Le saumon pourrait bien être le premier animal génétiquement modifié proposé à la vente dans le commerce. L’administration canadienne vient en effet d’autoriser l’élevage de saumons modifiés de façon à ce qu'ils aient grossi toute l’année et non plus seulement au printemps. Un premier pas vers une probable commercialisation qui inquiète le militant écologiste Yves Paccalet.
Les ripailles de Noël se profilent, du moins pour ceux qui ne vont pas commander leur dîner aux Restos du Cœur.
Pour les autres – la majorité –, une question existentielle se pose : qu’est-ce qu’on mange pour les fêtes ? Du foie gras ? Problématique… Non seulement c’est cher, mais l’essentiel de ce produit nous arrive de Bulgarie et de Roumanie. Sans oublier que le gavage des canards et des oies est assez éloigné du traitement idéal que nous pourrions réserver aux animaux d’élevage.
Reste le saumon. Il est incontournable, on dirait qu’il frétille par avance à la perspective de nous régaler. Le saumon, c’est délicieux. C’est du poisson, et même du gras, rempli d’oméga 3 recommandés pour la santé, prêts à se bagarrer dans notre organisme pour y faire remonter notre taux de "bon" cholestérol.
Le premier animal génétiquement modifié
Dans la réalité, l’affaire se complique. Les OGM rattrapent les poissons, et d’abord les saumons. Voici plusieurs années que cette "révolution alimentaire" se profile : la voilà offerte aux industriels de l’aquaculture, aux négociants en gros et aux supermarchés qui écoulent les produits.
Des généticiens ont réussi à remanier le patrimoine héréditaire de l’espèce atlantique (Salmo salar), de façon que celle-ci grossisse plus rapidement et durant toute l’année (pas seulement au printemps et en été). Plus vite, moins cher (mais ça, ça reste à démontrer !)…
Cette créature arrivera incessamment dans nos assiettes. Jusqu’à présent, dans le monde, plusieurs végétaux génétiquement modifiés (tomate, maïs, pomme de terre, etc.) avaient reçu l’autorisation d’entrer dans le circuit de la consommation humaine. Le saumon sera le premier animal de la liste.
La firme américaine qui propose à notre appétit ce mutant s’appelle AquaBounty Technologies. Ses couveuses et ses bassins d’élevage sont installés sur la côte de l’île canadienne du Prince-Édouard. L’OGM a reçu le doux nom d’AquAdvantage®. Ses détracteurs (rien que des écolos passéistes !) l’ont renommé, en français "saumonstre" et en anglais "Frankenfish".
Les promoteurs de la bestiole se présentent, ça va de soi, comme des bienfaiteurs de l’humanité. Ils promettent que leur "invention" aidera à résoudre le problème de la faim dans le monde. Des calories et des protéines pas chères, pour une humanité qui en manque… On connaît la chanson.
Une industrie agro-alimentaire toujours plus puissante
Le "saumonstre" ou "Frankenfish" de la firme AquaBounty Technologies vient d’obtenir son autorisation d’élevage au Canada. Ses "créateurs" assurent que l’animal, strictement engraissé en enclos, n’ira pas fusionner ses gènes avec ceux des saumons sauvages qui passent en migration dans les mêmes eaux.
Le discours, là aussi, est convenu : chacun sait que les gènes modifiés d’une espèce finissent toujours par s’échapper dans la nature et par contaminer les souches originelles.
La firme détentrice des brevets de "Frankenfish" s’apprête (pour commencer…) à faire éclore et engraisser cent mille de ces organismes par an, y compris dans des bassins situés… au Panama. La Food and Drug Administration américaine n’a pas encore donné son feu vert pour la commercialisation du produit. L’Europe non plus.
Mais tout le passé récent de la législation sur les OGM, soumise au lobbying le plus intense qui se puisse imaginer, laisse penser que, sinon pour le Noël qui vient, du moins pour le prochain, nombre d’entre nous garniront leurs assiettes de superbes tranches de "saumonstre".
Du saumon rosi à point, non pas par les pigments naturels des petits crustacés de la mer, mais par la chimie d’une industrie agro-alimentaire toujours plus puissante, avide et mensongère.
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Source(s): Le Nouvel Observateur / Par Yves Paccalet, le 13.12.2013 / Relayé par Meta TV )