Ratés : A trop vouloir communiquer, l’Élysée prend le risque de perturber l’action militaire. Le président de la République faisait une escale surprise, mardi soir, à Bangui, où l’armée française commence à peine sa mission de sécurisation
Les faits – Deux paras français ont été tués lundi soir dans un accrochage à Bangui, cinq jours après le début de l’opération Sangaris lancée par la France pour rétablir la sécurité en Centrafrique, où la tension reste vive. Ce sont les premières victimes dans les rangs des militaires français depuis le déploiement le week-end dernier de 1.600 soldats pour mettre fin aux exactions commises dans ce pays plongé dans le chaos depuis un coup d’Etat au mois de mars. Le président François Hollande devait s’arrêter mardi soir à Bangui pour rencontrer les soldats français et les autorités centrafricaines, de retour d’Afrique du Sud où il a assisté, en compagnie de Nicolas Sarkozy, à une cérémonie d’hommage à Nelson Mandela.
Le temps de la communication politique n’est pas celui de l’action militaire. Et, à soumettre la conduite d’une guerre aux impératifs de la mise en scène du pouvoir, on prend le risque du cafouillis. La Centrafrique pourrait en fournir un bel exemple, objet qu’elle est de toutes les attentions de François Hollande.
De retour des obsèques de Nelson Mandela, le chef de l’État devait faire, mardi soir, une courte escale de quelques heures à Bangui – cinq jours à peine après le début de l’opération Sangaris. Dans une ville livrée aux règlements de comptes, pillages, scènes de violence et tirs désordonnés, où près de 500 personnes ont été massacrées la semaine dernière et deux paras français tués lundi soir dans un accrochage, que vient faire le président français, sinon se montrer ?
Certes honorés d’une telle visite impromptue (elle a été annoncée par un communiqué mardi à 8h20) les militaires ont d’autres urgences, et sans doute d’autres soucis en tête, que d’accueillir le chef des armées, avec ce que cela signifie en terme de sécurité renforcée et d’honneurs rendus, ces derniers fussent-ils réduits au minimum.
Mais, comme il faut des images pour illustrer la stature internationale de François Hollande en nourrissant les chaînes de télévision, l’armée française y pourvoira. Elle en a connu d’autres. Quant à la sécurisation de la ville et au désarmement des milices, qui a débuté lundi matin, ils attendront bien quelques heures, le temps que le Président et sa délégation reprennent l’avion pour Paris.
Péché véniel. Même cafouillis ce mardi matin, avec l’annonce de la mort des deux militaires, Antoine Le Quinio, 22 ans, et Nicolas Vokaer, 23 ans, membres du 8e régiment de parachutistes d’infanterie de marine de Castres, tués lundi vers 23h30. L’information filtrait depuis l’aube quand à 9h11, l’Élysée exprima «sa profonde tristesse», son «émotion» et son «profond respect», alors que les familles des deux soldats étaient à peine prévenues. Prudemment, le ministère de la Défense a attendu le milieu de journée pour apporter des précisions factuelles. On se croirait ainsi revenu aux grandes heures de Nicolas Sarkozy, lorsque l’ancien président de la République se précipitait à Kaboul, après la perte de dix soldats dans l’embuscade d’Uzbine, en 2008.
Tout ceci ne serait que péché véniel et anecdote de peu de conséquence, si cela n’exprimait l’essence de la conduite de ces affaires. Les “spin doctors”, ces spécialistes du marketing politique, ont pris le pas sur les diplomates, les généraux et les hommes du renseignement. On sait où cela a mené Tony Blair à l’époque de la guerre d’Irak, ou l’hôte précédent de l’Élysée, avec l’intervention en Libye. L’Élysée le ressert aujourd’hui avec la Centrafrique.
