Acculée en Algérie, AQMI est contrainte au repli

Entravée dans ses déplacements, fragilisée par les scissions et de plus en plus lourdement frappée par l’armée, al-Qaïda au Maghreb islamique se replie de l’Algérie vers la Tunisie, la Libye et le Sahel pour survivre

ALGER – « L’engouement pour la cause est généralement bon, à l’exception du front algérien sur lequel nous nous sommes embourbés à cause d’une longue guerre. Le front algérien souffre de la rareté, et parfois de l’absence quasi totale de soutiens à l’intérieur et à l’extérieur, cela a eu un impact terrible. »

En avril 2017, lorsqu’Abd­­­elmalek Droukdel, l’émir d’al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) parle au magazine Inspire, revue de propagande d’al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA), il ne sait pas encore combien l’année qui vient sera difficile pour son organisation.

En plus des combattants présumés, régulièrement « éliminés » par l’armée algérienne, AQMI perdra plusieurs de ses cadres. Après Bilel Kobi, l’envoyé spécial de Droukdel en Tunisie, et Béchir ben Néji, émir d’un groupe en Tunisie, abattus par les militaires tunisiens en janvier, c’est au tour d’Adel Seghiri, aussi connu sous le nom d’Abou Rouaha al-Qassantini (le Constantinois), de tomber, mardi, dans une opération menée par l’armée algérienne dans la région de Jijel, à environ 400 kilomètres d’Alger.

Responsable de la propagande d’AQMI, animateur d’Al-Andalus et créateur du forum terroriste Ifriquya al-islamiya (l’Afrique islamique), organe de diffusion de communiqués et de vidéos de la branche maghrébine et sahélienne d’al-Qaïda, al-Qassantini comptait parmi les cadres les plus importants du groupe.

Il faisait office d’interface entre les différents groupuscules dans la région et al-Qaïda au Moyen-Orient – les documents et le matériel téléphonique et informatique retrouvés sur lui constituant d’ailleurs une matière inestimable pour les services de sécurité qui l’avaient classé parmi les quarante islamistes armés les plus recherchés.

« Il figurait aussi parmi les quinze combattants d’AQMI les plus dangereux, non pas pour ses actes sur le terrain mais parce qu’il était en charge du cryptage et du décryptage de l’information », explique à Middle East Eye une source sécuritaire algérienne.

Après avoir quadrillé le pays, les militaires algériens commencent à ratisser en profondeur les régions boisées qui servaient de refuge aux familles et de véritables zones de repli pour eux (AFP)

Né en 1971 à Constantine, Adel Seghiri choisit de suivre des études en électronique et obtient un diplôme d’ingénieur en 1994. À la même époque, il rejoint le Groupe islamique armé (GIA). Bien qu’il ait bénéficié de la loi sur la Concorde civile (amnistie partielle), il remontera au maquis en 2002 aux côtés du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC).

« On pense qu’il a probablement continué à se former dans les pratiques de cryptage à travers internet », souligne un des enquêteurs algériens qui s’est occupé de son dossier. « Incontestablement, c’est un coup dur pour l’organisation qui va se retrouver affaiblie. »

Vingt ans de lutte contre les islamistes armés

Affaiblie, AQMI l’est en réalité depuis quelques années. Alors qu’elle avait réussi au début des années 2000 à s’implanter durablement dans les maquis du nord algérien, puis à étendre son emprise jusqu’au Sahel en passant par le Sahara, AQMI n’a plus mené d’attaques d’envergure en Algérie depuis plusieurs mois, et a subi de très nombreuses pertes et redditions.

Avec une moyenne de presque 200 hommes (tous groupes confondus) tués chaque année par l’armée, les groupes armés se retrouvent aujourd’hui en grande difficulté, confrontés à des pertes que les recrutements ne parviennent pas à compenser.

À tel point qu’en octobre dernier, selon une source sécuritaire algérienne jointe par MEE, les chefs de l’EI avaient demandé des renforts aux filiales en Tunisie et en Libye des renforts. Depuis trois ans, plusieurs centaines de cellules d’aide et d’assistance au groupe État islamique ont été démantelées.

Comment expliquer ces pertes ? « L’Algérie récolte les fruits de la politique qu’elle mène depuis plus de vingt ans contre le terrorisme », explique un général major à la retraite à MEE. « Ce terrorisme, nous ne l’avons toujours appréhendé à la fois comme un problème sécuritaire mais aussi psychologique, économique et culturel. »

En parallèle de la lutte armée contre les maquis islamistes, par essence asymétrique, et seule, vouée à l’échec, un travail est fait auprès de la population, et en particulier l’environnement proche des islamistes armés, pour qu’il soit, soit dénoncé, soit poussé à déposer les armes.

Résultat : « cette absence quasi totale de soutiens à l’intérieur », pour reprendre l’expression de Droukdel, se manifeste aujourd’hui très clairement. Lorsqu’en 2015, Madani Merzag, ex-émir national de l’Armée islamique du salut (AIS), responsable de nombreux massacres dans les années 1990, annonce qu’il veut créer un parti, les réactions de rejet dans la population sont très fortes.

