Charente : “hors de question d’arrêter” son combat contre Monsanto

Paul François a gagné son premier procès contre Monsanto, mais la bataille judiciaire continue. Malgré la fatigue et les pressions, le céréalier charentais poursuit un combat qui va bien au-delà de son propre cas

En avril 2004, alors qu'il nettoyait une cuve d'épandage, Paul François, céréalier à Bernac, dans le nord de la Charente, était victime d'une intoxication due aux vapeurs du produit qu'il utilisait, le Lasso. Dans un premier temps, le Charentais, toujours atteint de troubles neurologiques, a fait reconnaître par les tribunaux son intoxication comme maladie professionnelle avant de lancer une procédure en responsabilité civile contre Monsanto.

Le 13 février 2012, le géant américain de l'agrochimie était jugé « responsable du préjudice de Paul François suite à l'inhalation du produit Lasso ». Ce jugement rendu par le tribunal de grande instance de Lyon ouvrait ainsi la voie à des dommages-intérêts, une première en France. Monsanto a fait appel, estimant qu'il n'y avait pas « d'éléments scientifiques suffisants ».

« Sud Ouest Dimanche ». Que s'est-il passé depuis le procès ?

Paul François. Deux experts, un toxicochimiste et un médecin, ont été désignés. Nous les avons rencontrés deux fois, à Paris. Les nouveaux avocats de Monsanto [NDLR : la firme a changé de défense en faisant appel] ont très vite cherché à nous déstabiliser et à déstabiliser les experts. Ils ont fait différentes requêtes, comme réclamer le report des expertises après l'appel ou demander aux experts de bien vérifier que mes problèmes de santé étaient liés à l'intoxication. Ce dernier point leur a été accordé. Monsanto a ensuite demandé que l'expertise finale soit invalidée car un expert psychiatre aurait dû être nommé. Le tribunal les a déboutés mais ils ont fait appel, ce qui prolonge d'autant les délais et les frais… Mes avocats sont à Lyon tous les quinze jours en ce moment.

Quel est le coût de ces expertises ?

Avant même qu'il n'ouvre le dossier, un expert coûte 1 000 euros. Pour l'instant, j'ai déboursé 5 000 euros pour les trois experts, dont 1 000 euros pour le néphrologue que je n'ai jamais rencontré. Les expertises sont à ma charge, si Monsanto perd, il les remboursera, mais en attendant, c'est à moi de faire l'avance. Si eux ont des moyens illimités, ce n'est pas mon cas. Pour l'heure, le prix de la procédure en appel devrait approcher 13 000 euros, dont 10 000 de ma poche. Sans compter les frais d'avocats. Cela veut dire que si la justice fonctionne plutôt bien – car il faut être courageux pour condamner des grands groupes industriels -, cela coûte cher. Est-ce que n'importe qui peut se défendre avec des coûts comme ceux que j'ai à affronter ?

Comment se sont déroulées ces expertises ?

Après le jugement, je pensais que le plus dur était derrière moi. Mais je n'ai pas vu venir cette seconde lame. La technique de la partie adverse est d'user le plaignant, c'est extrêmement violent. La mise à nu, la reprise de tout le dossier, la pression des avocats qui vous ignorent… Ces moments ont été difficiles à supporter, j'en revenais marqué. Je ne suis pas sûr que si je devais faire de nouvelles expertises je les accepterais. Pour Monsanto, l'accident n'a pas existé car ni les pompiers ni le Samu n'étaient intervenus le jour où cela s'est déroulé. Tout a pu être orchestré par un affabulateur. D'ailleurs, pour eux, je n'existe pas, tout cela n'est qu'une machination contre Monsanto. C'est très dur à recevoir en pleine figure.

Cela vaut-il la peine de continuer le combat ?

Je me suis posé la question. Parce que moralement et financièrement ça devient lourd à porter. Je me demandais si je n'allais pas occasionner des dommages collatéraux à ma famille, à mes proches. Mais ma femme et mes filles m'ont dit de continuer et mon avocat m'a conseillé de prendre du recul. Je m'investis autant, mais différemment. Par exemple, je ne vais pas systématiquement à Lyon. Je pense à autre chose. J'ai l'exploitation à faire tourner, l'association à gérer, je suis élu à la Communauté de communes, j'ai plein de choses qui m'occupent l'esprit. Quand j'ai décidé de tout arrêter, je ne pensais qu'à ce combat. La nuit, je faisais des cauchemars où j'étais au tribunal et tout se mélangeait. Finalement, si j'ai douté, ça veut dire que leur stratégie de déstabilisation morale et physique fonctionne. Monsanto ne tape plus sur le fond mais sur la forme.

Qui sont vos soutiens ?

Ce sont des médecins, des chercheurs qui depuis le début ont pris sur leur temps et cela bénévolement. Certains ont pris des risques en s'engageant auprès de moi. Je ne pouvais faire taire ces lanceurs d'alerte. Si je continue, c'est aussi pour ne pas décevoir tous les anonymes qui m'ont apporté leur soutien et tous ceux qui, à travers l'association, attendent beaucoup et qui seraient retombés dans la solitude. Que seraient devenues les 32 autres procédures en cours ? Mon combat est connu, même au-delà des frontières. Nous avons eu des contacts des quatre coins du monde. Pour tous ces gens, il m'est apparu évident de poursuivre. Je ne serais pas bien dans ma peau si je n'avais pas continué. Ce n'est plus le moment d'abandonner. Et puis, si j'arrêtais là, Monsanto communiquerait énormément dessus…

Quel est le calendrier désormais ?

On ne le connaît pas. J'aimerais vraiment qu'en 2014, dix ans après l'accident, on puisse en finir avec cette procédure. Est-ce que ce sera possible ? Je ne sais pas. Est-ce qu'on envisage l'éventuel pourvoi en cassation de Monsanto ? À chaque jour suffit sa peine, mais si Monsanto perd, je ne vois pas pourquoi ils n'iraient pas.

Comment réagit votre profession vis-à-vis de votre combat ?

Au début, c'étaient des pressions sympathiques, des taquineries. Aujourd'hui, certains agriculteurs répètent que mon procès et l'association nuisent à la profession. Heureusement, ce n'est pas une grande majorité. Car, au fur et à mesure, ils comprennent qu'ils ont aussi intérêt à ce que ce sujet soit pris en main.

Quels sont les risques si le monde agricole ne s'en saisit pas ?

C'est à nous de faire pression sur les firmes pour avoir de la chimie propre. Sinon il y aura deux types d'agriculteurs : les malades et ceux sur le banc des accusés. Avec Certiphyto (1), la responsabilité des firmes et des revendeurs n'existera plus. Les agriculteurs seront responsables de l'utilisation de leurs produits. Mais s'ils n'en connaissent pas la composition exacte et par conséquent dangerosité, ils peuvent se mettre en danger mais aussi mettre en danger les riverains. Et avec les actions de groupe, demain, des riverains pourront se regrouper et des agriculteurs se retrouver sur le banc des accusés. Il ne se passe pas un mois sans qu'un rapport sorte. Comme les politiques, nous ne pourrons pas dire qu'on ne savait pas. Mon combat est sensé. Qu'importe le résultat de mon procès, le problème sera toujours là, il y aura toujours des malades à la campagne et des agriculteurs touchés qui se suicident avec des pesticides.

(1) À partir de 2015, le certificat d'aptitude obligatoire Certiphyto devra être obligatoirement présenté pour l'achat de pesticides à usage professionnel.

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Source(s): Sud Ouest, le 05.01.2014 / Relayé par Meta TV )

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