Un grand scénario diplomatico-militaire avait été mis au point par les dirigeants français. Tout était écrit comme sur du papier à musique. Jeudi 5 décembre, vote d’une résolution par le Conseil de sécurité des Nations unies autorisant une opération franco-africaine pour rétablir la sécurité dans un pays sombrant dans l’anarchie. Vendredi 6 et samedi 7, sommet de l’Élysée pour la paix et la sécurité en Afrique, avec une quarantaine de dirigeants du continent à Paris. Et dimanche 8 au petit matin, début des opérations militaires sur le terrain. Beau comme un jardin de Le Nôtre… Les militaires attendaient donc l’arme au pied, qui au Cameroun et au Gabon, qui sur l’aéroport de Bangui, que le chef de l’Etat donne le top départ. Les ministres des affaires étrangères, Laurent Fabius, et de la Défense, Jean-Yves Le Drian, ne quittaient plus les antennes où ils expliquaient inlassablement ce qui allait se passer et comment la France de François Hollande allait voler au secours d’un pays en détresse.
L’affaire a mal tourné. Las ! Les choses ne se passent jamais comme prévu. Claironnée depuis des jours et approuvée par le Conseil de sécurité des Nations Unies, l’arrivée des Français dans les rues de Bangui a fini par donner des idées à certains. Notamment aux anciens partisans du président Bozizé, chassé du pouvoir par la rébellion en mars dernier, et aux milices antibalakas, qui se sont formées pour résister aux exactions des hommes de la Séléka, majoritairement musulmans. Les antibalakas semblent avoir essayé de reprendre la ville, juste avant que les militaires français reçoivent l’ordre de sortir de leur base sur l’aéroport M’Poko. Mais leur affaire a mal tourné et, dans la seule ville de Bangui, un demi-millier de personnes ont été massacrées, dans ce qui restera comme un jour sombre de l’histoire tragique de cette région.
Or, ces violences ont surgi dans le vide créé de toute pièce par la stratégie de l’Élysée et que l’on peut résumer ainsi : annonce politique, résolution des Nations unies, sommet franco-africain, début des opérations. Soit une semaine. Il n’a fallu qu’une matinée à certains Centrafricains, peu soucieux de la communication élyséenne, pour y ajouter l’épisode «massacres». L’Opinion peut témoigner combien, ce jeudi 5 décembre à Paris, les plus hauts responsables de la Défense ont été pris au dépourvu par ce dérapage de la situation. Et comment l’Élysée a, dans l’urgence, été contraint d’accélérer le tempo de l’opération Sangaris, une fois les massacres commis. La communication politique avait trop précédé l’action militaire, laissant le champ libre aux perturbateurs.
Échec considérable. Tenter de regagner de la stature, et pourquoi pas de la popularité, sur la scène internationale n’est pas sans risques. Cela ne marche pas à tous les coups. François Hollande a pu l’éprouver à deux reprises, avec le Mali et avec la Syrie. Au Mali, c’est un sans-faute. Si des difficultés subsistent dans le nord, l’intervention française a permis de briser les djihadistes et de remettre sur le rails démocratiques ce pays qui accueillera le prochain sommet franco-africain sur la sécurité. En un an, la situation s’est radicalement améliorée. C’est à porter au crédit de la France et de son président.
La Syrie, en revanche, est un échec considérable pour François Hollande. Appelant, fin août, à «punir» Bachar al-Assad après l’emploi d’armes chimiques, le chef de l’État s’était engagé fortement et seul en faveur de frappes aériennes. Une quinzaine de cibles programmées, les avions de l’armée de l’air étaient proches du décollage, quand le samedi 7 septembre, le président américain Barack Obama a finalement reculé, contraignant François Hollande à faire de même. Il fallut déprogrammer les missiles de croisière, puis laisser les Russes engranger le succès diplomatique d’un désarmement chimique négocié. Quant à la carte sur laquelle la France mise depuis depuis deux ans, l’opposition modérée (Coalition nationale syrienne), celle-ci s’avère de plus en plus incapable de l’emporter contre le régime et l’oppositon djihadiste. En Syrie, le bilan n’est pas glorieux.
Qu’en sera-t-il en Centrafrique, une fois que les réalités du terrain auront pris le pas sur le storytelling de l’Élysée ? Réponse dans quelques mois.
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Source(s): Lopinion / Par Jean-Dominique Merchet, le 10.12.2013 / Relayé par Meta TV