Journalistes sous surveillance

Les journalistes devront-ils un jour s'exiler pour enquêter sur les affaires de leur pays ?

C'est la question que posent les défenseurs de la liberté d'expression en marge de l'affaire Snowden, cet ancien consultant de la National Security Agency () qui a dévoilé de l'information confidentielle au journaliste Glenn Greenwald, qui l'a publiée dans les pages du Guardian.

Aujourd'hui, se cache en , Glenn Greenwald travaille de son domicile au alors que sa collègue, la documentariste Laura Poitras, préfère travailler de Berlin, où elle se sent, dit-elle, plus en sécurité.

Non, il ne s'agit pas du scénario du prochain James Bond ni d'une mauvaise suite au roman 1984 de . De plus en plus de journalistes dénoncent l'intrusion de leur gouvernement dans leur travail d'enquête.

Un acteur sonne l'alarme

Ces jours-ci, ce n'est pas un journaliste, mais bien un acteur américain qui sonne l'alarme dans les pages du Guardian. Dans une lettre ouverte la semaine dernière, John Cusack, qui est membre du conseil d'administration de la Freedom of the Press Foundation, dénonce la surveillance dont font l'objet les journalistes d'enquête dans son pays et blâme la américaine, qui transforme les dénonciateurs en criminels. Il se demande en outre si les reporters qui enquêtent sur l'affaire Snowden pourront rentrer au pays sans risque de se faire arrêter.

L'affaire Snowden est de loin le cas le plus médiatisé actuellement, mais Glenn Greenwald n'est pas le seul journaliste à qui on met des bâtons dans les roues. Au cours des derniers mois, plusieurs journalistes américains ont été espionnés par leur gouvernement.

Des exemples? Des agents du qui saisissent des relevés téléphoniques de journalistes de l'Associated Press, qui a révélé une opération de contre-terrorisme au . Un reporter de Fox News soupçonné de conspiration dont les courriels sont saisis. Une journaliste de CBS victime de pirates informatiques alors qu'elle enquête sur les attentats de Benghazi. Le lien entre tous ces cas? Le non-respect du travail des journalistes et la traque de leurs sources par les autorités américaines. Résultat: un climat menaçant pour d'éventuelles sources, ce qui rend le travail des reporters de plus en plus difficile.

«Intérêts nationaux»

Les États-Unis ne sont pas les seuls à traquer les médias, à la recherche de leurs sources. En France, l'ancien directeur central du renseignement intérieur Bernard Squarcini a avoué récemment qu'il avait tenté de découvrir la source d'un journaliste dans l'affaire Bettencourt en consultant ses relevés téléphoniques. La justification classique dans ces cas est de déclarer qu'on agit au nom de la «défense des intérêts nationaux» ou de la «sécurité du pays».

Doit-on craindre cette tendance à restreindre la liberté d'action des journalistes d'enquête au Québec? Pierre Trudel n'écarte pas cette possibilité. «L'exemple récent de la Sûreté du Québec qui a choisi d'enquêter sur le coulage d'information à propos de l'écoute électronique de Michel Arsenault, de la FTQ, est un bon exemple, note le professeur en droit public de l'Université de Montréal. Pour moi, ça s'inscrit dans la même tendance.»

«C'est comme si certaines organisations se sentaient assiégées, d'où leur crispation», ajoute Pierre Trudel, qui est également directeur du Centre d'études sur les médias.

Faire taire les sources

À ce sujet, l'animateur de l'émission Enquête, Alain Gravel, écrivait ceci dans son blogue le 11 septembre dernier: «Que vont faire les policiers? Vont-ils écouter les conversations des journalistes? Vont-ils fouiller dans nos carnets d'adresses? Dans nos ordinateurs? Dans nos cellulaires? Vont-ils traquer nos sources? Les mettre sous filature, les accuser et les mettre en prison? Belle façon de faire taire nos sources et de nous intimider!»

Aux États-Unis, un comité sénatorial vient d'approuver un projet de loi (Free Flow of Information Act of 2013) censé protéger la libre circulation de l'information, projet de loi dénoncé par plusieurs journalistes d'enquête américains qui craignent ses effets pervers. Selon Pierre Trudel, «on n'a pas besoin d'une grosse loi pour protéger les journalistes d'enquête, on n'a qu'à s'abstenir d'enquêter sur le coulage d'information et ne pas traiter les dénonciateurs comme des criminels».

Le Centre d'études des médias rédige actuellement un guide des normes journalistiques dans lequel il sera notamment question de la protection des sources journalistiques. Ce document devrait être publié en 2014.

Trois cas d'intervention

Der Spiegel

En août dernier, le magazine allemand Der Spiegel rapportait que la National Security Agency avait piraté le système de communication interne d'Al-Jazira en 2006.

> CBS

Il y a trois mois, le réseau américain CBS confirmait que l'ordinateur de la journaliste Sharyl Attkisson, qui enquête sur les attentats à Benghazi, avait été piraté à plusieurs reprises à la fin de l'année dernière. Les pirates n'ont pas encore été identifiés, mais les déclarations de Mme Attkisson laissent entendre qu'il pourrait s'agir d'une intrusion des autorités gouvernementales.

> Associated Press

Durant deux mois, en 2012, la américaine a saisi des relevés téléphoniques des bureaux de l'Associated Press (AP) ainsi que de ses journalistes. Cette saisie faisait suite à un d'AP concernant une opération de contre-terrorisme au en mai 2012.

_________________________________________________________________

​Source(s): lapresse.ca / Par NATHALIE COLLARD le 26-09-2013 / -)​

Laisser un commentaire

Retour en haut