Le plan de remodelage du Proche Orient
Dans l’article Le mondialisme après le 11 septembre 2001 du n°172 (mars 2004) de l’AFS, était présenté un texte d’Oded Yinon, fonctionnaire israélien, datant de 1982 et se rapportant au remodelage du Proche-Orient.
● Extrait du n°172 de l’AFS
Israël Shahak,[1]1 qui fut un très bon analyste de la politique israélienne, a présenté et commenté en 1982 un article d’Oded Yinon, ancien fonctionnaire du ministère israélien des Affaires étrangères. L’article est intitule Stratégie pour Israël dans les années 80 et a été publié dans le n°14 (février 1982) de la revueKivunim (Orientations). En voici des extraits (les sous-titres sont de notre redaction) :
Aujourd’hui, s’ouvrent à nous d’immenses possibilités de renverser totalement la situation, et c’est ce que nous devons accomplir dans la prochaine décennie, sous peine de disparaître en tant qu’État.
(…)
Démanteler l’Égypte, amener sa décomposition en unités géographiques séparées : tel est l’objectif politique d’Israël sur son front occidental dans les années 80 (…). Si l’Égypte se désagrége, des pays tels que la Libye, le Soudan, et même des États plus éloignes, ne pourront pas survivre sous leur forme actuelle, et accompagneront l’Égypte dans sa chute et sa dissolution.
On aura alors un Etat chrétien copte en Haute-Égypte et un certain nombre d’États faibles, au pouvoir très circonscrit, au lieu du gouvernement centralise actuel (…).
Le Liban – La décomposition du Liban en cinq provinces préfigure le sort qui attend le monde arabe tout entier, y compris l’Égypte, la Syrie, l’Irak et toute la péninsule arabe ; au Liban, c’est déjà un fait accompli.
La Syrie – La désintégration de la Syrie et de l’Irak en provinces ethniquement ou religieusement homogènes, comme au Liban, est l’objectif prioritaire d’Israël, à long terme, sur son front Est ; à court terme, l’objectif est la dissolution militaire de ces États.
La Syrie va se diviser en plusieurs États, suivant les communautés ethniques, de telle sorte que la cote deviendra un État alaouite chiite ; la région d’Alep, un État sunnite ; a Damas, un autre État sunnite hostile a son voisin du Nord ; les Druzes constitueront leur propre État, qui s’étendra sur notre Golan peut-être, et en tout cas dans le Hauran et en Jordanie du Nord.
L’Irak – Pays a la fois riche en pétrole et en proie a de graves dissensions internes, c’est un terrain de choix pour l’action d’Israël. Le démantèlement de ce pays nous importe plus encore que celui de la Syrie. L’Irak est plus fort que la Syrie ; a court terme, le pouvoir irakien est celui qui menace le plus la sécurité d’Israël. Une guerre (…) désintégrera l’État irakien avant même qu’il ne puisse se préparer a une lutte contre nous.
En Irak, une distribution en provinces, selon les ethnies et les religions, peut se faire de la même manière qu’en Syrie du temps de la domination ottomane. Trois États – ou davantage – se constitueront autour des trois villes principales : Bassorah, Bagdad et Mossoul ; et les régions chiites du Sud se sépareront des sunnites et des Kurdes du Nord.
La Jordanie – La Jordanie ne peut plus survivre longtemps dans sa structure actuelle et la tactique d’Israël, soit militaire soit diplomatique, doit viser à liquider le régime jordanien et à transférer le pouvoir à la majorité palestinienne.
La Palestine – Ce changement de régime en Jordanie résoudra le problème des territoires cisjordaniens à forte population arabe ; par la guerre ou par les conditions de paix, il devra y avoir transfert des populations de ces territoires, et un strict contrôle économique et démographique – seuls garants d’une complète transformation de la Cisjordanie comme de la Transjordanie. A nous de tout faire pour accélérer ce processus, le faire aboutir dans un proche avenir. Il faut rejeter le plan d’autonomie et toute proposition de compromis, de partage des territoires; étant donne les projets de l’O.L.P. et des Arabes israéliens eux-mêmes, il n’est plus possible de laisser se perpétuer ici la situation actuelle sans séparer les deux nations : les Arabes en Jordanie et les Juifs en Cisjordanie.
Dans le commentaire de cet article, qu’il rédigea en 1982, Israël Shahak insiste sur deux points :
L’idée que tous les États arabes doivent être fragmentes en petites unités, par l’oeuvre d’Israël, est une idée récurrente dans la pensée stratégique israélienne.
On perçoit très clairement le lien étroit qui existe entre ce projet et la pensée neo-conservatrice américaine.
