SANTE Chercheuse de la Mayo Clinic aux Etats-Unis, Monique E. Muggli a découvert que les fabricants de cigarettes ont soigneusement dissimulé la présence de cet élément radioactif dans le tabac pendant 40 ans. Elle raconte…
En analysant plusieurs milliers de documents depuis deux ans, Monique E. Muggli, chercheuse de la Mayo Clinic aux Etats-Unis, à Rochester (Minnesota), a découvert comment Philip Morris et les plus grandes compagnies de l’industrie du tabac ont volontairement caché au grand public la présence de Polonium 210, un élément radioactif, dans leurs cigarettes. Celle qui est devenue la Erin Brockovich du tabac se confie à 20minutes.fr.
Comment avez-vous découvert l’ampleur de cette dissimulation?
Les industries du tabac ont été obligées de rendre public près de 60 millions de documents internes depuis un procès perdu en 1998 contre l’Etat du Minnesota. Dans tous ces rapports déclassifiés, environ 1.500 se rapportent au polonium. Les industries savaient tout. Elles ont tout enterré.
Quand ont-elles su que le polonium se trouvait dans le tabac?
En 1964. Les industries, tout comme la communauté médicale, ont observé la présence du 210 Po, un élément radioactif et cancérigène. Attention, cette présence n’est pas dûe au processus industriel des cigarettiers, mais à la façon de cultiver le tabac. On utilise des engrais riches en phosphates qui contaminent les feuilles.
Et ils n’ont rien fait?
Au début, dans les années 1970 et 1980, ils ont agi. Philip Morris et les autres compagnies ont essayé de supprimer la teneur en polonium, de trouver des méthodes différentes tout en conservant la réussite commerciale de leurs produits. Ils n’ont pas réussi à concilier les deux. Les chercheurs de Philip Morris ont réussi à réduire la présence de 210 Po avec un solvant, RJ Reynolds dans ces Winston avec un filtre spécial. Mais les dirigeants les ont empêchés de poursuivre. Ils avaient peur de changer le goût de leur produit, mais surtout que le grand public apprennent les objectifs de ces recherches, paniquent devant le polonium.
Il fallait étouffer l’affaire…
La stratégie générale est d’éviter toute controverse. Ils savaient que toute divulgation entraînerait une grande peur et des procès. Paul Eichorn, vice-président de Philip Morris, a eu cette formule dans une note adressée à ses collaborateurs: «Nous ne devons pas réveiller un géant endormi». Ils ont arrêté les recherches et enterré profondément l’existence du polonium.
Quelle est sa dangerosité?
On estime que le 210 Po est à l’origine d’1% de tous les cancers du poumon aux Etats-Unis, soit d’environ 1.600 morts américains par an. Il serait responsable de 12.000 décès dans le monde entier par an.
Les responsables des majors ont-ils réagi à la publication de votre article dans le numéro de septembre de l’American Journal of Public Health?
Non, l’affaire a été relayée pour l’instant en Grande-Bretagne, en Belgique et en France. Mais pas encore aux Etats-Unis.
Que risquent-ils?
Il n’y aura probablement pas de condamnation en justice. Ce sont de longues batailles, souvent vaines. Mais l’opinion publique est désormais au courant des combines des cigarettiers, et leur réputation va en pâtir. C’est là qu’est notre victoire.
Si je me grille une cigarette maintenant, j’inhalerai du polonium?
Oui, il se déposera sur une partie de vos bronches.
Les cigarettiers nous réservent-ils d’autres surprises de ce genre?
(Elle rit). Je ne sais pas, vraiment pas ! Nous travaillons aujourd’hui avec mes collègues de Stanford et du Nicotine Research Center sur le danger des cigarettes au menthol, et sur «Secondhand smoke», la fumée passive. Nous essayons de décrypter la stratégie de l’industrie vis-à-vis des non-fumeurs et des produits qu’ils absorbent.
Le polonium est l’un des éléments radioactifs les plus toxiques. Il avait servi dans l’assassinat de l’ex-agent du KGB Alexander Litvinenko à Londres en 2006, mais la dose employée par les meurtriers était évidemment colossale comparée à une simple cigarette. Il était mort en moins de trois semaines.