Edwy Plenel : “Sarkozy utilise la politique pour échapper à la justice”

Invité sur LCI, le président de Mediapart s'insurge de la stigmatisation des musulmans de France et commente le meeting retour de .

Invité d'Audrey Crespo-Mara, le président et cofondateur de Mediapart, qui publie Pour les musulmans (éditions La Découverte), commente l'actualité, les rassemblements des musulmans de France mais aussi le premier meeting de 

Audrey Crespo-Mara : À l'origine de votre livre, il y a une phrase de l'académicien Alain Finkielkraut. À la radio, un matin de juin dernier, il dit : "Il y a un problème de l'islam en France." Comme d'aucuns disaient dans les années 1930, il y a un "problème juif" en France…

Edwy Plenel : C'est un livre qui tombe, je dirais, à pic pour s'élever contre ceux qui font des amalgames, qui essentialisent l'autre. Cet académicien continuait en disant : "C'est un souci de civilisation." En clair, il disait que les musulmans en bloc étaient contre notre civilisation. Ce sont des stupidités ! Mais ce sont des stupidités dangereuses, car elles peuvent nous mettre en guerre contre nous-mêmes. Les musulmans de France sont français, comme vous et moi, ils sont musulmans et français, et je leur tends la main.

Certains pouvaient vous répondre jusqu'à aujourd'hui : "Mais où sont-ils ces musulmans pro-palestiniens qui, par centaines, manifestaient. Pourquoi ne s'offusquent-ils pas, en masse, de la décapitation d'un Français par des islamistes ?"

Ils ont la réponse. Et, en même temps, interrogeons-nous sur ce mécanisme qui demande toujours aux minorités de montrer patte blanche. En quoi, ces musulmans-là, français, sont-ils concernés par des gens qui se réclament indûment de l'islam, mais en fait d'une idéologie totalitaire, et qui sont le produit, ne l'oublions pas, de 30 ans d'erreurs, de guerres, de millions de morts ? Car c'est cela qui s'est passé en ces dernières années ! Donc, c'est très bien qu'ils se mobilisent, comme nous tous, mais ils ne sont pas plus comptables que d'autres de ce qui se passe là-bas.

Vous écrivez : "Racisme et xénophobie ne sont pas de génération spontanée, mais le produit d'une qui s'y abandonne." Au-delà du , vous pensez à Nicolas Sarkozy, à la question de l'identité nationale notamment, et à , héritier du sarkozysme, selon vous ?

Mon livre est aussi fait pour les inviter à rectifier, j'espère qu'ils changeront d'avis. M. Guéant a eu cette phrase terrible pendant la campagne présidentielle : "des civilisations supérieures à d'autres", précisant bien qu'il visait l'islam. Et il y a ceux qui demandent : "Est-ce que l'islam est compatible avec la démocratie ?" Comme si les citoyens musulmans n'étaient pas aussi démocrates que nous ! C'est en effet ce que je dénonce. Le danger n'est pas le café du commerce, mais ce qui se diffuse depuis le haut. Et, mon livre est en résonance avec l'engrenage qui a conduit, il y a un siècle, à la persécution des juifs, qui est aussi venu d'en haut.

Vous pensez que le danger n'est pas , mais

Bien sûr, il y a un adversaire de toujours des tenants de l'égalité, qui est l'extrême droite, qui défend cette idée des inégalités. Entre hommes et femmes, entre cultures, entre civilisations. Le problème, c'est quand gauche et droite, en perdition, laissent la place à ces idées-là, les banalisent ! Mon livre est un appel à ce que nous ayons une ligne de crête, de hauteur, authentiquement républicaine !

Parlons des djihadistes français. Comment expliquer que ces jeunes – plusieurs centaines – préfèrent aujourd'hui donner leur vie à un califat lointain plutôt que de vivre dans la démocratie dans laquelle ils sont nés et où ils ont grandi ?

Il y a eu d'autres histoires de terrorisme, y compris de terrorismes anarchistes à la fin du XIXe siècle, ici en France. Derrière tout désordre, derrière tout crime, aussi abominable soit-il, nous nous devons d'essayer de comprendre d'où il vient. L'ex-otage Pierre Torres l'a bien expliqué concernant le cas de Nemmouche : il a vécu près de dix mois avec lui, c'était l'un de ses geôliers. Ce sont des gens qui, à force de stigmatisation, à force d'abandon social, trouvent des chemins de perdition. Comprendre cela, ce n'est pas les excuser, ce n'est pas justifier leurs actes, c'est se dire "attaquons la cause" !

Vous écrivez : "D'où vient l'EI ? Il vient du désordre que nous avons créé"…

Bien sûr ! La première guerre d', c'était Saddam Hussein : nous l'avons armé, y compris d'armes chimiques contre l'. Ensuite, durant la deuxième, il a voulu se récompenser, on lui a répondu : "Ça va pas ?!" Lors de la troisième, comme vous le savez, les États-Unis – et, heureusement grâce à Jacques Chirac et Dominique de Villepin, la France n'en était pas – ont envahi l'Irak. Vous connaissez le bilan ? C'est une université américaine qui l'a établi : sur la dernière décennie, depuis 2003, en Irak, 500 000 personnes sont mortes ! À l'échelle de ce pays, c'est comme un million en France ! Alors, il faut être révolté par ces égorgements. Mais ne soyons pas indifférents à ces autres 500 000 morts. Essayons de nous demander comment tout cela a pu créer tant de désespoir, de désordre. C'est une alerte : faisons attention, parfois, face aux barbares, quand on commence à les essentialiser, on se barbarise soi-même, et c'est très dangereux !

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Source : Le Point, le 26.09.2014

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