Cette fois, la coupe est pleine. Irrité par l'annonce israélienne d'accélérer la colonisation, pourtant illégale, à Jérusalem alors que la tension dans la Ville sainte est à son paroxysme, un haut responsable américain a exprimé de façon peu amène l'exaspération croissante de l'administration Obama au sujet de l'attitude de Benyamin Netanyahou. "La vérité sur Bibi, c'est que c'est une mauviette*", affirme cet officiel au site américain The Atlantic. "Il [Netanyahou] ne fera rien pour arriver à un compromis avec les Palestiniens ou les pays arabes sunnites. […] La seule chose qui l'intéresse est de se protéger d'une défaite politique", poursuit-il, fustigeant les gages ainsi accordés par Benyamin Netanyahou à l'extrême droite de son gouvernement.
Des paroles qui tranchent sévèrement avec l'habituel langage diplomatique employé par la Maison-Blanche, dès qu'Israël annonce de nouveaux plans de colonies. Lundi encore, Washington a critiqué l'annonce par Israël de l'accélération des plans pour la construction de 1 000 logements à Jérusalem-Est, y voyant une action "incompatible" avec les efforts de paix entrepris dans la région. Des formules convenues qui peinent pourtant à cacher le ras-le-bol de Barack Obama quant à son indéfectible allié.
Obama échaudé
Dès septembre 2012, le président américain a été particulièrement échaudé par les déclarations publiques de Benyamin Netanyahou exhortant publiquement le pensionnaire de la Maison-Blanche à fixer des lignes rouges à l'Iran sur son dossier nucléaire, autrement dit à l'accompagner dans un conflit armé. Son administration ne l'a pas oublié. "Ce qui est bien avec Netanyahou, c'est qu'il a peur de lancer des guerres", ironise aujourd'hui le haut responsable américain à The Atlantic.
Dans la foulée, le Premier ministre israélien va publiquement faire campagne pour le républicain Mitt Romney dans la course à la présidentielle américaine, plus dévoué, selon lui, à la cause de l'État hébreu. Mais il pariera sur le mauvais cheval. Obama ne l'oubliera pas. Il charge alors le chevronné John Kerry de prendre à bras-le-corps le dossier israélo-palestinien. En juillet 2013, le secrétaire d'État arrache la reprise des négociations de paix entre les deux camps. Neuf mois durant, Kerry va faire la navette entre Washington, Tel-Aviv et Ramallah. Mais il se heurte à l'implacable poursuite de la colonisation israélienne, à Jérusalem-Est et en Cisjordanie.
Kerry livre le fond de sa pensée
Rompant avec les usages, le secrétaire d'État livre alors le fond de sa pensée en novembre 2013 dans une interview à une chaîne israélienne : "La poursuite de la colonisation donne l'impression qu'Israël ne négocie pas sérieusement", affirme-t-il. Et le secrétaire d'État de mettre en garde l'État hébreu : "Israël veut-il une troisième Intifada ? […] Si la paix reste introuvable, Israël sera de plus en plus isolé. Il y aura un renforcement de la campagne de délégitimation au niveau international."
Cinq mois plus tard, l'échec des négociations de paix étant acté, John Kerry récidive. "La création de deux États sera la seule solution réaliste. Parce qu'un État unitaire finirait par être soit un État d'apartheid avec des citoyens de seconde classe soit un État qui détruira la capacité d'Israël d'être un État juif", aurait affirmé à Washington le responsable américain lors d'une réunion à huis clos à Washington, retranscrite par le site Daily Beast. Des déclarations qui déclencheront la foudre des dirigeants israéliens, ce qui forcera le secrétaire d'État à démentir ses propos. Pourtant, six mois plus tard, ces paroles sonnent curieusement juste.
L'influence de l'AIPAC
L'opération israélienne à Gaza a également permis de mesurer le double discours américain. Si les communiqués officiels insistent sur le droit d'Israël à se protéger face aux attaques du Hamas, le secrétaire d'État a été surpris sur la chaîne américaine Fox News en train de glisser à l'antenne : "C'est une opération sacrément chirurgicale, en effet, sacrément chirurgicale." Mais cet agacement américain n'a pourtant jamais dépassé le simple cadre diplomatique, les États-Unis poursuivant leur soutien politique et militaire inconditionnel à l'État hébreu.
"Il ne faut pas oublier que le budget américain est décidé par le Congrès, où l'AIPAC, groupe de pression proche de la droite israélienne, influe sur le choix des parlementaires en leur distribuant des contributions de campagne", explique Maya Kandel, directrice du programme États-Unis de l'Institut de recherche stratégique de l'École militaire de Paris (Irsem). Une organisation très puissante, auprès de la quasi-totalité des élus du Congrès, démocrates comme républicains (l'électorat juif américain vote très majoritairement démocrate, NDLR). "D'autre part, Obama est parti la fleur au fusil sur le dossier israélo-palestinien, pensant naïvement qu'il pourrait résoudre ce conflit, poursuit la spécialiste. Or, il s'est rapidement rendu compte que cette crise était sans issue, et est passé à autre chose." Un constat d'impuissance favorisé par le succès annoncé aux élections de mi-mandat des républicains, qui, en plus de renforcer leur majorité à la Chambre des représentants, pourraient également s'emparer du Sénat.
"L'administration [américaine] souhaite jeter Israël sous un bus" (Naftali Bennett)
"Il [Netanyahou] n'est ni Rabin, ni Sharon, ni même Begin [trois anciens Premiers ministres israéliens, aujourd'hui décédés, NDLR]", conclut le haut responsable américain cité par The Atlantic. "Il n'a pas de tripes." Ces propos hors du commun ont en tout cas été pris très au sérieux en Israël.
S'exprimant devant la Knesset, Benyamin Netanyahou a admis qu'il avait eu quelques disputes avec les Américains, mais il a souligné qu'il "chérissait" l'alliance entre Israël et les États-Unis. Et de préciser qu'il était attaqué par des "forces anonymes" simplement parce qu'il défendait les intérêts de son pays. Au contraire, le ministre de l'Économie Naftali Bennett a laissé transparaître une certaine inquiétude. Faisant part de son indignation face à ces "insultes sévères offensant des millions de citoyens israéliens et de juifs dans le monde entier", il a ajouté que "si ce qui est écrit est vrai alors il apparaît que l'administration actuelle (américaine) souhaite jeter Israël sous un bus".
L'exaspération américaine à l'égard de son plus proche allié s'est récemment exprimée de manière beaucoup plus feutrée. Ainsi, après avoir accusé le secrétaire d'État américain d'être obsessionnel et messianique" en raison de son obstination au Proche-Orient, le ministre israélien de la Défense, Moshe Ya'alon, en visite la semaine dernière aux États-Unis, a vu rejetée sa demande de rencontrer John Kerry et le vice-président Joe Biden.
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Source : Le Point / Par Armin Arefi, le 29.10.2014 / Relayé par Meta TV