Le “ras-le-bol” de la police nationale

La grogne monte chez les brigadiers et les gardiens de la paix, qui dénoncent leurs conditions de travail et affirment subir la pression de la hiérarchie.

"Quand on les interpelle, les jeunes délinquants veulent juste savoir s'ils sont placés en garde à vue et s'ils vont être envoyés au trou. Le reste, ils s'en foutent, c'est de la poésie." Un drapeau d'Unité SGP Police à la main, ce brigadier-chef a répondu à l'appel des syndicats mercredi à Lille entre midi et deux (les policiers n'ont pas le droit de grève). Une manière pour lui, comme pour les autres, de manifester un malaise. De montrer leur incompréhension face à une nouvelle conception de la justice. Les policiers sont excédés de voir qu'au bout de la chaîne judiciaire, des suspects, qu'ils ont traqués parfois plusieurs mois, s'en sortent sans qu'aucune poursuite vienne les inquiéter. Les vices de procédure, sans cesse dénichés par les avocats, les font rougir de colère. "On sait que le mec est coupable. Mais devant la justice, ça ne joue pas sur le fond, mais sur la forme", s'agace un manifestant. "Moi, si mon enfant fait une bêtise, je le réprimande. S'il en fait une autre, je le punis. S'il continue, je le punis plus sévèrement", fait valoir un de ses collègues. Le ras-le-bol est total. 

 

 

Les policiers expliquent qu'ils ont du mal à éprouver la satisfaction d'un travail bien fait quand une personne ressort libre du tribunal ou écope d'une peine en milieu ouvert. "On n'est évidemment pas contre la justice, poursuit un autre. Mais il n'y a pas eu assez de concertation sur la réforme pénale." Au milieu des quelques fumigènes et pétards lancés devant la Direction départementale de la sécurité publique (DDSP), des slogans sont placardés sur des barrières. "Policiers en galère", "méprisés", "sécurité au rabais"… Les quelques gardiens de la paix et brigadiers qui se sont regroupés devant l'hôtel de police de Lille-Sud crient leur colère. Ils appartiennent au corps d'encadrement et d'application (CEA), qui représente plus de 100 000 personnes et environ 70 % des effectifs de la police nationale. Pour eux, la coupe est pleine. Politique du chiffre, matériel désuet, harcèlement des supérieurs… Olivier Berton, du syndicat Alliance, résume : "Les chefs d'entreprise clament qu'ils ne sont pas des pigeons. Aujourd'hui, les policiers ne veulent pas être des mulets. Il n'y a plus que le bâton qui prévaut avec la hiérarchie."

"On nous fait porter un numéro comme si on était des prisonniers"

Tous affirment subir régulièrement des "pressions" de leurs supérieurs. "C'est toujours pareil, il n'y a eu aucun changement avec Valls. Il vaut mieux faire trois affaires de merde qu'une bonne", lâche un brigadier-chef. "On veut nous faire croire que la politique du chiffre a disparu. C'est faux. Aujourd'hui, les commissaires nous donnent des consignes oralement. Il n'y a quasiment plus de notes de service, ils se méfient trop", assure Thierry Depuyt, d'Unité SGP Police. Et tout cela a un impact sur "le déroulement des carrières, sur l'avancement. Des gens sont changés de service ou on les met la nuit alors qu'ils étaient de jour", renchérit le délégué syndical. "Je suis dans un groupe de quatre personnes. Chaque mois, on me dit que je dois faire seize interpellations", ajoute un brigadier-chef dans l'assistance. "Je ne serai pas sanctionné si je ne les fais pas. Mais la prime au mérite, je ne l'ai jamais touchée", poursuit-il. Et les policiers de dénoncer leurs horaires de nuit, très mal payés. Un manifestant s'emporte : "Si on travaille la nuit, on est majoré de 17 centimes par heure. C'est ridicule."

Et puis, il y a aussi toutes ces décisions qu'ils ne comprennent pas et qui, disent-ils, ternissent encore davantage leur image. Le matricule, censé rapprocher les policiers de la population ? "Oui, je le vis mal. On nous fait porter un numéro comme si on était des prisonniers", soupire un manifestant. Plus loin dans la foule, un de ses collègues n'en fait pas grand cas. "Je n'ai absolument aucun souci à être identifié pour la bonne et simple raison que je fais mon travail, argue Serge. Le problème, c'est que ça a coûté 1,3 million d'euros. Et vu l'urgence, on aurait pu utiliser cet argent pour autre chose." Car les crédits de fonctionnement de la police nationale sont insuffisants. Les ordinateurs sont vieillots et les voitures tombent sans arrêt en panne. "Vous n'imaginez pas le nombre d'interpellations qu'on loupe. Et ça fait perdre un temps fou à tout le monde", grogne un fonctionnaire de police. Sans parler des locaux qui tombent parfois en ruine. Dans une dernière provocation avant de reprendre le service, un policier s'exaspère : "Il y a des commissariats dont on ne ferait même pas un centre de rétention…"

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Source(s): LePoint / Par MARC LEPLONGEON, le 23.01.2014 / Relayé par Meta TV )

 

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