Les sénateurs ont adopté vendredi une loi sur la protection des renseignements touchant à la sûreté nationale. Le texte, voulu par le Premier ministre, Shinzo Abe, avait provoqué une levée de boucliers de la société civile.
Il voulait aller vite. Il a obtenu satisfaction, non sans affronter un torrent de critiques et des manifestations régulières depuis deux mois. Au pas de charge vendredi, le Premier ministre japonais, Shinzo Abe, a fait voter par les sénateurs sa très controversée loi sur la protection des secrets d’État. Ce texte, déjà approuvé par les députés, vise à protéger les renseignements considérés comme vitaux pour la sécurité du Japon. Il a cristallisé contre lui une forte opposition.
Abe a fait du vote de cette loi une question de principe. Il n’a cessé de répéter que le texte serait l’une des clés de voûte de sa nouvelle politique de sécurité nationale mise sur les rails cet automne. A ses yeux, cette loi est indispensable pour garantir les travaux du Conseil de sécurité nationale inauguré cette semaine et obtenir des informations confidentielles de la part de l’allié américain. Au risque de «miner les principes démocratiques fondamentaux de la liberté d’information et de la presse»,écrivait récemment le quotidien Japan Times.
«UNE TERRIBLE MENACE POUR LA POPULATION JAPONAISE»
Signe d’une tension accrue, les sénateurs ont failli en venir aux mains jeudi soir lors d’une session de travail. Car l’opposition a tout fait pour retarder le scrutin contre ce projet présenté par plusieurs parlementaires comme «une terrible menace pour la population japonaise», selon les mots du sénateur Ryo Shuhama. Ce que n’ont pas manqué de souligner également des centaines de journalistes, cinéastes (Hayao Miyazaki, Hirokazu Kore-eda, Isao Takahata), des acteurs (Sayuri Yoshinaga, Shinobu Otake), écrivains (Kenzaburo Oé), chercheurs, avocats, les Nations unies et des milliers de simples citoyens au gré de pétitions, de débats, de manifestations.
Avec cette loi, les ministères auront l’autorisation discrétionnaire de classer «secret d’État» toute information jugée sensible. Quantité de données relevant de la défense, de la diplomatie, du contre-espionnage et de l’antiterrorisme seront donc soumises à un verrouillage troublant dans une démocratie parlementaire. Dénonçant un «très large champ d’activités menacées par la loi», la parlementaire du Parti social-démocrate Mizuho Fukushima a également critiqué la «description très très vague»du «secret d’État». Le flou est également de mise sur les modalités de contrôle extérieur qui demeurent indéfinies.
SHINZO ABE DÉVISSE DANS LES ENQUÊTES D’OPINION
En revanche, sur le volet répressif, le texte est très clair. Tout fonctionnaire et serviteur de l’État coupable de fuite risque dix ans de prison. En défendant bec et ongles, et avec empressement, ce texte depuis deux mois, Shinzo Abe s’est aliéné une partie du pays. Le patron du Parti libéral-démocrate (PLD), Shigeru Ishiba, ne lui a pas facilité la tâche. Cette semaine, il a assimilé les défilés autour des bâtiments gouvernementaux et de l’Assemblée «à des actions terroristes».
Résultat, alors qu’il caracolait seul en tête dans les sondages, salué pour son volontarisme et fort de premiers résultats sur le terrain économique, Shinzo Abe vient de dévisser dans les enquêtes d’opinion. Sa cote de popularité est passée sous la barre des 50%, selon un sondage du quotidien Asahi Shimbun. Débarrassé de toute opposition crédible depuis les sénatoriales de juillet qui ont vu la victoire de son Parti libéral-démocrate, il a presque réussi le tour de force de sortir le Parti démocrate du Japon (PDJ) de son coma post électoral.
«Je suis convaincu que le projet de loi fait par des bureaucrates vise uniquement à cacher l’information des bureaucrates, pour les bureaucrates», a déclaré Banri Kaieda, le patron du PDJ. Dans le plus grand secret.
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Source(s): Liberation / Arnaud VAULERIN, le 06.12.2013 / Relayé par Meta TV )