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Le jour (lointain) où l’Europe punira ses banques

La Commission européenne a frappé fort en condamnant Goldman Sachs à une amende record de 15 milliards d’euros pour avoir aidé la Grèce à dissimuler l’ampleur de son déficit public et ensuite spéculer contre la dette grecque via les CDS (credit default swap). Mieux : son PDG, Lloyd Blankfein, fait l’objet d’un mandat d’arrêt européen lancé par plusieurs pays de l’Union, dont l’ et la France. D’autres américaines (JP Morgan, Bank of America) et des fonds spéculatifs (Hedge Fund) sont aussi dans le collimateur pour leur rôle dans la crise des subprimes qui a plongé l’ dans la récession. Les européennes ne sont pas en reste : plusieurs d’entres elles devraient, selon nos informations, être condamnées à une centaine de milliards d’euros d’amendes cumulées pour leur implication dans les crises bancaires et de la dette souveraine, plusieurs infractions aux règles de marché (ventes abusives, défaut d’information) ayant été mises à jour par les enquêteurs européens et nationaux. Plusieurs de leurs dirigeants ont même été arrêtés.

Les banquiers qui nous lisent peuvent dormir tranquilles : il s’agit d’une pure fiction, l’ n’étant pas l’Amérique du nord (lire l'article de Fabrice Rousselot à propos des amendes qui ont frappé les banques américaines). Sept ans après le début de la crise des subprimes, rares sont les pays qui ont poursuivi et condamné leurs et leurs dirigeants. C’est seulement le cas en Irlande, sous la pression populaire, tant les fraudes étaient nombreuses et en Grande-Bretagne. Ailleurs, les gouvernements ont choisi d’aider les banques à faire face à la tempête, quitte à les restructurer en créant des « bad bank » dont une bonne partie de la facture restera, in fine, à la charge des contribuables. L’Union, elle, faute de compétence, a frappé là où elle pouvait le faire, lorsque les règles de concurrence avaient été violées : ainsi, en décembre dernier, elle a condamné sept établissements financiers (dont la Société Générale et la Deutsche Bank) à une amende « record », au regard des standards européens, de 1,7 milliard d’euros pour avoir manipulé de conserve l’Euribor, l’un des taux de référence interbancaire.

Cette impunité bancaire n’est pas nouvelle. En Europe, les sont à la fois « too big to fail » (trop grosses pour faire faillite) et « too big to jail » (trop grosses pour aller en prison). Ainsi, il y a vingt ans, en France, l’affaire du Crédit Lyonnais s’est soldée par un sauvetage public de la banque et par un non lieu pour ses dirigeants et pour le superviseur national, en l’occurrence Jean-Claude Trichet. « Il y a, en Europe, un alignement entre l’intérêt des grandes et l’intérêt national », souligne Nicolas Veron, chercheur au Peterson Institute de Washington et au centre de réflexions Bruegel à Bruxelles. 

« Cette identification s’explique par le fait que les ont financé les guerres entre États européens. Ce qu’on diabolise, ce sont les banques étrangères et les marchés financiers non bancaires, par les établissements nationaux. Il suffit de voir la réaction hexagonale à l’amende infligée par la américaine à BNP Paribas. En Europe, la banque est napoléonienne, proche du pouvoir central ».

Aux États-Unis, en revanche, c’est l’inverse : « il y une méfiance traditionnelle à l’égard des grandes domestiques. Elles sont identifiées comme proche du centre et, au fond, rappellent la colonisation britannique. En outre, les États-Unis ont financé leurs guerres en ayant recours non pas aux banques, mais aux bons du trésor, c’est-à-dire aux marchés ». D’ailleurs, l’économie américaine s’est toujours prioritairement financée sur les marchés alors que les Européens ont massivement recours aux banques. Ces deux traditions différentes expliquent pourquoi les Européens ont réagi à la crise en réglementant les marchés financiers alors que les États-Unis ont porté l’effort sur le secteur bancaire. Comme le reconnaît un haut fonctionnaire européen, « chacun tape sur le secteur qui lui semble le moins douloureux »

Cela étant, l’Union a tiré les leçons de la crise en faisant passer une grande partie du contrôle des au niveau européen, ce qui va distendre le cordon ombilical entre elles et la supervision proprement nationale. Ainsi les qui étaient « systémiques » au niveau national, comme BNP Paribas, le seront beaucoup moins au niveau de la zone euro. Surtout, ce contrôle confié à la Banque centrale européenne « est la première étape vers la création de règles de police européenne », espère Nicolas Véron. Déjà, la BCE hérite du droit de fermer une banque qui manquerait à ses obligations. A Bruxelles, on estime nécessaire d’aller plus loin et d’instaurer à terme un procureur européen : « il faut une force frappe européenne quand la stabilité financière de la zone euro est en cause ».

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Source : Libération, le 04.09.2014

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  • Attila