Le sondage bidonné qui prétend que les Français veulent l’évacuation de la Zad

En sondant 1.006 personnes le 4 janvier pour France Info et Le Figaro, l'institut de sondage Odoxa a conclu : « Près de 6 Français sur 10 se déclarent favorables à l'emploi de la force pour déloger les zadistes de NDDL. » Sauf que, explique l'auteur de cette tribune, ce sondage est grossièrement orienté pour faire croire à sa conclusion.

Odoxa a encore frappé En sondant 1.006 personnes, les gourous de l'opinion publique en sont venus à la conclusion suivante [le 4 janvier 2018] : « La demande de fermeté est renforcée : près de 6 Français sur 10 se déclarent favorables à l'emploi de la force pour déloger les zadistes de NDDL. » Sortez les hélicos et les matraques, les gens n'attendent que ça, à ce qu'il paraît. Sauf que ce sondage a été construit n'importe comment, sans aucun respect des règles de base en la matière.

NDDL: voici comment les zadistes se préparent à une évacuation par la police

 

Première règle de base : un sondage doit être réalisé en évitant de mélanger les choses, les premières réponses étant susceptibles d'influer les réponses suivantes. Par exemple, si vous commencez par poser des questions sur l'intoxication alimentaire, pas la peine de demander aux gens s'ils ont peur de consommer des légumes abîmés…

Attention la blague : le thème principal du questionnaire d'où est extrait notre sondage, c'est l'insécurité ! Et même pire, le titre officiel du document c'est : « Regard des Français sur le ministre de l'Intérieur, . » Quel rapport avec NDDL ? Et pourquoi pas poser la question en lien avec des problématiques urbaines ou environnementales ? Chez Odoxa, on a préféré introduire le débat sur NDDL juste après la question suivante : « Selon vous, aujourd'hui, l'insécurité a-t-elle plutôt tendance à augmenter, à diminuer ou à rester stable ? » Insécurité et NDDL, vous voyez le lien ? Si vous ne le voyez pas, pensez à vous faire déradicaliser vite fait.

Seconde règle de base : poser la question de la façon la plus neutre possible, en évitant les détails superflus et les termes connotés. Et voici la formulation à laquelle est parvenu l'institut de sondage :

« Le ministre de l'Intérieur a annoncé que le gouvernement serait “obligé d'employer la force” pour déloger les zadistes qui occupent actuellement la zone de l'aéroport de . Vous personnellement, êtes-vous favorable ou opposé au recours à la force si nécessaire pour les déloger ? »

Houla, mais ça va pas du tout, ça ! C'est même du grand n'importe quoi. D'abord, si « le ministre a annoncé », on ne voit même pas pourquoi la question est posée. Autant dire oui tout de suite plutôt que s'opposer à un ministre, de l'Intérieur qui plus est. En plus, il a annoncé que le gouvernement « serait obligé ». Futur + verbe obliger = pas d'autre choix possible, d'autant plus quand « le gouvernement » est sujet de la phrase (le ministre ne devait pas suffire). La suite n'est pas mieux. Que fait ici le verbe « déloger », considéré comme du langage familier ? On déloge des indésirables, des gens qui dérangent ou des considérés nuisibles. Ou des « zadistes »,qualificatif retenu par Odoxa, qui décidément ne doit pas aimer la formule classique et déjà plus neutre : expulser des occupants. Ces chers zadistes, toujours selon Odoxa, « occupent actuellement la zone de l'aéroport de  ». Ah ! mais il fallait me le dire si l'aéroport était déjà fait ! Moi je pensais qu'ils occupaient un joli bocage ! S'ils dorment sur le bitume d'une piste de décollage, autant les foutre dehors, c'est mieux pour eux.

Au cas où le sondé n'aurait pas compris, on lui pose enfin la véritable question en prenant soin d'insister encore une fois sur le fait qu'on va « déloger » des affreux nuisibles, surtout pas des agriculteurs écolos. Et au passage, on précise bien que la force sera employée « si nécessaire ». Précision inutile puisque le ministre a dit qu'il serait « obligé ». Mais on ne sait jamais, il reste peut-être quelques abrutis capables de dire non.

Troisième règle de base : rester prudent dans l'interprétation des chiffres. 6 Français sur 10 sont favorables ! Pas mal, bon score ! De quoi faire des titres bien racoleurs, comme sait le faire ce cher Figaro : « Notre-Dame-des-Landes : six Français sur dix encouragent Collomb à utiliser la force. »Bon en fait, le résultat exact, c'est 56 %, pas 60 %, mais on n'est pas à quelques points prêts, hein. Ça, c'est comme le « si nécessaire » qui figurait dans la question d'origine : pas bon pour vendre du papier. On va plutôt dire que les Français encouragent la force, ça, c'est beau, on dirait du Star Wars.

Bon et puis il y a la marge d'erreur, qui s'élève à 3 % quand on interroge seulement 1.000 personnes. Ce qui veut dire que le chiffre exact se situe entre 53 % et 59 %. À 53 %, avec un échantillon comme celui-ci, on considère habituellement que le résultat est mitigé, les sondés sont indécis. Mais c'est tellement ennuyeux, les gens indécis. Les journaux veulent du violent et Odoxa est là pour en donner, c'est tellement facile après tout.

L'institut de sondage a tellement l'habitude de produire de l'opinion à partir de rien qu'il ne cherche même pas à cacher le sien. Dans une synthèse détaillée de l'étude (très courte en définitive), le directeur d'Odoxa, Gaël Sliman, n'hésite pas à s'adresser à son cher ministre de l'Intérieur et à l'encourager chaleureusement à dépasser ses peurs : « Si craint une sanction de l'opinion face à un excès de fermeté de sa part, il se tromperait lourdement. » Vas-y Gérard, fonce mon copain !

Autant donner directement des consignes au ministre 

Non, mais autant donner directement des consignes au ministre ! Ah, mais, c'est ce qu'ils font, en présentation du document, sans prendre de pincettes : « Dans le contexte sécuritaire “tendu” du moment, il serait important que Gérard Collomb puisse “renverser la vapeur” en montrant qu'il est capable de fermeté — peut-être à l'occasion de l'évacuation de NDDL — et ainsi pleinement occuper aux yeux des Français son statut de premier “flic de France”. » Au passage, on se demande pourquoi l'Institut utilise tous ces guillemets, alors que personne n'est cité. Soit les sondeurs entendent des voix (ce qui est tout à fait respectable), soit ils n'assument pas leurs opinions (ça l'est beaucoup moins).

Être obligé de sonder mille personnes pour enfin pouvoir brandir sans honte des idées réactionnaires… pas facile la vie chez Odoxa et compagnie…

Puisque la loi les y oblige, les instituts de sondage publient certaines données de base de leurs enquêtes. Les données utilisées sont disponibles ici.

Avec les vraies données brutes, on pourrait sûrement aller plus loin dans la remise en cause. Mais sans devenir statisticien, on peut critiquer les sondages plus globalement en considérant qu'ils fabriquent une opinion plutôt qu'ils ne la recueillent, comme le sous-entend la fameuse sentence de Bourdieu : « L'opinion publique n'existe pas. »

Ce texte n'a donc pas vocation à exiger de « bons sondages », contre de « mauvais sondages ». Il s'agit plutôt de chercher à comprendre comment des médias dominants magouillent grossièrement des techniques qu'ils connaissent pourtant très bien, pourquoi ils ne posent pas les questions selon des règles qu'on peut apprendre en première année de fac de sociologie.

 

Sources : Paris Luttes Info / Reporterre / BFM /  : © Berth/Reporterre

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