« Il n’y a pas de recette miracle. L’expérience algérienne est un melting-pot de solutions expérimentées sur plusieurs années. Éliminer un terroriste n’est pas une victoire si, au même moment, une recrue monte au maquis. Déradicaliser un repenti est un échec si on laisse les courants salafistes radicaux mobiliser la jeunesse. Assécher les financements du terrorisme peut être une action sans fin si on n’endigue pas les réseaux de soutien logistiques. C’est sur ces points d’équilibre que l’expérience algérienne est intéressante, car elle se propose de traiter les conséquences et de fabriquer en même temps les antidotes », résume un expert de la lutte antiterroriste.

L’Algérien Abdesselam Termoun, qui avait rejoint al-Mourabitoune, a été tué en janvier 2018 (capture d’écran)

Si certaines ONG se montrent critiques à la fois sur la forme de la lutte armée, en s’inquiétant de ces « éliminations de terroristes » annoncées par le ministère de la Défense sans que justice ne soit rendue, ou même sur le fond, dénonçant une politique d’amnistie « consacrant l’impunité de certains groupes armés et agents de l’État », la communauté internationale reconnaît que la politique algérienne en la matière a donné des résultats.

En octobre dernier, le coordinateur adjoint du bureau de lutte contre le terrorisme du Département d’État américain a, par exemple, appelé l’Algérie « à partager cette expérience avec les autres pays du monde. »

Frapper la logistique

Sur le terrain, après avoir jugulé les attaques en milieu urbain, les forces de sécurité se sont concentrées sur les zones rurales. « De plus, ces dernières années, après avoir réussi à quadriller le pays, elles ont commencé à ratisser en profondeur les régions boisées qui servaient de refuge aux familles de terroristes, et de véritables zones de repli pour eux », poursuit le cadre de la lutte antiterroriste.

« L’autre cheval de bataille des services de sécurité a été de frapper la logistique terroriste. Quelques 1 000 membres de réseaux de soutien ont été arrêtés ces trois dernières années. Pour eux, c’est une véritable catastrophe qui a forcé des dizaines de terroristes et leurs familles à se rendre aux autorités. »

Autre tendance : depuis deux ou trois ans, les groupes armés qui ne croient pas aux frontières « ont estimé qu’au lieu de s’obstiner à combattre un ennemi qui leur est très supérieur, ils auraient intérêt à investir des territoires vierges se trouvent à côté – en évoquant la Tunisie et surtout la Libye », explique un analyste de l’armée à MEE.

Le sud libyen, un territoire difficile à surveiller pour les militaires, où les groupes armés peuvent plus facilement se cacher (AFP)

Depuis quelques mois les groupes armés habituellement basés dans les massifs de Kabylie et de Jijel, régions côtières au centre et à l’est du pays, ont opéré une migration vers le sud-est, près de la frontière tunisienne, sur les flancs algériens du massif du Chaâmbi, où se positionne Okba Ibn Nafaâ, la branche tunisienne d’AQMI.

De part et d’autre de la frontière l’étau se resserre depuis quelques mois. Une intense coopération entre les services de sécurité, notamment avec les Tunisiens, a donné ses fruits.

Une semaine après la mort de Bilel Kobi et Béchir ben Néji, un groupe de huit islamistes armés tombe dans une embuscade à Chechar, dans la wilaya de Khenchela à une centaine de kilomètres de la frontière. Cet endroit est considéré comme l’entrée de la chaîne montagneuse menant vers le massif du Chaâmbi. Fortement armés, ils avaient en leur possession une arme appartenant à la Garde nationale tunisienne.

Mais au sud, dans le Sahel et en Libye, la situation pour AQMI est différente. Grâce à un jeu d’alliances et au business des rançons, l’organisation arrive à tenir le cap et même à multiplier les attaques contre les forces internationales au Sahel. 

Face à l’immensité du désert et aux conditions climatiques difficiles, le maigre contingent qui compose la force Barkhane peine à contenir les attaques d’AQMI sous la bannière unifiée du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans au Maghreb islamique. La force du groupe : réussir à recruter grâce à l’argent des rançons, dans une région où seule la contrebande et le trafic de drogue sont pourvoyeurs d’emploi.

Une source sécuritaire algérienne sollicitée par MEE admet : « D’un point de vue opérationnel, il est vrai qu’AQMI est mal en point. Et on ne dira jamais assez combien l’élimination d’Abou Rouaha al-Qassantini a touché un point névralgique. Tôt au tard, l’armée algérienne arrivera à débusquer Droukdel [présumé caché dans les massifs montagneux de la région de Jijel]. Mais tant qu’AQMI compte des combattants, elle reste une menace », assure-t-il. « Il ne faut jamais oublier l’histoire du Groupe islamique combattant en Libye, d’Abdelhakim Belhadj. Alors qu’il avait été complètement détruit, il a non seulement réussi, à partir de 2011, à se reconstituer, mais aussi à se réimplanter dans plusieurs villes du pays. »

 

Source : Middle East Eye /

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