Chine : Le combat isolé d’une femme médecin contre la corruption

Vous faire acheter un pacemaker dont vous n'avez nul besoin ou vous hospitaliser pour un simple mal de gorge: une femme médecin dénonce, seule contre ses confrères, les abus du système médical chinois gangrené par une endémique au point de susciter une vague de violences de la part de patients révoltés.

 

 

 

Mme Lan Yuefeng, ancien médecin-chef spécialisée en échographie, a fait lorsqu'elle a publiquement accusé l'hôpital où elle exerçait d'abuser délibérément les malades en leur prescrivant trop de médicaments et des traitements inutiles. 

"C'est une pratique malheureusement très répandue (en ), c'est très triste", a déclaré cette quinquagénaire dans un entretien à l'AFP. 

Placée d'office en congé sans solde il y a deux ans, elle a néanmoins continué de se rendre dans cet hôpital de la ville sichuanaise de Mianyang (sud-ouest) –ce qui lui a valu dans les médias locaux le surnom de "médecin de couloir". 

L'accusant de ternir la réputation de l'hôpital public, ses confrères médecins l'ont ostracisée et ont été jusqu'à se mettre en grève pour protester contre sa présence dans les locaux. Après un vote interne, ils ont récemment exigé son licenciement. 

-Recrudescence des violences- 

Pourtant, les révélations du Dr Lan Yuefeng tiennent du secret de Polichinelle, dans un pays où des prescriptions médicales excessives et pots-de-vins de l'industrie pharmaceutique comme des patients sont souvent critiqués par les médias officiels. 

Les défaillances du système nourrissent une telle défiance et un tel ressentiment parmi la population que des patients en fureur prennent régulièrement à partie le personnel médical, agressant infirmières et médecins. 

En avril, un quadragénaire mécontent d'une circoncision a mortellement poignardé un médecin au Jiangsu (est). Trois mois auparavant, un homme avait été condamné à mort pour le meurtre d'un ORL dans la province voisine du Zhejiang. 

Près des deux tiers des hôpitaux chinois ont fait état de violences entre patients et personnel médical en 2012, un niveau qui a doublé en moins de cinq ans, selon l'Association des Hôpitaux de . Chaque établissement a enregistré cette année-là 27 épisodes de , allant des menaces aux meurtres, en moyenne.  

De leur côté, 80% des Chinois se plaignent d'un "accès difficile" à une consultation auprès d'un médecin et 95% estiment que les soins sont trop chers, selon une enquête menée en 2013 par le cabinet Horizon Research. 

– Des "habitudes" très ancrées – 

Si les coûts médicaux augmentent si rapidement en Chine, c'est en partie parce que les hôpitaux dépendent pour 90% de leurs revenus de la vente de médicaments et services médicaux, explique Yanzhong Huang, chercheur au Council on Foreign Relations aux États-Unis et spécialiste du système médical chinois. 

"Les établissements de soins sont donc grandement incités à maximiser leurs revenus en augmentant leurs prescriptions", souligne-t-il. 

Quant aux médecins, dont les salaires sont extrêmement bas malgré un niveau d'études élevé, ils touchent directement des primes en fonction de ce qu'ils prescrivent. En plus de pots-de-vins versés par des groupes pharmaceutiques pour doper leurs ventes. 

Le géant britannique GSK a fait l'objet depuis l'été 2013 d'une enquête très médiatisée pour de telles pratiques qui sont, de l'avis des experts, monnaie courante dans le pays. 

"Pour les personnels médicaux, c'est simplement une habitude", relève M. Huang. 

Après le cas d'un homme de 53 ans sur lequel on devait installer un pacemaker dont il n'avait pas besoin, "j'ai réalisé que je ne pouvais plus accepter tout ça", raconte le docteur Lan. "Je faisais des compromis, j'abaissais toujours plus mes normes d'éthique médicale". 

Ses collègues, eux, ont considéré sa remise en cause du système comme une menace pour leurs rémunérations. "Ils me demandaient si je voulaient provoquer la faillite de notre hôpital", se souvient-elle. 

L'hôpital lui a reproché de manquer à ses obligations professionnels et l'a suspendue, sans répondre aux allégations de . Une enquête ordonnée par la municipalité n'a pas pu confirmer les révélations de Mme Lan, selon les médias chinois. 

– "Votre argent ou votre vie" – 

Le besoin de soins médicaux augmente avec le vieillissement de la population et l'élévation de son niveau de vie, qui ajoute les maladies qu'amène une plus grande prospérité aux maladies de l'âge.  

Pékin a lancé en 2009 un ambitieux plan de réformes du système de santé et de la sécurité sociale sur 11 ans, et y a investi jusqu'à présent quelque 273 milliards d'euros, pour encourager les Chinois à davantage consommer plutôt qu'épargner pour faire face à un coup du sort. 

Pourtant, si 95% des Chinois étaient couverts en 2011 par des assurances médicales –contre seulement 30% en 2003–, les niveaux de franchise qu'ils doivent acquitter bondissent de 10% par an, avertit M. Huang. 

Les patients atteints de maladies chroniques voient très vite leurs factures exploser, les polices d'assurances ne remboursant parfois que 30% des frais de consultation externe et 50% des frais d'hospitalisation. 

Les abus des hôpitaux suscitent l'indignation du public, mais la plupart des patients se laissent persuader par les médecins d'accepter toutes les prescriptions, raconte Mme Lan. Pour les convaincre, le personnel médical leur pose la question redoutable: "Qu'est-ce qui compte le plus pour vous, l'argent ou la vie'

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Source(s) : L'express / AFP, le 18.06.2014 / ChinaSmack

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