L'équation est simple : l'Union européenne importe chaque année 133 milliards de mètres cubes de gaz russe, dont la moitié passe par un gazoduc qui transite via l'Ukraine, selon les données de la Commission européenne pour 2013.
En cas de rupture, comme en 2009 pendant la crise commerciale entre l'Ukraine et la Russie, il faudra compenser ce manque, d'autant plus si cela se produit en hiver, période où la demande est la plus forte.
"Depuis 2009, les capacités de réaction de l'Europe sont supérieures", estime cependant un expert du secteur.
A court terme, les Européens peuvent jouer sur trois leviers : emprunter d'autres routes d'approvisionnement, mobiliser leurs stockages et acheter du gaz naturel liquéfié (GNL), acheminable par bateau.
Le gazoduc Northstream, qui relie directement la Russie et l'Allemagne par la mer Baltique depuis 2011, permet d'acheminer 55 milliards de mètres cubes par an, auxquels s'ajoutent les 30 milliards m3/an disponibles via le gazoduc Yamal.
Mais il faut négocier avec Gazprom pour qu'il augmente le gaz transitant par ces deux gazonducs. "Il faut donc de la coopération avec les Russes, et cela se prépare", estime une source industrielle.
"L'Europe est faible politiquement, estime pour sa part, Colette Lewiner, experte en énergie auprès du président de Capgemini. Mais Gazprom ne s'est pas bien sorti de la crise de 2009 qui a terni son image et le groupe est moins en position de force". Le géant russe tire 50% de ses revenus des achats de l'Union européenne.
Certains pays demeurent cependant très vulnérables, comme la Bulgarie, la Finlande, la Pologne ou la Slovaquie, qui importent plus de 75% de leur gaz de Russie. C'est là qu'intervient le deuxième levier : le partage des stockages dans le cadre d'une solidarité européenne.
Fin 2013, l'Europe avait "une capacité cumulée de 74 jours de consommation", selon Nathalie Desbrosses, responsable de l'analyse des marchés de l'énergie au cabinet Enerdata.
Le Groupe de coordination du gaz, une instance européenne, s'est réuni régulièrement autour de ce sujet. "Des travaux ont été menés et des textes réglementaires adoptés pour pouvoir inverser les flux dans les gazoducs, et donc permettre d'acheminer du gaz d'Ouest en Est si besoin", explique le spécialiste.
Mais, "il faut une gestion coordonnée et mutualisée de ces stockages au niveau européen. Cela permettrait de passer l’hiver avec un petit apport complémentaire de GNL", avertit le même industriel.
La solution sera donc politique et doit être préparée en amont, au risque de voir les pays européens contraints de se tourner de manière trop importante vers le marché international du GNL, ultime solution mais qui pose des problèmes.
Car les pays européens devront alors acheter du GNL sur le marché "spot" où le prix est bien supérieur aux contrats de long terme qui existent avec le gaz russe. Aujourd'hui il est vendu pour l'essentiel en Asie, où les prix sont presque deux fois plus élevés qu'en Europe.
Dans un premier temps, "dans certains États où les prix sont régulés, les gouvernants pourraient refuser de répercuter cette hausse des prix", explique Thierry Bros, analyste senior sur les marchés gaziers à la Société générale. Mais à terme, dans la mesure où la réglementation européenne oblige à ce que les tarifs réglementés couvrent les coûts, un rattrapage aurait forcément lieu.
"Même s'ils répercutent les prix, cela prendra du temps et pendant ce temps les fournisseurs devront éponger la différence", indique Nathalie Desbrosses, ajoutant que quoi qu'il arrive fournisseurs et États "partent pour de longues discussions".
Pour les industriels du secteur, l'enjeu est aussi plus fondamental car risque de se poser la question de l'avenir du gaz, alors que la Commission européenne, qui doit présenter à l'automne sa feuille de route énergétique et climatique pour 2030, pousse au développement des énergies renouvelables.
"Les industriels ont vendu le gaz comme une énergie de transition, moins polluante que le charbon. Mais s'il y a des risques d'approvisionnement, une politique pourrait être de limiter tous les hydrocarbures, y compris le gaz", explique Thierry Bros.
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Source(s) : Le Populaire / AFP, le 29.07.2014