Invité au micro de Denis Cheissoux, Pierre Rabhi évoque sa vie : son enfance à Kenadsa en Algérie, son travail pédagogique sur l’agriculture bio et de l’agroécologie, sa candidature en 2002 pour la présidence française, la sobriété heureuse… Un entretien enrichissant, à retrouver ici.
À l’occasion de la sortie de son livre L’Enfant du désert, Pierre Rabhi est venu s’exprimer au micro de Denis Cheissoux pour un long entretien, dans lequel il évoque différents moments de sa vie. Ecoutez-le ici :
Rabha Rabhi
Enfant, il ne se prénomme pas Pierre, mais Rabah. Rabha Rabhi. “Rabha” c’est-à-dire “le victorieux” et “Rabhi” : “le gagnant”. Il souligne avec malice : “Je suis quand même bien loti !”
Il est né en 1938 dans une oasis du désert algérien, Kenadsa, au sud d’Oran, une région riche en mines de charbon.
Le père de “Rabha” Rabhi réalise qu’avec l’exploitation de ces mines, c’est tout un monde qui est en train de basculer. Il estime que pour y préparer son fils au mieux, il le fait adopter par un couple de Français. Pierre Rabhi explique : “C’est est fini de nos valeurs et des valeurs fondamentales sur lesquelles nous avons construit notre mode d’existence puisque maintenant les Européens ont les pleins pouvoirs sur notre destin. Il ne faut pas que nous soyons ignorants des préceptes et des credo de ce monde-là, c’est pour ça que j’ai été confié assez jeune une famille de Français, un ingénieur et une institutrice, pour être initié à la modernité”.
Le temps des premiers jobs
En grandissant, il se dispute avec son père adoptif, puis s’essaie à différents emplois – y compris simple ouvrier. C’est un choc : “On passait d’un être humain qui était plus ou moins en harmonie avec les lois de la vie et de la Nature, à une société dans laquelle on passe du cheval animal au cheval vapeur, pour ne donner que cette illustration. Et le cheval vapeur apporte une civilisation absolument inédite.; À partir de ce moment-là, à la fois on rentre dans la modification des capacités humaines qui sont décuplées par la mécanique et on rentre dans une modification du temps et de l’espace” avec la vitesse qu’apporte les chevaux vapeur.
“C’était déjà la naissance de cette frénésie dans laquelle il faut couvrir des espaces importants en très peu de temps. Du coup, ça a introduit une civilisation du temps-argent et du temps qu’il ne faut jamais perdre.”
C’est presque un délit que de perdre du temps
Premiers pas dans l’agriculture : la création (difficile) de la ferme de Montchamp
En 1960, Pierre Rabhi et son épouse Michèle montent ce beau projet : quitter la ville et aller cultiver des légumes pour se nourrir. À une époque où c’était l’urbanisation au contraire, qui était valorisée, le couple Rabhi choisit donc de s’installer à la Ferme de Montchamp.
Belle et noble entreprise, encore faut-il avoir un peu d’argent pour pouvoir se lancer… Pierre Rabhi raconte au micro de Denis Cheissoux : “Nous n’avions pas le moindre centime. On m’apprend que je pouvais faire un emprunt au Crédit Agricole”. La banque ne lui donne pas l’argent espéré mais ce conseil avisé : aller apprendre à cultiver la terre avant d’entreprendre quoi que ce soit.
Pierre Rabhi se rend donc dans une école élémentaire d’agriculture et devient ouvrier agricole pendant trois ans. Au passage, il découvre qu’il y a des aspects très négatifs à l’agriculture, que beaucoup de pesticides sont utilisés… (ce qui l’amènera à s’intéresser plus tard à l’agro-écologie et à l’agriculture bio).
Fort de son expérience et de son diplôme, Pierre Rabhi retourne présenter son projet au Crédit Agricole :
Le conseiller : Est-ce que vous avez trouvé le lieu ?
Pierre Rabhi : Oui.
– Bon, alors, décrivez-le. Est-ce qu’il y a de l’eau ?
– Ah.. il n’y a pas beaucoup d’eau.
– Comment est la terre ?
– Oh… il y a beaucoup de cailloux.
– Le chemin ?
– Il est à peine praticable. Il n’y a pas de téléphone, pas d’électricité.
– Monsieur Rabhi… On ne peut pas vous prêter parce qu’en vous prêtant on commettrait un délit , on vous aiderait à vous suicider. Jamais vous ne vous en sortirez dans ces conditions.
Pierre Rabhi conclut, philosophe : “C’était très difficile de dire à l’agent du Crédit Agricole : ce choix a été fait parce que ce lieu est beau”. Il ajoute : “Aujourd’hui, nous faisons trop le sacrifice de la beauté ; c’est dommage qu’une vie passe à côté de cette beauté”.
À la recherche d’une agriculture plus respectueuse de la Nature… et des Hommes
En 1978, Pierre Rabhi est chargé de formation en agroécologiepar le Cefra (Centre d’étude et de formation rurales appliquées). Trois ans plus tard, il se rend au Burkina Faso en tant que « paysan sans frontières » à la demande du gouvernement de ce pays : il apprend aux paysans burkinabés comment reboiser, comment lutter contre l’érosion des sols, sauvegarder des semences. Il initie des paysans “littéralement mis en esclavage par cette agriculture de production” à une forme d’agriculture libérée de toutes les dépenses excessives auxquelles ils étaient confrontés.
J’accuse cette démarche de les avoir orientés sur la loi du marché en faisant du coton, des arachides, à coups d’engrais, de pesticides et de produits synthétiques qui font la prospérité des gens qui les produisent.
Il crée ensuite un centre de formation en agroécologie à Gorom-Gorom : “Chaque village désignait un représentant qui venait se former à l’agriculture en zone semi aride. À charge pour eux, quand il retournaient dans leurs villages, de transmettre leur savoir à leur communauté”.
Candidat à la présidence
En 2002, Pierre Rabhi se présente à l’élection présidentielle : “On m’a mis la pression parce que moi, je ne voulais pas y aller”
Il accepte pour introduire dans sa campagne des idées importantes :
- le féminin au cœur du changement
- l’agriculture écologique
- éduquer les enfants dans la réciprocité et la solidarité plutôt que dans la compétitivité
- …
Pierre Rabhi raconte : “Il fallait quand même passer par le protocole des signatures d’élus. On s’est dit “S’il y a trois élus en état d’ébriété qui vont nous donner leur signature, ce sera déjà pas mal Et puis finalement on a frôlé les 200, on était étonnés ; ça nous adonné un coup d’optimisme”. Mais pour être un candidat présidentiable, il fallait atteindre les 500 signatures et le projet capote.
Aller plus loin
- ECOUTEZ | Chaque samedi à 14h, rendez-vous avec Denis Cheissoux dans CO2 mon amour pour une heure d’écologie, une heure pour évoquer la Nature, et signaler des démarches vers un monde plus durable.
- LIRE AUSSI | L’Enfant du désert de Pierre Rabhi, 112 pages, dont quelques pages à feuilleter ci-dessous :
Source : France Inter