(Fin de l’extrait du N° 172 de l’AFS)
● Une politique cohérente paraissant méthodiquement appliquée
Vingt trois ans après la date de rédaction de l’article d’Oded Yinon, on constate que le plan propose s’est réalisé à la lettre pour l’Irak. Ce pays devait être traité le premier, voir son État détruit et être divise en trois. Aujourd’hui, l’État irakien a été désintégré et la division en trois provinces hostiles les unes aux autres (chiite, sunnite et kurde) est en grande partie obtenue grâce a une guerre civile bien installée et dont personne ne conteste l’existence.2 [2]
L’idée maîtresse du plan – « balkaniser » le Proche Orient en ayant partout des petits États dresses les uns contre les autres – est aujourd’hui ouvertement admise par des membres ou des conseillers importants du gouvernement américain. En voici deux exemples :
Déclaration faite au Comite des affaires étrangères du Sénat américain par la secrétaire d’État Condeleezza Rice (19 octobre 2005) :
Si nous ne nous engageons pas a changer la nature du Proche Orient, 3[3] et si nous nous fatiguons et décidons de nous retirer et de laisser dans le désespoir le peuple du Proche Orient, je puis vous assurer que le peuple des États-Unis vivra dans l’insécurité pour beaucoup, beaucoup de dizaines d’années à venir.4 [4]
– Extrait du livre The War against the Terror Masters (Guerre contre les maîtres de la terreur) de Michael Ledeen, adjoint de Richard Perle 5[5] et comme lui membre du groupe des néo-conservateurs :6 [6]
D’abord et surtout nous devons en finir avec les régimes terroristes, à commencer par les trois grands : Iran, Irak et Syrie. Puis nous nous occuperons de l’Arabie saoudite. Une fois débarrassés des tyrans, nous ne nous en tiendrons pas là… Il nous faut accomplir la révolution démocratique… La stabilité est une mission indigne de l’Amérique, un concept trompeur à écarter. Nous ne voulons de stabilité ni en Irak, ni en Syrie, ni au Liban, ni en Iran ou en Arabie saoudite. Nous voulons que les choses changent. La question n’est pas de savoir s’il faut déstabiliser mais comment le faire.
Commentaire de Camille-Marie Galic qui cite ce passage dans son éditorial Apocalypse chaosde Rivarol (18 avril 2003) :
« Un Orient totalement déstabilisé selon les voeux de Leeden et de ses coreligionnaires tout puissants a Washington ne représenterait plus un danger pour Israël ».
Conclusion : le plan Yinon de 1982, qui s’est vérifié pour l’Irak, définit une politique d’ensemble très cohérente et qui semble être menée avec rigueur et esprit de suite. Il mérite d’être pris en considération pour les autres pays du Proche-Orient.
Arnaud de Lassus
[1]1 Israël Shahak, ancien président de la Ligue des droits de l’homme israélienne, est mort récemment. Il est l’auteur du livre important : Histoire juive, religion juive – Le poids de trois millénaires. Voir a ce sujet l’article La politique israélienne vue par un Israélien, dans le n°135 (février 1998) de l’A.F.S.
[2] Sur la guerre civile en Irak et les opérations de « nettoyage » qui en font partie (des sunnites abandonnant des quartiers à majorité chiite et inversement), on trouvera de nombreux articles sur le site www.antiwar.com. Signalons en particulier celui du général William E. Odom (qui fut directeur de laNational Security Agency pendant le deuxième mandat du Président Reagan) : What’s Wrong With Cutting and Running (que peut-on reprocher a nos courses et nos attaques). En voici la référence : http://www.antiwar.com/orig/odom.php?articleid=7487
[3]3 Unless we commit to changing the nature of the Middle East…
[4]4 Déclaration citée dans l’article Rice calls war part of post-9/11 plan (Rice considère la guerre comme faisant partie du plan de l’après 9 septembre 2001), The Washington Times, 20 octobre 2005.
[5]5 Richard Perle fut président du Defense Policy Board (Comité pour la politique de défense) qui est un auxiliaire du Pentagone.
[6]6 Ce groupe compose en partie d’anciens trotskystes a été principalement inspiré par le philosophe germano-américain Léo Strauss, mort en 1973 ; il se trouve aujourd’hui en position dominante dans le gouvernement américain. Sur Léo Strauss, « disciple de Friedrich Nietzsche, de Martin Heidegger mais aussi des kabbalistes et philosophes ésotériques juifs comme Maimonide », voir le très intéressant portrait publie dans le n° 169 (1 au 15 mars 2004) de Faits et Documents (BP 254-09, 75424 Paris cedex 09).
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Source(s): Super_Resistence / Super_Resistence / dailymotion / Democratie-royale, 15.11.2013 / Relayé par Meta TV )