ces protéines naturellement produites par l'organisme des mammifères en réponse à la présence de cellules étrangères, et qui constituent une défense très efficace contre les .

Ce résultat passionne d'autant plus les scientifiques, qu'ils savent depuis longtemps que l'efficacité du mécanisme de l'interférence ARN  contre les est tout bonnement… redoutable. Et de fait, grâce aux travaux menés en 2001 par le biologiste allemand Thomas Tuschl (pour en savoir plus sur ces travaux, lire l'article « Extinction de l'expression de gènes par les siRNA : la découverte »), le dispositif de l'interférence ARN, si efficace chez les plantes et les invertébrés, a d'ores et déjà pu être « détourné » au profit de l'homme afin de mettre au point des traitements contre diverses pathologies, comme la dégénérescence maculaire liée à l'âge, ou certaines pathologies virales comme le virus syncytial respiratoire. Des traitements qui en sont toutefois encore au stade des essais cliniques.

Évidemment, s'il est avéré que l'organisme humain est bel et bien doté de façon innée de ce mécanisme de l'interférence ARN, alors cela changerait complètement la donne, et laisserait entrevoir la possibilité de mettre au point de nouveaux traitements et vaccins contre les virus.

Comment fonctionne le mécanisme de l'Interférence ARN ? De façon très simple, en réalité. Le mécanisme de l'interférence ARN repose sur le fait que, lorsque les virus se dupliquent, ils copient leur ARN (l'ARN est une copie partielle de l'ADN, qui permet de transmettre ses instructions, notamment en ce qui concerne la production des protéines) : lorsque les cellules envahies reconnaissent cet ARN viral, la protéine DICER génère de petits morceaux d'ARN (cet ARN est dit « interférent ») qui vont être envoyés vers l'ARN du virus afin qu'ils se lient à ce dernier. L'objectif ? Perturber la duplication du virus, et d'entraîner in fine son activation.

Au cours de ces dernières années, plusieurs laboratoires ont tenté de détecter les traces de l'existence de ce mécanisme de l'interférence ARN chez les mammifères. Mais jusqu'ici, force est de constater que cette quête est demeurée vaine. Ce qui a incité la communauté scientifique à penser que ce mécanisme immunitaire ancestral avait bel et bien été totalement remplacé chez les mammifères par le recours aux interférons.

Pourtant, les biologistes Olivier Voinnet (Institut Fédéral de de Zurich, ) et Shou-Wei Ding  (Université de Californie à Riverside, États-Unis), qui ont mené les deux études publiées dans l'édition du 11 octobre de la revue Science dont il est question ici, demeuraient convaincus que ce mécanisme immunitaire de l'interférence ARN n'avait pas disparu chez les mammifères. Une conviction que les résultats de leurs derniers travaux sont venus considérablement renforcer.

Quels sont les travaux qui ont permis à ces deux équipes de parvenir à la conclusion que le mécanisme de l'interférence ARN était présent chez la souris ? Commençons par l'étude menée par l'équipe de Olivier Voinnet. Ces scientifiques ont travaillé sur les cellules souches embryonnaires de la souris (un choix guidé par le fait que ces cellules ne produisent pas des interférons), des cellules qu'ils ont volontairement exposées à un virus. Après l'exposition à ce virus, les scientifiques ont découvert la présence… de petits morceaux d'ARN interférents. Or, ces morceaux d'ARN semblent avoir été produits par la protéine DICER (qui rappelons-le, joue un rôle clé dans le mécanisme de l'interférence ARN), puisque une fois celle-ci inactivée, les petits fragments d'ARN n'étaient plus présents.

Quant aux travaux de Shou-Wei Ding, ils reposent sur l'hypothèse que les virus qui attaquent les mammifères désactivent le mécanisme de l'interférence ARN. Ce qui explique pourquoi la présence de ce dernier ne peut pas être détectée. Pour le prouver, Shou-Wei Ding a exposé des souris à un virus peu connu appelé Nodamura. Rapidement, les souris sont mortes. Puis Shou-Wei Ding  a exposé  un deuxième groupe de souris à une nouvelle version du virus Nodamura. La nouvelle version de ce virus avait été dépossédée d'une protéine appelée B2, car suspectée d'être la responsable de la désactivation du mécanisme d'interférence ARN chez la souris. Résultat ? Les souris ont survécu à l'infection, validant ainsi l'hypothèse de Shou-Wei Ding.

Il est toutefois à noter que de nombreux travaux précédents étaient parvenus à des résultats opposés à ceux présentés par ces deux nouvelles études. Ce qui provoque la suspicion de plusieurs biologistes, reprochant notamment à Shou-Wei Ding d'avoir surinterprété les résultats obtenus avec ses souris exposées au virus Nodamura.

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Source(s): journal de la science / Par Alain Tranet le 11.10.2013

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