Ils troquent quelques heures par mois leur longue robe noire pour une autre panoplie : tablier et gants blancs. À tous les étages de la magistrature, et surtout aux plus élevés – c'est à cela que ça sert -, les francs-maçons sont là.
L'affaire des écoutes judiciaires pratiquées sur Nicolas Sarkozy et révélées par Le Monde vendredi 7 mars braque les projecteurs sur Gilbert Azibert, premier avocat général à la Cour de cassation. Il est soupçonné d'avoir renseigné l'ancien chef de l'État sur les décisions de la haute juridiction le concernant. En contrepartie, l'ex-président aurait poussé le dossier du magistrat pour un poste doré de conseiller auprès des autorités monégasques.
Les commentateurs les plus hardis évoquent aussi, au conditionnel, l'appartenance de Gilbert Azibert à la franc-maçonnerie. Se mouvoir ainsi dans le secret des loges n'est pas neutre en effet quand on a occupé des postes aussi éminents que procureur général (à Bordeaux) et surtout secrétaire général du ministère de la Justice. À l'époque, Rachida Dati était garde des Sceaux, et c'est "Annulator" qui tenait la maison. "Annulator", c'est le doux surnom qui lui avait été donné quand, président de la chambre de l'instruction à Paris, il réduisait à néant un nombre appréciable de dossiers, parfois sensibles.
Un serment contre l'autre
À ce stade, il est possible d'employer le présent de l'indicatif : Gilbert Azibert est l'un des dignitaires de la Grande Loge nationale française (GLNF), la plus conservatrice des grandes obédiences hexagonales. Comme tous ses collègues initiés, il a donc prononcé deux serments : l'un dans les prétoires, l'autre en loge. Au-delà de l'affaire des écoutes, son exemple met en lumière toutes les difficultés qui résultent de cette double allégeance : est-ce que l'une, professionnelle, prend toujours le pas sur l'autre, discrète ? Une question d'autant plus douloureuse qu'aucun magistrat, en France, n'a jamais eu le courage d'effectuer son "coming out". C'est obligatoire en Grande-Bretagne. En Italie, où le souvenir de la loge P2 demeure vivace, il est interdit de cumuler les deux statuts, l'un public, l'autre caché. Aux États-Unis, les francs-maçons assument et même affichent équerre et compas jusque sur leurs plaques d'immatriculation. En France, c'est l'omerta. Résultat : dès qu'une affaire éclate, le soupçon jaillit.
Les frères, toutefois, ne peuvent pas tout : Gilbert Azibert n'a pas été nommé à Monaco.
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Source(s) : Le Point, le 10.03.2014