La Banque de France s’est associée avec la banque d’affaires américaine JP Morgan dans le cadre du marché de l’or de Paris. Le but? Développer sa gamme de services pour le trading du métal précieux. Philippe Herlin, Docteur en économie, s’inquiète de la possibilité de voir l’or français servir de collatéral à des produits financiers.
«Je lance un appel aux Gilets jaunes et au peuple, en leur disant “attention, on va peut-être vous dépouiller”. J’espère les intéresser à ce sujet. Je considère que l’or de la Banque de la France, c’est l’or de tous les Français. C’est la garantie ultime en cas de crise monétaire grave. Il n’appartient pas qu’à la Banque de France. C’est comme la Joconde, il fait partie du patrimoine des Français. Et ils ont un droit de regard en tout ce qui le concerne.»
Philippe Herlin, Docteur en économie du Conservatoire national des Arts et Métiers et spécialiste de l’or est inquiet. En novembre dernier, nous apprenions que la Banque de France avait ouvert un compte à la banque américaine JP Morgan visant à faciliter les transactions sur l’or dans la capitale, ce qui constituait une petite révolution. Plusieurs banques centrales étrangères ont de l’or dans les coffres de la Banque de France. Inutile de chercher à savoir qui, la liste est tenue secrète. Jusqu’ici, elles étaient obligées de passer par Londres et son marché d’or de référence, le London Bullion Market (LBMA). Comme l’explique un article de nos confrères des Echos:
«Concrètement, pour un service de dépôts rémunérés, l’opération se déroulait selon le schéma suivant: un institut monétaire client de la Banque de France lui demandait quelle rémunération il pouvait obtenir sur son or. La banque centrale française interrogeait alors ses contreparties habituelles — des banques commerciales opérant sur ce marché — qui, elles, proposaient des taux. La transaction était ensuite effectuée à Londres avec de l’or déposé dans la capitale britannique.»
Dorénavant, Paris pourra proposer des services de prêts et de leasing d’or, des «swaps» (échange d’or contre des devises, par exemple) et des dépôts rémunérés (gold deposits). Officiellement, il s’agit de faire de Paris une place de choix pour le trading d’un métal jaune qui a la cote. C’est ce qu’a expliqué Sylvie Goulard, second sous-gouverneur de la Banque de France, dans la revue Alchemist, document de référence du LBMA, datée d’octobre 2018:
«Depuis la crise financière de 2008, les gestionnaires de réserves ont renouvelé leur intérêt pour l’or. En effet, l’or a confirmé son statut de valeur refuge et s’est également révélé être un très bon actif de diversification, compte tenu de sa faible corrélation avec les autres classes d’actifs.»
Mais quel or sera concerné? Les Echos expliquent qu’il s’agira de «l’or de la clientèle essentiellement», à savoir celui des banques centrales étrangères. «Les réserves de l’État français devraient, elles, être exclues de ces transactions», poursuit le quotidien économique.
Tout est dans le mot «essentiellement» et l’emploi du conditionnel. C’est bien ce qui inquiète Philippe Herlin:
«Sylvie Goulard explique notamment que la Banque de France fait des efforts pour que tous ses lingots d’or soient aux normes du marché de l’or londonien pour qu’ils soient négocié sur le marché international. Je crois que c’est clair. Cela laisse la porte ouverte à ce que l’or de la Banque de France puisse être négocié sur les marchés.»
La déclaration à laquelle fait référence Philippe Herlin est à chercher dans l’interview donnée par Sylvie Goulard à la revue Alchemist:
«Depuis 2009, la Banque de France s’est engagée dans un ambitieux programme d’amélioration de la qualité de ses réserves d’or. L’objectif est de s’assurer que tous ses lingots sont conformes aux normes LBMA afin de pouvoir être négociés sur le marché international.»
Pour le Docteur en économie, cette déclaration ouvre la porte à une utilisation sur les marchés de l’or de la Banque de France en tant que collatéral à des produits financiers: «Je considère que cela serait dangereux. En cas de mauvaise opération ou de crash soudain, cela pourrait se traduire par des pertes et donc des ventes d’or de la Banque de France. Or cet or doit rester sanctuarisé. Il doit servir de sécurité et de garantie en cas de crise monétaire grave comme une explosion de l’euro. Un tel événement nous obligerait à basculer sur autre monnaie et le fait d’avoir de l’or en quantité dans nos coffres donnerait tout de suite de la confiance dans cette nouvelle devise. Nous n’en viendrons peut-être jamais là. Mais c’est une sécurité pour l’avenir et on ne doit pas jouer avec.»
Fin de la sanctuarisation de l’or de la Banque de France: de nouvelles preuves @philippeherlin #or #BdF #JPMorgan https://t.co/tWPduvO5O3 pic.twitter.com/jXFAncnSZj
— GoldBroker.fr (@Goldbroker_FR) 26 janvier 2019
L’économiste s’agace de l’atmosphère secrète qui entoure cette affaire: «Il faut noter que la Banque de France et JP Morgan n’ont pas publié de communiqué. Ce qui est étonnant en soit.» Il veut des réponses:
«L’or de la France pourra-t-il être misé sur les marchés? Est-ce que c’est déjà le cas? Est-ce que c’est prévu? Si c’est le cas, quelle part du stock sera concernée? Nous avons besoin d’information si une partie de l’or des Français doit servir de garantie dans des opérations financières.»
Philippe Herlin en appelle notamment aux politiques et autres membres du gouvernement qui «doivent être mis au courant». Mais il rappelle que, par le passé, le gouvernement avait déjà été tenté de faire fructifier l’or de la France. Toujours dans la revue Alchemist, Isabelle Strauss-Kahn, ancienne dirigeante de la Banque de France, a souligné ses démêlés avec des parlementaires par le passé:
«Je me souviens d’avoir écrit plusieurs mémorandums pour contrer les multiples demandes des députés et des membres du gouvernement de vendre des réserves [d’or] et de restituer les recettes au gouvernement, ce qui aurait constitué une violation du principe de financement non monétaire énoncé dans la plupart des lois des banques centrales.»
En mai 2014, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Économie de Jacques Chirac, décidait de vendre 500 à 600 tonnes d’or de la Banque de France. L’opération avait pour but de placer l’argent récupéré sur les marchés pour le faire fructifier et résorber la dette. Une catastrophe comptable qu’avait pointée la Cour des comptes dans un rapport annuel. Vendu alors que les cours étaient au plus bas, 20% de l’or des Français avait été bradé. Un «scandale» pour Philippe Herlin qui ne voudrait pas voir ce type d’opération se répéter:
«Si l’or de la Banque de France devient négociable, au moins en partie, cela pourrait raviver des volontés chez un certain nombre de politiques et de membres du gouvernement qui ont besoin d’argent de vendre une partie de l’or des Français ou au moins de l’utiliser en collatéral de produits financiers afin de le rentabiliser et de faire rentrer de l’argent dans les caisses.»
Il demande donc à ce que «tous les tenants et les aboutissants» de cette affaire soient rendus publics. Sputnik France a contacté la Banque de France. À notre demande d’«informations, notamment sur la possibilité ou non de voir l’or de la France servir de collatéral à des produits financiers sur les marchés», nous avons obtenu la réponse suivante:
«Merci de votre intérêt pour la Banque de France. Concernant votre question, nous ne ferons aucun commentaire supplémentaire par rapport à l’article des Échos que vous avez pu consulter.»
Source : Sputnik