L’encombrante statue de l’Apollon de Gaza

Le gouvernement du , au pouvoir à , veut obtenir le concours de spécialistes internationaux de l', notamment français, à la suite de la découverte d'une statue antique du dieu grec Apollon. Cette dernière aurait été trouvée en mer à par des pêcheurs en août dernier et serait d'une valeur inestimable. Mais de nombreuses zones d'ombres entourent cette affaire.

C'est une immense statue antique, en bronze vert, représentant le dieu grec Apollon. Pesant près de 500 kg, elle est dans un état remarquable alors qu'elle remonterait à au moins 2000 ans et qu'elle aurait été découverte en mer, selon la version officielle.

L'histoire remonte à août 2013. Un pêcheur de Gaza raconte avoir repêché cette statue à une centaine de mètres du bord, et l'avoir ramené chez lui, grâce à l'aide de plusieurs personnes. Il n'a pas conscience de la valeur de sa découverte mais tente d'en tirer de l'argent. A Gaza, où la population est très pauvre, tout est bon à prendre.

Mais sa découverte ne passe pas inaperçue et il est vite privé de son précieux trésor. La statue change de mains et se retrouve même brièvement sur un site internet de vente aux enchères. Le , au pouvoir à Gaza, récupère le bien et le met à l'abri.

Mystère sur la provenance de la statue

Selon un journaliste italien de La Repubblica, Fabio Scuto, qui a publié un article sur le sujet le 10 octobre dernier, le Hamas aurait été bien embarrassé par cette encombrante statue. Pas question de la montrer au public, la représentation dénudée du dieu grec ne serait pas compatible avec l'islam.

Certains auraient suggéré de vendre l'Apollon sur le marché noir, comme d'autres antiquités. Une solution idéale « pour renflouer les caisses du Hamas, qui n'est plus capable de payer le salaire de ses hommes après le blocus des tunnels de contrebande vers l'Egypte », explique le journaliste italien.

Aujourd'hui, une circule sur Internet montrant la fameuse statue. Des responsables du gouvernement du Hamas s'expriment. Ils disent vouloir faire toute la lumière sur cette affaire et réclament le concours d'experts internationaux.

L'affaire a en effet ses zones d'ombres : la provenance même de la statue est mystérieuse. Selon Jean-Michel Tarragon, de l'Ecole biblique et archéologique française de , « cette statue n'a pas été trouvée en mer, elle est beaucoup trop propre. Elle a été découverte sur les terres et au sec », raconte-t-il à l'agence Reuters.

Une affaire

Mais où ? A Gaza ou en Egypte, juste à côté ? Mystère. Le Hamas dit mener des investigations et réclame le concours d'experts internationaux. « La statue sera peut-être prêtée à un célèbre musée français ou britannique, annonce le vice-ministre du Tourisme et des Antiquités, Mohammad Khalla, à l'AFP. Cela pourrait amener à des contacts entre le gouvernement du Hamas et les gouvernements étrangers. »

L'affaire est donc aussi . Les pays de l' s'abstiennent de tout contact officiel avec le Hamas considéré par l'UE et les Etats-Unis comme une organisation terroriste. Si l'Apollon arrivait à attirer des experts internationaux, ce serait une aubaine pour le gouvernement de Gaza totalement isolé.

En attendant, les archéologues du monde entier voudraient bien voir le fameux Apollon autrement qu'en photo. Selon Jean-Michel Tarragon, « il est vraiment très rare de trouver une statue (…) en métal. Elle est unique, inestimable. C'est comme si les gens demandaient le prix de la Joconde au Louvre ! ».


TROIS QUESTIONS A…

Jean-Baptiste Humbert, archéologue français au Proche-Orient, travaillant depuis près de 20 ans sur l' à Gaza.

Avez-vous vu la fameuse statue d'Apollon découverte récemment à Gaza ? En quoi cette découverte est-elle exceptionnelle ?

A ma connaissance, aucune personne, sinon des Gaziotes, n'a eu accès à l'endroit où la statue est soigneusement stockée. La découverte est exceptionnelle pour deux raisons.
Premièrement, les statues de bronze ont été fondues dès l'Antiquité et celles qui nous sont parvenues sont très rares, surtout de taille grandeur nature.

Deuxièmement, il est tout simplement extraordinaire qu'une telle statue, de belle qualité technique et esthétique, appartienne au patrimoine de la antique : cela démontre le haut degré de culture et d'épanouissement artistique de la arabe au tournant de l'ère. Gaza a vécu à cette époque à la grecque puis à la romaine, en ayant adopté les modèles culturels les plus élaborés.

Il y a plusieurs zones d'ombres sur cette affaire : la provenance de la statue notamment. Certains experts disent que c'est impossible qu'elle ait été trouvée en mer vu son état de conservation. Quel est votre avis ? D'où pourrait-elle venir ?

J'ai été le premier à exprimer des doutes sur une provenance maritime. La corrosion n'est pas celle de la mer. Et aucune coquille ne s'y attache. Qu'elle ait été apportée d'Egypte n'est pas inconcevable mais le transport d'une pièce aussi lourde pose des problèmes considérables à travers les tunnels (aujourd'hui condamnés). Et surtout, pourquoi transporter une pièce aussi précieuse dans la souricière qu'est Gaza ? Pour en faire quoi ? C'eût été le plus mauvais choix quand les autres frontières de l'Egypte sont perméables. Il y a de très fortes présomptions que la statue vienne de Gaza.

Pourquoi à votre avis le Hamas a-t-il gardé si longtemps la statue et pourquoi communique-t-il aujourd'hui ?

Le Service des Antiquités de Gaza n'a pas encore reçu le cadeau qui est entre les mains du ministère de l'Intérieur pour enquête et protection. Les responsables du service ont eu accès à la statue, et ont commencé une expertise rendue longue et difficile car Gaza est soumis à un embargo implacable de la part des voisins, de l', de la plupart des pays de l'. Ces pays ou institutions interdisent de traiter avec l'administration gaziote, et le service de Gaza fait ce qu'il peut avec une marge de manoeuvre des plus étroites. Enfin, Gaza est l'objet d'attaques meurtrières presque quotidiennes, et l'urgence de l'administration locale va d'abord à la protection des personnes et à pallier le désordre économique grave qui découle de l'enfermement très strict.

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Source(s) : RFI 12 février 2014

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